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Lena Day
La plupart des gens, même les plus instruits, abordent la lecture dun
texte de loi avec inquiétude, voire même angoisse : seront-ils capables
den déchiffrer le sens? Certains diront que les lois traitent de sujets
complexes comme la fiscalité ou les valeurs mobilières et quon doit donc
sattendre à un langage dense et lourd. Dautres avanceront que ces textes
sont principalement destinés à un public averti composé de membres de groupes
de pression, de spécialistes du domaine, de juristes et de fonctionnaires.
Il reste que les lois sadressent à tous et que ce seul fait est un argument
de poids en faveur dune langue souple et facile à comprendre. Le présent
article décrit les efforts déployés à lAssemblée nationale du Québec pour
améliorer la lisibilité du texte anglais des lois.
En 1763, la France signe le Traité de Paris et cède la plupart de ses colonies
de la Nouvelle-France à la Grande-Bretagne. Le droit britannique fait ainsi
son entrée sur le territoire quon appelle aujourdhui le Québec. Onze
ans plus tard, le Parlement britannique rétablit les anciennes lois françaises
en matière civile, mais maintient le droit britannique en matière criminelle.
Par la suite et jusquau milieu du siècle suivant, le droit civil nest
rédigé quen français et le droit criminel, en anglais. Cest donc afin
de permettre aux deux communautés linguistiques du Québec davoir accès
à lensemble des lois dans leur langue que la
Loi constitutionnelle de
1867 oblige le Québec à adopter et à publier ses lois en français et en
anglais1.
Aujourdhui, les Québécois ont accès aux projets de loi et aux lois nouvellement
adoptées sur le site Web de lAssemblée nationale. Ils peuvent suivre le
processus législatif à partir de ce même site, soit en visionnant ou en
écoutant les travaux de la Chambre ou des commissions en direct, ou en
téléchargeant la transcription de ces travaux2. Ils peuvent se procurer
des exemplaires des lois annuelles ou révisées auprès des Publications
du Québec à peu de frais ou les consulter en ligne gratuitement3.
La question de laccès aux lois ne se résume cependant pas à la possibilité
dobtenir un imprimé ou un fichier. Encore faut-il pouvoir en comprendre
le contenu... Bon nombre des problèmes qui rendent les textes de loi de
langue anglaise difficiles à lire découlent du style législatif britannique
traditionnel. Phrases longues et sinueuses, expressions archaïques et enfilades
de synonymes en sont quelques exemples. Depuis quelque temps, les autorités
législatives dans les pays anglophones du monde entier ont choisi de séloigner
de ce style traditionnel et sorientent franchement vers la langue claire
et simple4. Au Service de la traduction de lAssemblée nationale du Québec,
nous avons aussi amorcé ce virage.
Contraintes
Les lois du Québec sont rédigées en français, puis traduites en anglais,
et même si le français est la langue officielle du Québec, les versions
française et anglaise ont la même valeur juridique5. Comme notre travail
consiste à traduire et non à rédiger, nous ne pouvons introduire autant
de changements que ne l'ont fait d'autres assemblées législatives qui sont
allées jusqu'à revoir la présentation de leurs lois en combinant les atouts
de la langue claire et simple avec ceux dun aspect visuel plus convivial.
Elles ont opté pour des polices de caractères plus lisibles, ont repensé
lorganisation et la numérotation des chapitres et autres divisions, et
ont ajouté des en-têtes, des résumés et des graphiques dans le but de faciliter
la consultation et le repérage6.
Nous, par contre, ne pouvons agir que sur la langue. Le
contenu et la structure des projets de loi sont établis par les légistes dans
les ministères, révisés par le Secrétariat à la législation du ministère du
Conseil exécutif et approuvés par le Comité de législation du Conseil des
ministres. Notre rôle, c’est de produire une traduction fidèle du texte français
qui nous est transmis.
Le Code civil étant la pierre angulaire du droit québécois, nous sommes
tenus dutiliser la terminologie du droit civil plutôt que celle de la
common law, mieux connue de la majorité des anglophones. Ainsi, nous traduisons
« hypothèque » par hypothec et non par mortgage. Et comme nous navons
pas le mandat de réécrire les lois en vigueur, nous ne pouvons appliquer
les principes de la langue claire et simple quà la nouvelle législation.
Il est possible, bien sûr, dutiliser certaines techniques dans les projets
de loi modificatifs, mais il faut le faire avec prudence en sassurant
que le texte modifié ou inséré sharmonise avec le texte inchangé.
Premiers pas
Vu ces contraintes, nous avons choisi de nous concentrer sur les aspects
dordre linguistique, principalement le vocabulaire, la grammaire et le
style. Voici, en bref, les consignes que nous sommes données :
-
Miser sur la simplicité. Préférer les mots familiers aux mots recherchés
et les mots courts aux mots longs. Écrire send by fax or e-mail, par exemple,
plutôt que transmit by facsimile or electronic communication.
-
Remplacer les mots et expressions archaïques comme whereas, notwithstanding,
pursuant to et to wit par des mots plus courants comme as, despite, under
et that is.
