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Paul E. J. Thomas
Le système électoral majoritaire du Canada permet souvent à des partis
qui obtiennent moins de la moitié du vote populaire de remporter la majorité
des sièges au Parlement. Plusieurs analystes ont suggéré que ce problème
devrait être corrigé en modifiant le système électoral de manière à accroître
la proportionnalité entre le pourcentage des voix obtenues par un parti
et son pourcentage des sièges législatifs. Cependant, alors que ce type
de réforme améliorerait la proportionnalité, il accroîtrait aussi grandement
la fréquence des parlements minoritaires. La présente étude prend lexemple
du gouvernement minoritaire de la 38e législature pour examiner comment
le système politique du Canada pourrait être affecté si le pays adoptait
un nouveau système électoral qui rendrait les gouvernements minoritaires
plus fréquents. Elle situe le contexte procédural de la 38e législature
et présente six critères pour évaluer son comportement. Chaque critère
est ensuite examiné à laide dune comparaison qualitative et quantitative
des mesures prises dans les 36e, 37e et 38e législatures. Cette évaluation
montre que la 38e législature na pas été moins efficace que les précédentes,
que les délibérations législatives y ont été plus importantes et quelle
a permis de mieux tenir lexécutif responsable de ses actes. La conclusion
est donc que, même si les gouvernements minoritaires ne sont pas parfaits,
lexemple de la 38e législature
semble indiquer qu’un système électoral qui produirait plus de gouvernements
minoritaires pourrait accroître la qualité de la démocratie au Canada.
Les changements procéduraux qui ont été apportés à la Chambre des communes
depuis 25 ans permettent très difficilement de comparer directement la 38e
législature et les parlements minoritaires précédents au Canada. Ces modifications,
qui ont été apportées pour rendre la Chambre des communes plus efficiente
et démocratique, ont donné aux députés de la 38e
législature de nombreuses
possibilités auxquelles leurs prédécesseurs n’avaient pas accès.
Les modifications les plus importantes touchent probablement à lindépendance
des comités permanents1. Avant le milieu des années 1980, les comités permanents
avaient besoin dun ordre de renvoi de la Chambre afin de pouvoir mener
une étude, voire de se réunir2.
En vertu des nouvelles règles, les comités
peuvent entreprendre de leur propre chef des études sur des questions qui
relèvent de leur compétence et formuler des recommandations sur les mesures
prises par le gouvernement. Lindépendance des comités permanents a aussi
été renforcée par ladoption du vote secret pour la sélection des présidents
de comité. Cette innovation, adoptée en 2004 après ladoption dune motion
de lopposition demandant ce changement, a mis fin à la pratique antérieure
selon laquelle les présidents de comité étaient choisis par le gouvernement3.
Cependant, étant donné quil y avait un parlement majoritaire au moment
du changement, la 38e législature a été la première de lhistoire canadienne
au cours de laquelle les partis dopposition ont pu élire un président
de comité ne correspondant pas aux souhaits des députés du parti au pouvoir.
Un deuxième changement important apporté à la procédure de la Chambre a
été la simplification des règles régissant les affaires émanant des députés,
qui a permis de débattre, mettre aux voix et adopter à la Chambre des communes
un plus grand nombre de projets de loi dinitiative parlementaire. Néanmoins,
le taux de réussite est encore très faible.
Le contexte procédural de la 38e législature a aussi été fortement influencé
par le Plan daction pour la réforme démocratique présenté par le premier
ministre Paul Martin au début de la 3e session de la 37e législature au
début de 2004. Étant donné que cette session na duré que 55 jours de séance,
les conséquences du Plan daction nétaient pas toutes connues au début
de la 38e législature. Parmi les réformes instaurées dans le Plan daction,
les quatre les plus susceptibles dinfluencer la 38e législature étaient :
1) la mise en place dun système de vote de trois catégories; 2) laugmentation
du nombre de projets de loi dinitiative ministérielle renvoyés en comité
avant la deuxième lecture; 3) laccroissement de la capacité des comités
permanents dexaminer les budgets des dépenses; 4) lexamen, par les comités
permanents, des nominations aux postes élevés du gouvernement4.. Le système
de vote de trois catégories détermine la mesure dans laquelle le gouvernement
considère un projet de loi comme une question de confiance. En vertu de
ce système, les votes sur les projets de loi de première catégorie sont
considérés comme un « vote libre » pour tous les députés, ce qui signifie
que le gouvernement ne prend pas position sur la question et que le résultat
du vote ninflue pas sur la confiance du Parlement dans le gouvernement.
Dans un vote de deuxième catégorie, le Cabinet prend position, mais les
députés ministériels darrière-ban ne sont pas obligés de ladopter et
le résultat ninflue pas sur la survie du gouvernement. Enfin, le vote
de troisième catégorie est réservé aux éléments clés du programme législatif
du gouvernement qui sont des questions de confiance pouvant entraîner la
chute de celui-ci. Par conséquent, on sattend à ce que tous les députés
du parti au pouvoir respectent la discipline du parti. Les partisans du
système de vote de trois catégories soutiennent quil permet un plus large
éventail de compromis et de débats sur les projets de loi moins importants,
tout en permettant au gouvernement de démontrer quil a la confiance de
la Chambre sur les enjeux majeurs.
Comme le système de vote de trois catégories, le renvoi des projets de
loi aux comités avant la deuxième lecture est considéré comme une mesure
qui accroît la démocratie à la Chambre. Selon le Règlement, la capacité
des comités de modifier le fond dun projet de loi est très limitée après
la deuxième lecture5. En outre, les membres des comités sont moins libres
de dégager un compromis sur la question après la deuxième lecture, étant
donné que les partis sont forcés de prendre position durant le débat et
le vote à cette étape. Le renvoi des projets de lois aux comités plus tôt
dans le processus législatif est donc considéré comme une mesure qui accroît
le rôle délibérant du Parlement en permettant un débat significatif sur
le projet de loi avant que son contenu soit établi définitivement. Il convient
de souligner que le gouvernement pouvait renvoyer les projets aux comités
avant la deuxième lecture depuis la modification du Règlement en 19946.
Mais la disposition pertinente était rarement invoquée, ce qui a soulevé des
plaintes des analystes et des députés de l’opposition.
Par contraste avec linstauration récente du système de vote de trois catégories,
les comités permanents sont chargés dexaminer les budgets des dépenses
pour leurs ministères correspondants depuis les années 1960. Mais il arrivait
souvent que les comités ne possédaient pas linformation nécessaire pour
avoir un débat informé sur les budgets, ce qui les empêchait de demander
des comptes à lexécutif. Par conséquent, la proposition du premier ministre
Martin visait à donner aux comités les ressources nécessaires pour pouvoir
effectuer un examen significatif des budgets.
