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 Paul G. Thomas
 
 
 
Le Parlement est une tribune politique où un petit groupe de politiciens
 partisans (le premier ministre et le Cabinet) dispose des pouvoirs et des
 ressources nécessaires pour définir et mettre en uvre les politiques publiques.
 Ils le font en tenant compte du fait quils doivent régulièrement rendre
 des comptes sur leur travail aux représentants élus par la population.
 Le présent article sintéresse au concept traditionnel de responsabilité,
 de même quà certaines innovations récentes, comme le travail de différents
 hauts fonctionnaires du Parlement. 
 
Le rôle du Parlement consiste principalement à examiner les politiques
 et les mesures adoptées par le gouvernement et à y réagir. John Stuart
 Mill a très bien expliqué ce point lorsquil a écrit : « Au lieu de gouverner,
 ce quelle est radicalement incapable de faire, une assemblée représentative
 a pour fonction convenable de surveiller et de contrôler le gouvernement1 ».
 La surveillance et le contrôle sont clairement devenus des tâches gigantesques,
 sinon impossibles, pour les parlements, en raison de lampleur et de la
 complexité des activités gouvernementales daujourdhui, comparativement
 à celles de 1861, au moment de la parution du livre de Mill.  
 
Selon les spécialistes des affaires législatives contemporains, les parlements
 remplissent un certain nombre de fonctions officielles et officieuses à
 lintérieur des régimes politiques nationaux et provinciaux. Si lon veut
 utiliser des termes encore plus démodés, on peut dire que lapprobation
 des projets de loi et des dépenses, létude minutieuse des politiques et
 de ladministration, et les redressements spécifiques de griefs sont les
 tâches historiques qui incombent généralement aux parlements. 
 
La surveillance et le contrôle des gouvernements modernes 
 
Je souhaite me limiter aux deux dernières tâches : lexamen de ladministration
 et le redressement des griefs. Il sagit dexpressions manifestes de la
 fonction de surveillance et de contrôle des parlements dont Mill faisait
 jadis mention. Je me concentrerai dabord sur les relations qui existent
 entre les parlements et les bureaucraties. 
 
Les activités de surveillance et de contrôle effectuées par les parlements
 reflètent les relations censément tendues qui existent entre la démocratie
 et la bureaucratie. On craint que, si les bureaucraties sont laissées sans
 surveillance, elles puissent devenir arrogantes, incontrôlables, égocentriques,
 insensibles et inefficaces. Les sociétés doivent toutefois sen remettre
 aux grandes organisations publiques disposant de connaissances et de compétences
 spécialisées pour mettre en uvre des mesures productives. Cette réalité
 explique notre ambivalence (pour certaines personnes, il sagit même dun
 sentiment dhostilité) à légard des bureaucraties publiques. 
 
Je ne vais pas me lancer dans un débat à savoir si les stéréotypes négatifs
 à légard des bureaucraties publiques reflètent la réalité ou si la crainte
 des bureaucraties toutes-puissantes est fondée. Selon moi, ces deux idées
 sont fortement exagérées. De plus, ce ne sont pas tous les organismes publics
 qui sont disposés de la même façon à se soumettre à un contrôle ou à une
 direction politique hiérarchisée, ou qui ont le même degré douverture
 face à la société et aux individus. Il faut reconnaître ces différences
 lors de lélaboration des mécanismes de contrôle et dexamen. 
 
En raison du vaste champ dapplication et des limites floues des gouvernements
 modernes, la surveillance et le contrôle sont devenus des tâches difficiles,
 voire impossibles à accomplir par les parlements eux-mêmes. 
 
Conscients de cette situation, les parlements ont dû se fier, en grande
 partie, aux contrôles au sein du gouvernement, ainsi quau professionnalisme
 de la fonction publique pour assurer lintégrité et léquité dans lexercice
 du pouvoir. Ils ont également fait de plus en plus appel à des organismes
 indépendants pour étendre leur capacité limitée de superviser les décisions
 et les actions des ministres et des fonctionnaires, et pour fournir des
 mécanismes de règlement des plaintes aux citoyens individuels. 
 