-
Éviter les expressions latines, sauf si elles sont passées dans la langue
courante (vice versa) ou qu'elles font partie de la langue juridique et
nont aucun équivalent simple en anglais (prima facie).
-
Éviter les combinaisons de synonymes ou de quasi-synonymes comme null and
void, terms and conditions, aid and abet, part and parcel. Choisir plutôt
le mot qui rend le sens voulu et qui convient le mieux au contexte.
-
Éviter lexpression traditionnelle the said pour faire référence à une
chose ou à une personne mentionnée auparavant dans une disposition (the
said body, the said persons). Employer the lorsquil ny aucune confusion
possible, sinon that ou those.
-
Sil sagit dune loi entièrement nouvelle, éviter shall et shall not.
Employer plutôt must, is to, are to pour imposer une obligation et must
not pour signifier une interdiction. Dans les dispositions déclaratoires
ou interprétatives, lindicatif présent suffit (binds au lieu de shall
bind, applies to au lieu de shall apply to).
-
Être succinct. Par exemple, si le texte français dit « sous réserve des
dispositions de larticle 23 », il nest pas nécessaire de traduire « des
dispositions de ». Subject to section 23 fera aussi bien laffaire.
-
Employer un langage non discriminatoire dans toute nouvelle législation
et, dans la mesure du possible, dans les projets de loi modificatifs. Préférer
les appellations demploi neutres comme police officer et firefighter.
Éviter he or she et his or her, qui peuvent alourdir le texte. On peut
souvent utiliser dautres techniques pour « désexiser » le texte, comme :
-
Avoir recours au pluriel (Applicants qualify if they...).
-
Préférer des phrases courtes. Diviser une longue phrase si elle sy prête.
-
Préférer la voix active (The student must sign the application) à la voix
passive (The application must be signed by the student).
-
Préférer le verbe simple (The student may apply) à la forme nominale (The
student may make an application).
-
Préférer la forme affirmative (The application is valid only if the student
has signed it) à la forme négative (The application is not valid unless
the student has signed it).
-
Éviter les incises entre le sujet et le verbe, et entre le verbe auxiliaire
et le verbe principal; rapprocher les déterminants des mots quils déterminent.
Tout comme la société et le droit, la langue anglaise a beaucoup évolué
depuis le XIXe siècle. Cest pourquoi nous avons adopté ces consignes qui,
nous lespérons, nous aideront à transmettre le message de la loi dans
un anglais contemporain et efficace. Il est entendu que ces consignes sont
des repères plutôt que des règles strictes et que nous devons les appliquer
avec discernement, en tenant compte du contexte. Il est également entendu
que nous resterons à laffût de ce qui se fait ailleurs afin de voir quelles
autres techniques nous pourrons adapter à notre travail de traduction.
Nous trouverons des façons de sonder ceux et celles qui utilisent nos textes
anglais afin de mesurer les effets des changements que nous avons faits
jusquà maintenant. Et nous continuerons dans cette foulée pour que le
texte anglais des lois québécoises soit bien ancré dans le monde daujourdhui.
Pour citer lavocat et lexicographe Bryan A. Garner, « Nous valorisons la
simplicité, mais rédiger aussi simplement que possible ne veut pas toujours
dire rédiger simplement. Le langage complexe est parfois inévitable. Prenez
la jungle législative que sont les lois fiscales : On ne peut pas les rendre
simples, mais on peut éviter de les compliquer inutilement. On peut essayer
de dire les choses en termes clairs7. »
Notes
1. Geneviève Gagnon, « La traduction et lédition des lois à lAssemblée
nationale du Québec », Bulletin de la Bibliothèque de lAssemblée nationale,
vol. 34, nos 1-2, mai 2005, p. 30.
2. Voir « Les travaux parlementaires », dans Assemblée nationale du Québec,
[En ligne].
[http://www.assnat.qc.ca/fra/37legislature2/index.shtml] (30
janvier 2007).
3. Voir « Lois et Règlements », dans Les Publications du Québec, [En ligne].
[http://www.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/accueil.fr.html]
(30 janvier 2007).
4. Pour plus de détails, voir le chapitre 3, « International Comparisons »,
dans Office of the Scottish Parliamentary Counsel, Plain Language and Legislation,
[En ligne], mars 2006, pp. 19-28.
[http://www.scotland.gov.uk/Resource/Doc/93488/0022476.pdf]
(30 janvier 2006).
5. Québec, Charte de la langue française : Lois refondues du Québec, chapitre
C-11, à jour au 1er mars 2006, [Québec], Éditeur officiel du Québec, 2006,
art. 7.
6. Voir « Échantillon de la nouvelle approche de rédaction », dans Canada,
Développement des ressources humaines (DRHC), Projet de lisibilité Législation
sur lassurance-emploi, [En ligne].
[http://www.hrsdc.gc.ca/fr/ae/legislation/claimfr.pdf]
(30 janvier 2006).
7. Bryan A. Garner, The Elements of Legal Style, 2e éd., New York, Oxford
University Press, 2002, p. 5.
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