À linstar de la capacité de renvoyer les projets de loi aux comités avant
la deuxième lecture, lexécutif avait, depuis longtemps, le choix de demander
aux comités permanents dexaminer les nominations aux postes gouvernementaux,
mais il ne lavait fait que rarement. Cette concentration du processus
de nomination au sein de lexécutif a souvent entraîné le lancement daccusations
de patronage contre le gouvernement et sapé la confiance du public dans
les institutions gouvernementales7. Pour améliorer la situation, le Plan
daction pour la réforme démocratique permettait aux comités dexaminer
les qualifications des candidats et de présenter au Parlement un rapport
sur leurs constatations. Toutefois, vu les craintes que ces examens deviennent
trop politisés, le plan laissait lapprobation finale des nominations entre
les mains du premier ministre8.
Dans ce contexte procédural, on peut déterminer quelques critères pour
évaluer la performance démocratique de la 38e législature. On peut constater
les avantages démocratiques des parlements minoritaires par la mesure dans
laquelle la 38e législature
a accru : 1) les compromis législatifs et les délibérations; 2) la
responsabilité de l’exécutif envers l’assemblée législative; 3) les possibilités
d’influence pour les simples députés. Par contre, les critères relatifs aux
effets potentiellement nuisibles des parlements minoritaires comprennent la
mesure dans laquelle la 38e législature a réduit : 1)
l’efficacité législative; 2) la stabilité du gouvernement; 3) la responsabilité
envers les citoyens au moment des élections.
Compromis législatifs et délibérations durant la 38e législature
Deux grands indicateurs seront utilisés pour déterminer si la 38e législature
a accru les compromis et les débats sur les mesures législatives par rapport
aux législatures précédentes : le nombre de projets de loi dinitiative
ministérielle renvoyés à un comité avant la deuxième lecture et le nombre
de projets de loi amendés par les comités. Les partisans de la réforme
électorale soutiennent que les gouvernements minoritaires doivent faire
des compromis avec les partis dopposition et accepter des changements
à leurs propositions législatives. De plus, dans des parlements minoritaires,
lopposition peut défaire le gouvernement lors de nimporte quel vote.
Par conséquent, on pourrait sattendre à ce quun plus grand nombre de
projets de loi soient adoptés avec amendements par un parlement minoritaire
que par un parlement majoritaire. Il semble également probable que les
amendements adoptés dans un parlement minoritaire modifieraient davantage
le fond que ceux adoptés par un parlement majoritaire, étant donné que
les partis dopposition peuvent unir leurs forces pour adopter tous les
changements quils souhaitent. Cependant, les tentatives de quantifier
le fond dun amendement sont subjectives par nature, les amendements qui
semblent triviaux pour lobservateur moyen revêtant souvent une grande
importance pour un groupe de la population en particulier. Par conséquent,
la présente étude ne visera à établir que si le nombre de projets de loi
amendés augmente dans un parlement minoritaire.
Daprès le Règlement, tous les projets de loi doivent être renvoyés à un
comité après la première ou la deuxième lecture. Les comités réalisent
alors un examen détaillé des projets de loi, convoquant souvent des témoins
qui donnent leurs points de vue sur la loi proposée, puis ils effectuent
une étude article par article de ses dispositions. Par conséquent, létude
en comité est souvent létape où la majorité des amendements ont la possibilité
dêtre apportés. Le tableau 1 compare le nombre de projets de loi qui ont
été amendés à létape de létude en comité durant les 36e, 37e
et 38e législatures.
Afin de limiter les influences extérieures et disoler linfluence du passage
dun parlement majoritaire à un parlement minoritaire, le tableau ne comprend
que les données sur les seize comités permanents thématiques qui existaient
durant les trois législatures9. Afin de faciliter la comparaison, les données
pour chaque session ont été normalisées en fonction dune session dune
durée de 150 jours de séance10.
Le tableau 1 présente des résultats assez intéressants. Si lon ne considère
que les projets de loi renvoyés à un comité après la deuxième lecture,
la 38e législature a été la seule période visée par létude durant laquelle
les projets de loi faisant lobjet dun rapport sans amendement ont été
plus nombreux que ceux qui ont fait lobjet dun rapport avec un ou plusieurs
amendements. Cependant, quand on ajoute les projets de loi renvoyés à un
comité avant la deuxième lecture, la situation devient très différente.
En effet, pas moins de 80 % des projets de loi de ce groupe ont fait lobjet
dun rapport avec amendements, ce qui porte à 56 % le pourcentage de projets
de loi amendés à létape du comité pendant la 38e législature. Ce résultat
semble indiquer que la majorité des projets de loi renvoyés à un comité
après la deuxième lecture étaient relativement peu controversés et navaient
pas besoin dêtre modifiés, tandis que la plupart de ceux renvoyés à un
comité avant la deuxième lecture nécessitaient des ajustements avant de
pouvoir être appuyés par le comité. Étant donné que les projets de loi
renvoyés à un comité avant la deuxième lecture sont ceux sur lesquels le
gouvernement na pas encore adopté de position définitive, le pourcentage
élevé damendements semble indiquer que les comités en ont profité pour
avoir un débat significatif sur ces projets de loi. Par conséquent, même
sil ny a pas eu de changement dans la proportion de projets de loi modifiés
par les comités permanents dans la 38e législature, les comités se sont
concentrés sur la modification des textes sur lesquels ils pouvaient exercer
la plus grande influence.
Tableau 1
Comparaison des projets de loi dinitiative ministérielle sur
lesquels quelques comités permanents ont fait rapport à la Chambre des
communes durant les 36e, 37e et 38e législatures. Données normalisées en
fonction dune session de 150 jours de séance.
|
|
36.1
|
36.2
|
37.1
|
37.2
|
37.3
|
38
|
Projets de loi renvoyés après la 2e lecture
|
|
|
|
|
|
|
Rapport sans amendement
|
21
|
15
|
18
|
15
|
8
|
12
|
Non amendés
|
14
|
10
|
13
|
8
|
3
|
15
|
Projets de loi renvoyés avant la 2e lecture
|
|
|
|
|
|
|
Rapport sans amendement
|
2
|
|
1
|
1
|
|
10
|
Non amendés
|
1
|
|
0
|
2
|
8
|
2
|
Nombre total de projets de loi renvoyés
|
37
|
25
|
32
|
26
|
19
|
39
|
% du total ayant fait lobjet d'un rapport avec amendements
|
59 %
|
60 %
|
59 %
|
61 %
|
45 %
|
56 %
|
Nota : Le nombre préis de projets de loi sur lesquels chacun des seize comités
a fait rapport pendant chaque législature se trouve dans les annexes de
la version originale de la présente étude.
|
Bien quil puisse être important en soi, lamendement dun projet de loi
par un comité a peu de sens si le projet de loi nest pas adopté ensuite
par le Parlement. Cest particulièrement vrai des projets de loi amendés
avant la deuxième lecture, étant donné que les modifications apportées
sont probablement plus importantes. Afin de déterminer si les comités ont
une incidence sur le contenu final des projets de loi, le tableau 2 examine
le sort des projets de loi renvoyés à un comité avant la deuxième lecture
au cours des 36e, 37e
et 38e législatures.