En somme, les organismes parlementaires indépendants doivent remplir deux
 grandes fonctions. Ils doivent, tout dabord, traiter les plaintes individuelles
 relatives à des iniquités concernant divers types dactions et dinactions;
 ensuite, ils doivent promouvoir lamélioration du rendement et ladoption
 de normes appropriées pour la prestation des programmes et services publics.
 Ces deux fonctions sont complémentaires et les organismes parlementaires
 ne sacquittent pas de la totalité de leur mandat sils ne font que résoudre
 les plaintes individuelles, sans analyser les modèles décisionnels à améliorer.
 
 
La création de différents organismes parlementaires a permis à quelques
 citoyens de se sentir moins seuls et isolés lorsquils traitaient avec
 des bureaucraties énormes et souvent intimidantes. 
 
Manifestement, les parlements qui ne reçoivent pas daide ne peuvent pas
 surveiller de façon continue tout léventail des processus décisionnels
 et des mesures administratives qui touchent les citoyens. Les parlementaires
 ont toujours accepté de soccuper des « dossiers personnels » de leurs électeurs
 dans le contexte de leurs fonctions. Lorsque des problèmes étaient criants
 ou demeuraient sans solution, ils pouvaient être soulevés lors de la période
 des questions ou de létude du budget en comité. Ces efforts étaient utiles
 parce quils constituaient une « vérification ponctuelle » de lexercice
 du pouvoir bureaucratique. Grâce à une personne « visible » qui pouvait recevoir
 les plaintes des citoyens, les services fournis dans le bureau de circonscription
 contribuaient à « humaniser » la grosse machine gouvernementale. Toutefois,
 cette approche des dossiers individuels dépendait de la volonté et de la
 capacité de chacun des parlementaires dobtenir de linformation, des explications
 et des changements concernant les décisions des fonctionnaires permanents.
 Finalement, les parlements en sont venus à la conclusion que le droit des
 citoyens dobtenir un traitement équitable ne devrait pas être soumis aux
 aléas dun mécanisme de redressement politique. 
 
Les organismes parlementaires ont également élargi les moyens organisationnels
 limités dont disposaient les législatures pour examiner les activités des
 ministères et des organismes. Ils ont fourni aux parlements de précieux
 renseignements complémentaires qui étaient nécessaires pour tenir les organismes
 publics responsables, surtout en raison du développement, au sein des gouvernements,
 dun système de communication sophistiqué qui avait pour objectif de produire
 les analyses les plus positives possibles de leur rendement. 
 
Bref, je pars du principe que larrivée des organismes parlementaires indépendants
 a constitué un élément positif. Ils ont permis de renforcer la démocratie
 et la responsabilité de manière importante et significative. Les parlements
 de ce pays ne pourraient pas sacquitter de leurs responsabilités efficacement
 sans laide des organismes auxiliaires qui ont principalement été créés
 au cours des 30 dernières années. Voilà la bonne nouvelle. 
 
La surveillance, un défi 
 
Ce nest pas parce que les organismes parlementaires servent une cause
 noble au nom du Parlement quelles constituent des institutions parfaites,
 ou que leurs relations avec les autres institutions et avec les citoyens
 sont idéales. Jaimerais parler de deux problèmes. 
 
Le premier, qui est le plus important, concerne la collision des changements
 survenus au sein des gouvernements et des fonctions publiques de ce pays
 et au sein des parlements. 
 
De nombreux éléments, développements et événement précis ont fait en sorte
 que le public a perdu la confiance quil éprouvait envers les gouvernements.
 Les politiciens se sont retrouvés dans un environnement où les soupçons
 planaient tellement quils en sont venus à douter de leur propre valeur
 démocratique et de leur capacité de faire preuve de leadership et dadopter
 un comportement responsable dans leur charge publique. Ils ont créé de
 plus en plus dorganismes chargés de surveiller leur propre comportement.
 
 
Lapparition du mouvement « Réinventer le gouvernement » et la nouvelle stratégie
 de gestion adoptée pour la réforme du secteur public reflètent et renforcent
 à la fois le cynisme politique qui prend de lampleur depuis les années
 1970. 
 