Afin de faciliter la comparaison, les résultats sont normalisés en fonction
d’une session de 150 jours de séance.
Le tableau 2 démontre quavant le Plan daction pour une réforme démocratique,
très peu de projets de loi étaient renvoyés à un comité avant la deuxième
lecture. Fait intéressant à souligner, la vaste majorité des projets de
loi renvoyés à un comité avant la deuxième lecture ont été adoptés; une
poignée dentre eux seulement na pas reçu la sanction royale. Cependant,
il y a eu, pendant la 38e législature, une forte augmentation du nombre
absolu de projets de loi qui ont été modifiés par le comité avant la deuxième
lecture et qui ont reçu la sanction royale. La 38e législature a donc été
plus portée à modifier les projets de loi renvoyés à un comité avant la
deuxième lecture et aussi plus portée à les adopter.
Tableau 2
Sort des projets de loi renvoyés à un comité avant la 2e lecture
et ayant fait lobjet dun rapport à la Chambre des communes par quelques
comités permanents durant les 36e, 37e et 38e législatures. Données normalisées
en fonction dune session de 150 jours de séance.
|
Sort
|
36.1
|
36.2
|
37.1
|
37.2
|
37.3
|
38
|
Amendé par le comité
|
|
|
|
|
|
|
Sanction royale
|
2
|
|
1
|
|
|
8
|
Non adopté
|
|
|
|
1
|
|
2
|
Non amendé par le comité
|
|
|
|
|
|
|
Sanction royale
|
1
|
|
|
1
|
8
|
2
|
Non adopté
|
|
|
|
1
|
|
|
Pourcentage recevant la sanction royale
|
100 %
|
|
100 %
|
33 %
|
100 %
|
83 %
|
Efficacité législative de la 38e législature
Les opposants à la réforme électorale soutiennent souvent que les parlements
minoritaires réussissent moins bien à faire adopter des lois que les parlements
majoritaires à cause du besoin de dégager un compromis. Le tableau 3 examine
cette hypothèse en comparant le sort des projets de loi dinitiative ministérielle
déposés pendant les 36e, 37e et 38e
législatures.
Afin de faciliter la comparaison, les résultats sont normalisés en fonction
d’une session de 150 jours de séance.
Comme le révèle le tableau 3, lorsque les résultats sont normalisés en
fonction dune session de 150 jours de séance, la 38e législature a adopté
un nombre absolu plus élevé de projets de loi que les deux sessions de
la 36e
législature ou les deux premières sessions de la 37e. Cette productivité
signifie que la 38e législature a utilisé son temps plus efficacement quun
grand nombre des législatures récentes qui lont précédée, ce qui semble
contredire laffirmation que les parlements minoritaires sont foncièrement
inefficaces. En outre, même si la proportion de projets de loi dinitiative
ministérielle adoptés a été moins élevée durant la 38e législature que durant
la 36e, elle était égale ou supérieure au taux de réussite des deux dernières
sessions de la 37e législature. Il semble donc que la 38e législature na
pas été beaucoup moins efficace que le gouvernement majoritaire qui lavait
précédée.
Tableau 3
Efficacité législative des 36e, 37e et 38e législatures.
Données normalisées
en fonction dune session de 150 jours de séance.
|
|
36.1
|
36.2
|
37.1
|
37.2
|
37.3
|
38
|
Projets de loi dinitiative ministérielle déposés
|
52
|
56
|
53
|
59
|
98
|
86
|
Projets de loi dinitiative ministérielle adoptés
|
43
|
34
|
42
|
28
|
57
|
50
|
Projets de loi dinitiative ministérielle rejetés
|
|
|
|
|
|
2
|
Taux de réussite des projets de loi déposés
|
82 %
|
60 %
|
79 %
|
47 %
|
58 %
|
58 %
|
Rôle des simples députés dans la 38e législature
Des analystes prédisent que les récentes modifications apportées à la procédure
devraient permettre aux simples députés de jouer un plus grand rôle dans
les parlements minoritaires, ce qui accroîtrait leur capacité de représenter
les intérêts de leurs électeurs. Malheureusement, il est difficile de mesurer
directement le rôle des députés à la Chambre, étant donné que certains
critères, comme la capacité du député de contribuer de manière significative
au débat parlementaire, ne sont pas faciles à quantifier. Toutefois, il
est relativement simple de voir si le nombre de projets de loi dinitiative
parlementaire adoptés par le Parlement a changé avec larrivée dun gouvernement
minoritaire.
Le tableau 4 présente le sort des projets de loi dinitiative parlementaire
qui ont atteint la deuxième lecture dans les 37e et 38e législatures. Les
résultats sont normalisés en fonction dune session de 150 jours de séance.
Comme le montre le tableau 4, il ny a pas eu de modification notable du
nombre de projets de loi dinitiative parlementaire adoptés par la Chambre
durant la 38e législature. Le taux de réussite a plutôt été conforme à
celui des deux dernières sessions de la 37e législature
et a été beaucoup plus élevé que celui de la première session de celle-ci. Par
conséquent, la présence d’un parlement minoritaire n’a tout de même pas semblé
avoir une incidence significative sur le taux de réussite des projets de loi
d’initiative parlementaire.
Tableau 4
Sort des projets de loi dinitiative parlementaire qui ont atteint létape
du débat de la deuxième lecture durant les 37e et 38e législatures.
Données
normalisées en fonction dune session de 150 jours de séance.
|
Chambre des communes
|
37,1
|
37,2
|
37,3
|
38
|
Projets de loi dinitiative parlementaire ayant atteint la deuxième
lecture
|
46
|
44
|
87
|
44
|
Projets de loi dinitiative parlementaire adoptés
|
0
|
4
|
8
|
4
|
Taux de réussite des projets de loi ayant atteint la deuxième lecture
|
0
|
9 %
|
9 %
|
9 %
|
Responsabilisation de lexécutif par les comités permanents
La reddition de comptes de lexécutif au parlement est lune des pierres
angulaires du système parlementaire de Westminster. Comme la écrit McMenemy,
elle se définit ainsi :
Lobligation quune personne ou un groupe expliquent et acceptent leur
responsabilité envers une autre personne ou un autre groupe pour les mesures
prises par eux et ceux quils supervisent. Dans le système parlementaire
canadien, le principe du gouvernement responsable exige que lexécutif
politique [
] réponde aux critiques à lassemblée législative et maintienne
la « confiance » de la Chambre des communes ou de lassemblée législative
provinciale, afin de rester au pouvoir11.
Les outils de la responsabilisation de lexécutif dont dispose le Parlement
font généralement partie de deux grands groupes : ceux employés par les
comités permanents et ceux utilisés par lensemble de la Chambre des communes.
Comme nous lavons dit plus tôt, les comités permanents doivent examiner
les budgets annuels des ministères et organismes qui relèvent de leur mandat.
Les comités peuvent aussi entreprendre des études du fonctionnement des
ministères et ont le pouvoir dexaminer « les textes législatifs pertinents;
les objectifs dun ministère ou dun organisme; leurs plans de dépenses
immédiats ainsi quà moyen et à long terme; lévaluation de leurs activités
par rapport à leurs objectifs; toute autre question liée au mandat ou aux
activités du ministère ou de lorganisme »12. Même si ces études ne sont
pas exécutoires, elles donnent aux députés la possibilité dexprimer leurs
points de vue sur lexécutif et offrent aux citoyens la chance dexprimer
leurs préoccupations en témoignant devant les comités13.
De plus, les comités ont le pouvoir de demander que le gouvernement réponde à
une étude dans les 150 jours qui suivent le dépôt de leur rapport à la Chambre,
ce qui force l’exécutif à se prononcer sur les constatations et les
recommandations des comités. Par conséquent, les études des comités peuvent
constituer des outils efficaces pour attirer l’attention publique sur les
faiblesses de l’exécutif, en particulier lorsque tous les partis s’entendent sur
les résultats de l’étude.
En plus des études, les comités permanents peuvent aussi adopter des motions
demandant au gouvernement dadopter certaines politiques ou dexaminer
un enjeu donné. Ces motions peuvent être présentées après que le comité
a délibéré sur une question ou être mises aux voix immédiatement, sans
discussion préalable. Comme nous lavons signalé plus tôt, on peut aussi
demander aux comités permanents dexaminer les candidats aux nominations
par décret. Même si un comité ne peut pas rejeter une nomination, il peut
faire enquête sur le candidat et donner son opinion quant à savoir si le
candidat est qualifié pour le poste.
Le tableau 5 résume les mesures prises par les 16 comités permanents thématiques
qui existaient de la 36e à la 38e
législature. Tout comme pour les tableaux
précédents, les résultats sont normalisés en fonction dune session de
150 jours, afin de faciliter la comparaison.
Tableau 5
Comparaison du contrôle sur lexécutif exercé par quelques comités permanents
durant les 36e, 37e et 38e législatures.
Données normalisées en fonction
dune session de 150 jours de séance.
|
|
36,1
|
36,2
|
37,1
|
37,2
|
37,3
|
38
|
Nominations examinées et acceptées
|
1
|
|
|
2
|
3
|
8
|
Nominations examinées et rejetées
|
|
|
|
|
|
1
|
Budget modifiés
|
|
|
|
2
|
|
6
|
Motions demandant au gouvernement dagir
|
3
|
9
|
5
|
10
|
8
|
30
|
Études
|
45
|
41
|
44
|
60
|
25
|
46
|
Les données montrent que, même si le nombre détudes et de règlements examinés
a été relativement constant dans toutes les sessions observées, il y a
eu, durant la 38e législature, une forte augmentation du nombre de nominations
examinées, de budgets modifiés et de motions demandant au gouvernement
dagir. Des exemples précis de ces trois activités seront maintenant présentés
afin de donner une vue plus globale de la manière dont ces outils ont été
employés dans la 38e législature.
En ce qui concerne lexamen des nominations, la plupart des candidats ont
fini par être approuvés par le comité qui les a examinés. Ce taux élevé
dapprobation semble indiquer que les comités nont pas pris le temps dexaminer
les nominations avec soin ou que le gouvernement a choisi ses candidats
avec soin afin déviter de se retrouver dans lembarras lors des examens.
Cependant, le respect, par le gouvernement, du processus dexamen a été
mis en doute lorsquon a demandé au Comité permanent de lenvironnement
et du développement durable de se pencher sur la candidature de lancien
maire de Winnipeg, Glen Murray, au poste de président de la Table ronde
nationale sur lenvironnement et léconomie. Le Comité permanent a recommandé
de ne pas nommer M. Murray en raison de ses liens étroits avec le Parti
libéral. Néanmoins, le premier ministre a choisi de ne pas tenir compte
des conclusions du Comité et a confirmé la nomination, ce qui a incité
les députés dopposition membres du Comité à se venger lors de lexamen
du budget, comme nous le verrons ci-dessous. Le rejet de la nomination
de M. Murray a cependant démontré que les comités permanents étaient disposés
à rejeter de candidats quils ne jugeaient pas qualifiés.
Quant à lexamen des budgets, le tableau 5 montre que les comités permanents
navaient modifié des budgets quà deux reprises avant la 38e législature,
les deux fois pendant la deuxième session de la 37e.
Dans le premier cas,
le Comité permanent des opérations gouvernementales avait réduit le budget
du commissaire à la protection des renseignements personnels, George Radwanski,
de 1 000 $ afin dindiquer quil se préoccupait de la taille démesurée du
budget du commissaire et désapprouvait le fait que ce dernier nétait pas
venu témoigner pour justifier ses dépenses. Dans le deuxième cas, le budget
de VIA Rail avait été réduit de 2,9 %, pour des raisons inconnues, étant
donné que le comité se réunissait à huis clos lors du vote.
Dans la 38e législature, les partis dopposition ont utilisé le processus
dexamen des budgets pour tenir le gouvernement responsable de mesures
jugées inopportunes. En novembre 2005, les députés de lopposition membres
du Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires
ont décidé que le Bureau du Conseil privé (BCP) naurait pas dû mener des
sondages pour déterminer comment atténuer la réaction du public au rapport
de 2005 de la vérificatrice générale. Afin dexprimer son mécontentement,
le Comité a voté de réduire le budget du BCP de 127 233 $, soit le coût déclaré
du sondage. À la même séance, les membres de lopposition ont également
réduit le budget du Bureau du gouverneur général de 10 % ou 417 000 $, parce
que celui-ci navait pas pris de mesures suffisantes pour réduire les coûts.
Par ailleurs, en mars 2005, les membres de lopposition du Comité permanent
des affaires étrangères ont réduit de 1 $ le budget supplémentaire des dépenses
du ministère des Affaires étrangères. La mesure était symbolique et visait
à exprimer le mécontentement du Comité au sujet du sous-financement du
Ministère par le gouvernement (aux termes du Règlement, les comités permanents
ne peuvent que réduire le budget dun ministère).