Dans un slogan popularisé aux États-Unis, les citoyens affirmaient quils
 voulaient des gouvernements « qui travaillaient mieux et qui coûtaient moins
 cher ». Pour travailler mieux, ils devaient notamment se plier à des normes
 éthiques plus élevées. La perte de confiance à légard du processus politique
 et lapparition dune nouvelle gestion publique ont, en quelque sorte,
 mené à opter pour des solutions « de gestion » afin de régler des problèmes
 qui sont essentiellement dordre politique. 
 
Un exemple concret de cette tendance est la création de nouveaux organismes
 de surveillance et le renforcement des organismes existants dans le but
 de réglementer et de surveiller le comportement des titulaires de charges
 publiques, quils soient élus ou nommés. 
 
Le dernier exemple qui illustre cette tendance est la Loi fédérale sur
 la responsabilité, qui, selon mes calculs, entraînera la création de huit
 organismes de surveillance et renforcera le mandat de plusieurs autres
 déjà en place tant au gouvernement quau Parlement, en plus de leur accorder
 de nouvelles ressources. 
 
La surveillance et le contrôle (par la réglementation) sont des industries
 en forte croissance au sein du secteur public. Les principaux acteurs uvrant
 dans cette industrie relativement nouvelle de la responsabilité sont connus :
 les vérificateurs (tant à linterne quà lexterne), les protecteurs du
 citoyen (généraux et spécialisés), les commissaires et les commissions
 qui se penchent sur les conflits dintérêts et léthique, les commissaires
 à linformation et les commissaires à la protection de la vie privée, les
 agents responsables de la protection des dénonciateurs, les commissions
 des droits de la personne, les registraires des lobbyistes, les agents
 qui soccupent du financement des élections et des partis, et bien dautres
 encore. 
 
Il est en même temps ironique et inquiétant dassister à lémergence de
 cette nouvelle industrie de la surveillance et du contrôle au sein du secteur
 public. 
 
Ironique, parce que les gouvernements étaient censés se mettre au régime
 et réduire la réglementation dans le secteur privé. Pourtant, ils élaborent
 au même moment un lourd appareil de réglementation interne compliqué et
 spécialisé pour le secteur public. Inquiétant, parce que ce nouvel appareil
 de responsabilité pourrait avoir des répercussions imprévues sur le rendement
 des gouvernements. En dautres mots, nous devons tout simplement nous poser
 la question suivante : la nouvelle industrie du contrôle et de la surveillance
 entraînera-t-elle trop de supervision sans donner suffisamment de résultats? 
 
Ces inquiétudes découlent du fait que les nouveaux organismes de réglementation
 prônent différentes valeurs, qui ne sont pas toujours cohérentes, comme
 la minimisation des coûts (vérificateur général) par opposition à lhumanité
 (défenseurs des enfants). Les nouvelles entités travaillent aussi de façon
 relativement indépendante les uns des autres et aucune attention nest
 portée à limpact cumulatif des nouvelles exigences, soit le fait de devoir
 prévoir et se conformer aux rapports et recommandations de ces divers organismes
 de surveillance, dont certains seulement sont liés au Parlement. 
 
La nouvelle réglementation en vigueur dans le secteur public semble reposer
 sur lidée que, dans une démocratie, il ny a jamais trop de responsabilisation.
 Toutefois, il se pourrait aussi que trop de mécanismes de responsabilisation
 impose des coûts dobservation directs, étouffe la créativité et décourage
 la prise de risques parce quon craint que des erreurs ou, simplement,
 des événements imprévus entraînent des critiques et des conséquences négatives
 pour les organisations et les individus concernés. Malgré un discours affirmant
 le contraire, lapproche dominante en matière de responsabilité se fonde
 sur une mentalité « de délation » où on cherche des coupables pour jeter
 le blâme sur quelquun. La présence de nombreux organismes de surveillance
 favorise cette mentalité, quils le veuillent ou non, parce que les rapports
 publics décrivant les problèmes ou les abus finissent toujours par être
 amplifiés, déformés et dramatisés dans les parlements et les médias. Les
 évaluations plus positives ou nuancées ont tendance à être ignorées ou
 passées sous silence dans toute cette publicité négative. 
 