Le processus budgétaire a aussi été utilisé pour montrer au gouvernement
quil y aurait un prix à payer si les comités permanents ne recevaient
pas le respect qui leur était dû. Des députés de lopposition membres du
Comité permanent de lenvironnement se sont vengés du premier ministre
au sujet de la nomination de Glenn Murray en réduisant le budget de la
Table ronde nationale sur lenvironnement et léconomie de 40 000 $, soit
ce quils estimaient être le traitement de M. Murray à titre de président.
De même, après que le ministre des Travaux publics a refusé, à deux reprises,
de se présenter devant le Comité des opérations gouvernementales et des
prévisions budgétaires, des membres de lopposition ont décidé de le punir
en réduisant son traitement et ses dépenses de voyages à même le budget
du Ministère. Les députés de lopposition membres du Comité de la citoyenneté
et de limmigration ont également voté une réduction de tous les budgets
supplémentaires de Citoyenneté et Immigration Canada parce que le Ministre
navait pas expliqué correctement la nécessité des crédits supplémentaires.
Cependant, le Comité a donné au Ministre une deuxième chance de sexpliquer
et a finalement été convaincu dapprouver le budget. De toute évidence,
les partis dopposition ont assez bien réussi, durant la 38e législature,
à utiliser le processus dexamen budgétaire pour tenir le gouvernement
responsable de ses actes.
Frame6
En ce qui concerne les motions relatives aux mesures gouvernementales,
il y a eu, au cours de la 38e législature, une augmentation massive du nombre
de motions adoptées et de la diversité de leur contenu. Avant, près de
la moitié des motions des comités étaient celles du Comité permanent des
affaires étrangères et du commerce international demandant au gouvernement
de réagir à une question internationale dactualité. Les autres portaient
généralement sur des questions techniques relatives au mandat du comité
en question. Parmi elles, on trouve la motion du Comité de la santé qui
a demandé au gouvernement dinstaurer une politique sur les conflits dintérêts
à lintention des Instituts de recherche en santé du Canada et celle du
Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants qui
a demandé au gouvernement délargir lexpansion des prestations aux conjoints
survivants de manière à inclure les conjoints survivants des anciens combattants
déjà décédés. La plupart du temps, ces motions nétaient pas conflictuelles
et nattiraient pas lattention sur une défaillance du gouvernement.
Par contre, les motions adoptées durant la 38e législature ont porté sur
un éventail beaucoup plus large de sujets et ont été beaucoup plus conflictuelles.
De nombreux comités ont adopté des motions visant à sattaquer à des lacunes
des politiques gouvernementales existantes, comme la motion du Comité de
la santé visant à indemniser toutes les victimes de lhépatite C, la motion
du Comité de limmigration visant à créer un nouveau système pour les visas
de résidents temporaires, la motion du Comité du patrimoine visant à accroître
le financement de Radio-Canada, et les motions répétées du Comité de la
justice visant à mettre fin à la fermeture de détachements de la GRC au
Québec. Des exemples dautres motions comprennent celles qui demandaient
au gouvernement : de défendre le système canadien de gestion de loffre
agricole à lOMC; de créer un registre national des implants mammaires;
dinterdire les ventes par Internet de produits pharmaceutiques aux États-Unis;
de permettre limmigration de 2 000 familles vietnamiennes vivant aux Philippines;
détablir une commission pour examiner le mandat de Radio-Canada; daméliorer
le système de nomination des juges pour le rendre plus transparent. Même
sil y a eu également quelques motions non conflictuelles (par exemple,
la motion du Comité de la citoyenneté et de limmigration demandant que
Postes Canada émette une série de timbres pour célébrer le 50e anniversaire
du premier mouvement important de réfugiés au Canada), les comités permanents
de la 38e législature ont beaucoup mieux réussi que leurs prédécesseurs
des deux législatures précédentes à utiliser les motions pour obliger lexécutif
à rendre des comptes.
Responsabilisation de lexécutif par la Chambre des communes
Le plus puissant outil dont dispose la Chambre des communes pour tenir
lexécutif responsable est sa capacité de retirer sa confiance dans le
gouvernement et de déclencher ainsi une élection. Cependant, il sagit
dun pouvoir énorme qui doit être utilisé avec modération, parce que les
citoyens peuvent être implacables envers les partis qui donnent limpression
davoir déclenché une élection sans motif suffisant14. Les menaces de vote
de censure sont donc proférées avec soin, le gouvernement acceptant la
plupart des demandes de lopposition, dans la mesure où elles sont raisonnables.
La Chambre des communes peut aussi défier le gouvernement lors de ladoption
du discours du Trône et de la loi de mise en uvre du budget, qui énoncent
les priorités du gouvernement et les moyens de les réaliser. En outre,
la Chambre peut bloquer des lois dont le gouvernement a besoin pour concrétiser
son programme et perturber le fonctionnement du Parlement jusquà ce que
le gouvernement accepte dapporter les changements nécessaires.
La 38e législature a commencé dans un climat dassez grande collaboration
à la Chambre des communes. Même si les conservateurs et les bloquistes
ont dabord menacé de voter contre, le discours du Trône du gouvernement
a finalement été adopté à lunanimité après que tous les partis se sont
entendus pour le modifier afin dinclure des plans pour un vote sur la
participation canadienne au programme de défense antimissiles américain
et des baisses dimpôt pour les familles à faible et moyen revenu.
Toutefois, cet esprit de collaboration a été assez éphémère et, au début
de 2005, la mésentente régnait entre le gouvernement et les partis dopposition.
Le premier grand incident où la Chambre des communes a forcé le gouvernement
à modifier ses plans est survenu en février 2005, quand les partis dopposition
se sont unis pour rejeter deux projets de loi qui auraient scindé le ministère
des Affaires étrangères et du Commerce international en deux ministères
distincts. Les partis dopposition voulaient exprimer ainsi leur désapprobation
de cette scission, qui avait déjà commencé avant même quune approbation
législative officielle ait été obtenue.
Les tensions entre lexécutif et les partis dopposition se sont ravivées
durant le débat sur le budget fédéral de 2005. Le Parti conservateur a
dabord appuyé le budget, parce quil diminuait limpôt sur le revenu des
sociétés et accroissait les dépenses militaires. En revanche, le NPD lui
a reproché de ne pas appuyer léducation et les programmes environnementaux,
tandis que le Bloc sy est opposé parce quil nélargissait pas ladmissibilité
à lassurance-emploi et naccroissait pas les paiements de transfert au
Québec. La situation a toutefois changé après quun témoignage particulièrement
scandaleux à lenquête Gomery a poussé les conservateurs à conclure que
le gouvernement libéral était corrompu et devait être renversé rapidement,
tandis que le NPD a vu une possibilité dimposer les changements quil
souhaitait dans le budget. En fin de compte, le gouvernement libéral a
décidé de modifier le budget pour obtenir lappui du NPD, et accepté de
reporter les baisses de limpôt sur le revenu des sociétés afin de permettre
4,6 milliards de dollars de nouvelles dépenses dans les secteurs de léducation
postsecondaire, du logement à prix modique, de laide étrangère et du transport
en commun. Toutefois, craignant que le budget ne soit pas adopté, même
avec lappui du NPD, le gouvernement a ensuite commencé à reporter le vote
à la deuxième lecture. Les bloquistes et les conservateurs se sont alors
unis pour perturber le fonctionnement du Parlement afin de faire ressortir
le manque de contrôle du gouvernement et la nécessité dune élection anticipée.
Finalement, les libéraux ont fait volte face et accepté de tenir le vote
sur le budget, qui a été adopté parce que le président a brisé légalité.
Les libéraux se sont ensuite organisés pour que le budget soit adopté en
troisième lecture en concluant, avec le Bloc, un accord en vertu duquel
ce parti appuierait une motion de clôture du débat sur le budget en contrepartie
de la mise aux voix du projet de loi sur le mariage entre conjoints de
même sexe avant le congé estival. Les conservateurs nétaient pas préparés
pour le vote surprise et nont pas réussi à obtenir le nombre de voix nécessaires
pour rejeter le budget.
Néanmoins, les retombées du scandale des commandites ont fini par rattraper
les libéraux. Après la publication de la première partie du rapport Gomery,
les bloquistes et les conservateurs ont déclaré à nouveau que le gouvernement
libéral avait perdu lautorité morale pour gouverner et devrait faire face
à une élection immédiate. Les néo-démocrates ont alors entamé des négociations
avec les libéraux, afin dobtenir dautres concessions en contrepartie
de leur appui continu. En labsence dune réponse satisfaisante de la part
des libéraux, le NPD sest uni aux autres partis dopposition pour adopter
une motion non exécutoire qui demandait au gouvernement de dissoudre le
Parlement en janvier afin de tenir des élections le 13 février 2006. Les
libéraux ont cependant déclaré quils ignoreraient la motion de lopposition,
ce qui a poussé les partis dopposition à adopter une motion de censure
contre le gouvernement le 29 novembre 2005.
Durant la 38e législature, la Chambre des communes possédait clairement
des pouvoirs importants pour tenir le gouvernement responsable de ses actes.
Les députés ont pu modifier le discours du Trône et le budget, rejeter
des projets de loi du gouvernement et imposer des compromis sur des projets
de loi controversés, des mesures qui ne sétaient jamais vues durant les
gouvernements majoritaires précédents. Les partis dopposition ont aussi
pu retirer leur confiance lorsque le gouvernement a refusé de déclencher
une élection quils estimaient nécessaire.
Cependant, malgré cette responsabilisation accrue, le gouvernement a eu
de nombreuses possibilités de faire avancer son programme sans rendre de
comptes à la Chambre des communes. Voici des exemples de mesures gouvernementales
prises sans débat ou consentement parlementaire : le déploiement de militaires
en Afghanistan; le lancement du « Nouveau pacte pour les collectivités canadiennes »;
la signature des accords sur la garde des enfants avec les provinces et
les territoires; des accords sur les marchés du travail avec lOntario
et le Manitoba; lélaboration de l« Accord de Kelowna » avec les Premières
Nations du Canada; la négociation daccords sur le partage des recettes
provenant de lexploitation du pétrole produit en mer avec les provinces
de lAtlantique. Même si ces initiatives exigeaient des crédits budgétaires,
leur élaboration par le gouvernement a fait naître des attentes chez les
partenaires et engagé le gouvernement dans une direction de politique difficile
à modifier. Le gouvernement a également maintenu ses prérogatives exécutives
traditionnelles, y compris la nomination de la gouverneure générale et
de sénateurs. Par conséquent, même si la 38e législature a pu demander davantage
au gouvernement de rendre des comptes par rapport à un grand nombre de
ses prédécesseurs, le gouvernement avait encore une grande marge de manuvre,
parce quil était capable de conclure des ententes et deffectuer certaines
nominations sans le consentement du Parlement.
Enfin, il y a également quelques signes que les partis dopposition ont
brandi la menace de tenir le gouvernement responsable de ses actes afin
datteindre leurs propres objectifs. Lutilisation des dispositions relatives
à la responsabilité pour obtenir des avantages partisans semble avoir été
une tactique employée par le NPD, qui a menacé de ne pas donner son appui
si le gouvernement ne modifiait pas le budget de 2005, et par le Bloc Québécois,
qui a aidé le gouvernement à faire adopter le budget à la troisième lecture,
à condition que le projet de loi sur le mariage entre conjoints de même
sexe soit mis aux voix avant le congé de lété 2005. Ces ententes ont permis
au gouvernement de reporter lélection de plusieurs mois, même si le Bloc
et le NPD avaient répété à maintes reprises que le scandale des commandites
avait privé les libéraux de lautorité morale pour gouverner. De plus,
elles ont permis à ces deux partis dopposition (et particulièrement au
NPD) dexercer sur la politique gouvernementale une influence disproportionnée
par rapport au nombre de sièges dont ils disposaient à la Chambre des communes.
Stabilité du gouvernement
Les opposants aux gouvernements minoritaires soutiennent que ces gouvernements
sont beaucoup moins stables que les gouvernements majoritaires, ce qui
leur donne une durée de vie beaucoup plus courte. Afin de vérifier cette
hypothèse, le tableau 6 compare la durée des 36e, 37e et 38e législatures
en fonction du nombre de jours de séance et de mois entre les élections.
Le tableau 6 démontre que la durée de la 38e législature correspond à moins
de la moitié de celle de ses deux prédécesseurs immédiats, aussi bien en
nombre de mois entre les élections quen jours de séance. Lanalyse de
la responsabilisation de lexécutif ci-dessus démontre clairement que cette
durée plus courte est attribuable à une concurrence accrue entre les partis,
comme les opposants aux parlements minoritaires le prédisent. De fait,
même si la 38e législature a fini par durer jusquen novembre 2005, le gouvernement
est presque tombé à plusieurs reprises sur un vote de censure dont lissue
était incertaine, le vote en deuxième lecture sur le budget de mai 2005
en étant peut-être lexemple le plus spectaculaire. On pourrait donc facilement
affirmer que la 38e législature a été moins stable que les gouvernements
majoritaires qui lavaient précédée.