Cela mamène à poser la question suivante : « Les gouvernements risquent-ils
 de connaître un moins bon rendement en raison dune nouvelle maladie contagieuse,
 insidieuse et dangereuse que jappelle les troubles de responsabilité? »
 Lun des symptômes de lapparition de cette maladie est ce que lon appelle
 le « durcissement des vérificateurs »! Actuellement, les « troubles de responsabilité »
 ne constituent pas une maladie respectable dans les cercles politiques
 et il faut donc éviter den discuter entre gens bien élevés. Nous devons
 toutefois amorcer les discussions sur limpact cumulatif des nouvelles
 mesures réglementaires dans le secteur public. 
 
Une autre conséquence de la nouvelle réglementation est quelle offre plus
 doccasions aux ministres, aux organismes centraux et même aux hauts fonctionnaires
 de blâmer les fonctionnaires de carrière, plus bas dans la hiérarchie des
 ministères, pour les abus de pouvoir, les dépenses injustifiées ou les
 problèmes sur le plan des programmes. 
 
Ceci se produit, par exemple, lorsque les vérificateurs généraux sabstiennent
 de critiquer les concepteurs des politiques et affirment que des erreurs
 de gestion expliquent les lacunes observées dans le rendement des programmes.
 Ainsi, dans le rapport du vérificateur général fédéral sur le programme
 de subventions et de contributions de DRHC, on a bien vu que le vérificateur
 général avait évité de critiquer directement les politiques, et quil avait
 plutôt blâmé les responsables du programme pour ce que le Parlement et
 les médias ont décrit à tort comme un « gâchis dun milliard de dollars »
 causé par le non-respect des lois et des dépenses non justifiées. Lorsque
 la poussière est retombée, des dépenses irrégulières totalisant seulement
 60 000 $ ont été trouvées, mais les citoyens sont restés avec la perception
 quune fraude extraordinaire avait été commise. 
 
Une autre conséquence de la croissance de lappareil de surveillance est
 la disparition graduelle de lanonymat pour les hauts fonctionnaires. Bien
 que cela se produise plus fréquemment que par le passé, les fonctionnaires
 ne sont peut-être pas toujours nommés dans les rapports denquête, les
 vérifications du rendement, les rapports annuels des organismes parlementaires
 et pendant les audiences des comités parlementaires, mais les membres du
 gouvernement, les parlementaires, les groupes de revendication et les médias
 connaissent souvent leur identité. Les nouveaux processus denquête pourraient
 grandement entacher leur réputation et nuire à leur carrière. Soumettre
 les organismes parlementaires à la Loi sur laccès à linformation, comme
 on la récemment proposé, pourrait entraîner la divulgation prématurée
 de constatations provisoires et exposer les fonctionnaires à des risques
 encore plus grands. 
 
Ces processus sont souterrains et opaques. Nous ne savons pas à quel point
 ils sont exhaustifs, équitables et équilibrés. Les fonctionnaires ont-ils
 droit à une application régulière de la loi lorsquils traitent avec des
 organismes denquête? Sils font lobjet dun rapport négatif, quels sont
 leurs recours? Même sils ne sont pas nommés, comment peuvent-ils blanchir
 leur réputation et regagner la confiance des gens qui savent quils ont
 fait lobjet dune enquête? Jai déjà interrogé un groupe de coordonnateurs
 de laccès à linformation dans des ministères fédéraux. Une minorité dentre
 eux estimaient avoir été « malmenés » par des employés agressifs du bureau
 du Commissaire à linformation, qui publie régulièrement des rapports annuels
 remplis de discours sulfureux sur la « culture du secret dans la bureaucratie ».
 De tels passages ont fait les choux gras des « comédiens » parlementaires
 et des machines médiatiques, tandis que les observations plus nuancées
 et équilibrées sont passées inaperçues. Les coordonnateurs de laccès à
 linformation se sentaient piégés entre le droit de savoir du public et
 lobsession des ministères, cest-à-dire préserver leur réputation. Même
 si les coordonnateurs arrivaient à éviter les ennuis, ils effectuaient,
 à bien des égards, un travail solitaire et ingrat sans possibilité davancement.
 Les fonctionnaires de première ligne appliquent les lois de protection,
 ils méritent notre respect et ils ont droit à notre soutien et à un traitement
 juste. 
 