Tableau 6
Durée des 36e, 37e et 38e législatures
|
|
36e
législature
|
37e
législature
|
38e
législature
|
Mois entre les élections
|
42
|
43
|
19
|
Jours de séance
|
381
|
422
|
160
|
Capacité des citoyens de tenir les gouvernements et les parlements responsables
lors des élections
Pour le moment, il nexiste pas de preuves détaillées indiquant si les
divers compromis entre le gouvernement et les partis dopposition durant
la 38e législature ont semé la confusion chez les électeurs qui ont tenté
de déterminer qui était responsable des réussites et des lacunes du gouvernement.
Toutefois, un bref examen des programmes électoraux des partis indique
quil y avait un risque de confusion, étant donné que le Parti libéral
et le NPD se sont tous les deux attribué le crédit des mêmes dispositions
du budget de 2005.
Comme nous lavons dit plus tôt, les néo-démocrates ont appuyé les libéraux
en échange de concessions sur le budget sous forme de hausses des dépenses
consacrées aux programmes sociaux, environnementaux et de développement
international. Quand lamendement a été déposé à la Chambre des communes,
le NPD la qualifié de « budget du NPD » et il a continué dutiliser ce terme
tout au long de la campagne électorale de 2005-2006. Le NPD sest aussi
attribué le fait que le budget était équilibré, quil remboursait la dette,
quil prévoyait des allégements fiscaux pour les petites entreprises et
quil ne prévoyait pas de nouvelle mesure fiscale. Cependant, les libéraux
sattribuaient aussi dans leur programme électoral les dépenses sociales
prévues par lamendement ainsi que léquilibre budgétaire, le remboursement
de la dette et les dispositions fiscales.
En réalité, aucun des deux partis ne peut sattribuer complètement tous
les éléments du budget. Le NPD a raison de faire remarquer que le Parti
libéral naurait pas accru ses dépenses sociales sil navait pas été forcé
de le faire (les libéraux auraient prévu de telles dispositions dans le
budget original sils en avaient vraiment eu lintention). Toutefois, puisque
lamendement budgétaire ne portait que sur la réaffectation de 4,6 milliards
de dollars de baisses dimpôt prévues vers de nouvelles dépenses, léquilibre
général du budget, ses dispositions en matière de remboursement de la dette
et ses allégements fiscaux pour les petites entreprises peuvent être attribués
directement au document budgétaire original déposé par les libéraux. Par
conséquent, les deux partis sattribuent des éléments du budget dont ils
ne sont pas directement responsables, ce qui pourrait tromper les électeurs.
En outre, ni le Parti libéral ni le NPD ne peut sattribuer entièrement
le mérite du budget, étant donné que cest le Bloc Québécois qui a appuyé
la motion de clôture ayant permis au budget dêtre adopté en troisième
lecture, au moment où les conservateurs nétaient pas préparés. En outre,
le budget naurait pas été adopté en deuxième lecture sans lappui de quelques
députés indépendants, soit Carolyn Parish et Chuck Cadman, ainsi que lancienne
députée conservatrice Belinda Stronach, qui avait traversé la Chambre pour
devenir libérale peu de temps avant le vote. De toute évidence, les électeurs
ont certainement eu beaucoup de mal à décider qui était responsable du
budget de 2005.
Conclusion
Il était impossible dêtre stagiaire parlementaire dans les derniers mois
de la 38e législature et de ne pas être frappé par la manière dont la présence
dun gouvernement minoritaire modifiait le fonctionnement habituel du Parlement.
Finie lépoque où le Parlement ne faisait quapprouver automatiquement
le programme législatif du gouvernement. Chaque vote était plutôt devenu
une mini-crise, les leaders à la Chambre sefforçant dobtenir lappui
des autres partis pendant que le bureau du whip se démenait pour quun
nombre suffisant de députés soit présent afin dempêcher (ou de provoquer)
la défaite de la question à létude. Cette tension était palpable non seulement
dans le cadre habituellement tapageur de la Chambre des communes, mais
aussi au sein des comités permanents, normalement plus calmes, qui sont
devenus des lieux où se livraient des batailles rangées sur ladoption
de projets de loi, des budgets des dépenses et des motions demandant au
gouvernement dagir.
Même si la plupart des députés ont trouvé cette situation des plus désagréable,
pour la première fois depuis plus de deux décennies, tous les partis et
tous les députés ont pu véritablement influer sur le résultat des travaux
parlementaires. Étant donné que la démocratie canadienne repose sur le
principe que les députés sont élus pour représenter leurs électeurs dans
le processus politique, la 38e législature pourrait bien avoir été lassemblée
la plus démocratique que le Canada a jamais vu depuis la chute du gouvernement
Clark.
La présente étude visait à réduire les incertitudes au sujet de la réforme
électorale en prenant lexemple de la 38e législature pour déterminer si
des changements électoraux qui accroîtraient la fréquence des gouvernements
minoritaires amélioreraient ou affaibliraient la qualité de la démocratie
au Canada. Bien que certains soutiennent que lincidence dune réforme
électorale serait tellement grande quelle rendrait vides de sens toute
comparaison avec les législatures précédentes, ces arguments ne tiennent
pas compte du fait que les parlementaires choisis au moyen dun nouveau
système électoral seraient assujettis aux mêmes règles, procédures et conventions
que celles qui régissent les élus dans le système actuel. Une évaluation
du fonctionnement des gouvernements minoritaires actuels peut donc laisser
entrevoir comment le fonctionnement de la démocratie changerait si les
parlements minoritaires devenaient plus fréquents.
Plusieurs des arguments en faveur de la réforme électorale sont étayés
par les événements de la 38e législature. Comparativement aux deux législatures
qui lont immédiatement précédée, la 38e
a été caractérisée par plus de compromis législatifs entre les partis et un
nombre beaucoup plus élevé de projets de loi d’initiative ministérielle renvoyés
à un comité avant la deuxième lecture. La capacité du Parlement de tenir
l’exécutif responsable a aussi été grandement renforcée, les comités permanents
ayant pu modifier les budgets des dépenses, examiner les candidats à des postes
élevés et adopter de nombreuses motions demandant une intervention du
gouvernement. De même, la Chambre des communes a pu exercer la
responsabilisation en rejetant des projets de loi, en modifiant le budget et le
discours du Trône et en retirant sa confiance au gouvernement. Curieusement,
l’hypothèse que les simples députés jouent un plus grand rôle dans les
parlements minoritaires ne s’est pas confirmée, aucun changement n’ayant été
observé dans le nombre de projets de loi d’initiative parlementaire qui ont été
adoptés.
En plus de confirmer quelques avantages présumés des parlements minoritaires,
la production législative relativement élevée de la 38e législature semble
indiquer que les gouvernements minoritaires ne sont pas fondamentalement
inefficaces, ce qui contredit lun des principaux arguments contre la réforme
électorale. Toutefois, les affirmations que les gouvernements sont plus
instables et plus éphémères ont été appuyées par les événements de la 38e législature.
Il y a eu également des signes que les compromis conclus entre les partis
durant celle-ci pourraient avoir nui à la capacité des citoyens de tenir
le gouvernement responsable lors de lélection suivante, étant donné que
plusieurs partis se sont attribué les mêmes programmes gouvernementaux.
De plus, la capacité du NPD dimposer des modifications au budget de 2005
semble indiquer que les petits partis dans la 38e législature ont exercé
plus dinfluence sur la politique du gouvernement que leur part des votes
laurait laissé supposer, ce qui pourrait confirmer les inquiétudes au
sujet de la « tyrannie de la minorité » exprimée par ceux qui sopposent
à la réforme électorale15.
Il faut réaliser dautres recherches pour mesurer lincidence des parlements
minoritaires sur la capacité des citoyens de tenir les gouvernements responsables
lors des élections, mais, dans lensemble, les résultats de la présente
étude semblent indiquer que les avantages démocratiques potentiels des
parlements minoritaires pourraient lemporter sur les inconvénients. La
38e législature sest certainement caractérisée par plus de compromis législatifs
et de responsabilisation de lexécutif que ce qui avait été vu à la Chambre
des communes depuis de nombreuses années, et les problèmes auxquels elle
a été confrontée ne semblent pas insurmontables. Ainsi, bien que le Parlement
ait certainement été moins stable et plus éphémère, il a tout de même pu
résoudre quelques questions épineuses, comme le mariage entre conjoints
de même sexe. De même, bien que la question de la confusion des électeurs
et de la tyrannie de la minorité soit certainement préoccupante, on peut
espérer que les médias pourront démythifier les tentatives des partis de
sattribuer plus que leur part du mérite pour les réussites du gouvernement
ou déviter leur part de blâme pour ses échecs.
Même si les événements de la 38e législature semblent indiquer que la démocratie
du Canada pourrait saméliorer avec ladoption dun système électoral qui
accroît la fréquence des gouvernements minoritaires, il faut mener dautres
recherches avant de pouvoir affirmer de manière concluante que le Canada
devrait réformer son système électoral. Le contexte de la 38e législature
était assez particulier, car il y a rarement eu par le passé dans lhistoire
canadienne un moment où le parti au pouvoir a été surveillé daussi près
et a fait lobjet de critiques aussi vives. En outre, le gouvernement Martin
sétait engagé à donner des pouvoirs aux parlementaires pour quils jouent
un rôle plus actif dans lexamen des mesures prises par le gouvernement.
Par conséquent, il faudrait étudier la 39e législature pour voir si les
constatations au sujet de la 38e se répéteront lorsquun autre parti est
au pouvoir. En outre, avant de procéder à une réforme électorale, il faudrait
également réaliser des études pour savoir : 1) si linstabilité des gouvernements
minoritaires pourrait empêcher le gouvernement et le parlement de résoudre
des problèmes à plus long terme ou de prendre des mesures nécessaires mais
impopulaires sur des enjeux controversés; 2) si la capacité des électeurs
de voter de manière éclairée est grandement réduite par les compromis que
font les parlements minoritaires; 3) si des élections plus fréquentes accroîtraient
la lassitude des électeurs; 4) si les partis peuvent obtenir un financement
suffisant pour participer utilement aux campagnes électorales lorsque les
élections deviennent plus fréquentes. Les réponses à ces questions aideront
les Canadiens à prendre une décision informée sur les avantages et les
inconvénients dune réforme de leur système électoral.
Notes
1. Peter Dobell, « À quoi les Canadiens peuvent-ils sattendre advenant
un gouvernement minoritaire? », Enjeux publics, vol. 1, n° 6 (novembre 2000),
p. 12-13.
2. CES Franks, The Parliament of Canada, Toronto, University of Toronto
Press, 1987, p. 181.
3. David Docherty, Legislatures, Vancouver, UBC Press, 2005, p. 162-163.
4. Canada, Bureau du Conseil privé, Éthique, responsabilité, imputabilité
: Plan daction pour la réforme démocratique, 2004, p. 4-5, 8, 12.
5. Canada, Chambre des communes, « Règles de recevabilité des amendements
aux projets de loi à létape de létude en comité et du rapport », Compendium
de procédure en ligne, mars 2006, consulté le 27 février 2007. Internet :
<www.parl.gc.ca/compendium/web-content/c_g_legislativeprocess-f.htm?Language=F>
6. Robert Marleau et Camille Montpetit, La procédure et les usages de la
Chambre des communes, Ottawa, Chambre des communes; Montréal, Chenelière/McGraw-Hill,
2000, chapitre 20.
7. Peter Aucoin et Elizabeth Goodyear-Grant, « Designing a merit-based process
for appoint boards of ABCs: Lessons from the Nova Scotia reform experience »,
Administration publique du Canada, vol. 45, n° 3 (automne 2002), p. 302-304.
8. Peter Aucoin et Lori Turnbull, « The democratic deficit: Paul Martin
and parliamentary reform », Administration publique du Canada, vol. 26,
n° 4 (hiver 2003), p. 434-435.
9. Ces comités sont : Affaires autochtones et développement du Grand Nord;
Affaires étrangères et commerce international; Agriculture et agroalimentaire;
Citoyenneté et immigration; Comptes publics; Défense nationale et anciens
combattants; Développement des ressources humaines, développement des compétences
et développement social; Environnement et développement durable; Finances;
Industrie, ressources naturelles, sciences et technologie; Justice; Opérations
gouvernementales et prévisions budgétaires; Patrimoine canadien; Pêches
et océans; Santé; Transports.
10. Nombre de jours de séance : 36e législature, 1re
session : 248; 36e législature,
2e session : 133; 37e législature, 1re session : 214; 37e législature, 2e
session : 153; 37e législature, 3e session : 55; 38e législature : 160.
11. John McMenemy, The Language of Canadian Politics: A Guide to Important
Terms and Concepts, éd. rev., Waterloo, Wilfrid Laurier University Press,
1999, p. 1.
12. Robert Marleau et Camille Montpetit, op. cit., chapitre 20.
13. David Docherty, op. cit., p. 166-167.
14. Chuck Strahl, « Politique et procédure dans un parlement minoritaire »,
Revue parlementaire canadienne, vol. 27, no 4 (hiver 2004-2005), p. 7.
15. Jim Nielsen, « Le Parlement et la démocratie au XXIe Siècle [sic] : Plaidoyer
à lencontre de la représentation proportionnelle », Revue parlementaire
canadienne, vol. 27, no
4 (hiver 2004-2005), p. 2.
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