Le redressement des griefs 
 
Le redressement des griefs sentend des processus qui permettent de porter
 des décisions en appel et de prendre des mesures concernant les retards,
 linaction, larbitraire, les partis pris et même lincompétence. Il donne
 la chance de rétablir une certaine justice. Évidemment, les mécanismes
 de redressement ne tranchent pas toujours en faveur des gens qui portent
 plainte ou qui interjettent appel. Toutefois, ils devraient fournir aux
 gens lassurance quils ont été traités de façon juste et équitable ou
 quune décision contestée a été prise conformément aux règles en vigueur.
 
 
Les parlements, qui se fient de plus en plus à dautres organismes pour
 augmenter leurs pouvoirs denquête, ont également transféré la fonction
 de redressement à des organismes spécialisés. La majeure partie du travail
 que les parlementaires effectuent au nom de leur circonscription et de
 leurs électeurs est effectuée officieusement, en coulisse, grâce à des
 contacts avec les ministres et les fonctionnaires. Les parlementaires ninteragissent
 quavec un faible pourcentage (environ 10 %) de leurs électeurs. Apparemment,
 on sattend à ce que les parlementaires offrent un service dans leur circonscription,
 parce que les sondages révèlent que la plupart des électeurs ne rééliraient
 pas leurs députés en se basant uniquement sur ce facteur. Au Royaume-Uni,
 un rapport de la Fabian Society a indiqué que les députés passent trop
 de temps à effectuer du travail de circonscription, pour lequel ils sont
 mal outillés2.  
 
Les parlementaires canadiens tiennent beaucoup au travail de circonscription
 parce quil leur permet de faire quelque chose dutile et que la plupart
 dentre eux ne jouent pas un rôle important dans lélaboration des lois
 et dans la prise de décisions en matière de dépenses. 
 
Seule une infime minorité des problèmes auxquels les citoyens sont confrontés
 lorsquils ont affaire aux bureaucraties publiques sont portés à lattention
 de leurs représentants élus. De plus, le recours à la justice pour régler
 ces difficultés ne constitue pas une solution satisfaisante, en raison
 des délais et des coûts engagés ainsi que du fait quil arrive souvent
 que ces problèmes ne soient pas strictement de nature juridique. La plupart
 des ministères disposent de mécanismes dappel internes, ou même dorganismes
 dappel semi-indépendants, mais on considère quils font « partie du gouvernement ».
 Les citoyens pensent donc quils manquent de crédibilité pour leur fournir
 une audience équitable. Les nombreux mécanismes possibles pour « remettre
 les choses en ordre » prêtaient à confusion pour les citoyens. Par exemple,
 séparer rigoureusement les plaintes des appels signifiait quil fallait
 deux mécanismes de redressement avec des mandats différents et des organisations
 distinctes. 
 
Lexpansion des modèles de protecteur du citoyen de divers types devait
 servir à résoudre ces problèmes. La popularité de ce concept sexpliquait
 par les coûts relativement peu élevés de ce type de bureau, le caractère
 informel des procédures, la souplesse des solutions possibles, ainsi que
 laccessibilité et la gratuité pour les plaignants. Dans la plupart des
 régimes gouvernementaux, il existe des protecteurs du citoyen généraux,
 mais il existe également des protecteurs spécialisés dans certains domaines,
 notamment en santé au Québec. Le protecteur du citoyen représente un rare
 cas où une institution créée dans le secteur public sest ensuite répandue
 dans le secteur privé. Les protecteurs du citoyen ne sont pas tous pleinement
 indépendants des organisations quils surveillent, cest notamment le cas
 de lombudsman des Forces armées canadiennes. 
 
Comme nous lavons vu plus haut, le règlement des plaintes et la promotion
 de normes administratives élevées sont potentiellement complémentaires.
 Globalement, il est évident que les cas individuels sont importants (particulièrement
 pour les personnes pénalisées par laction ou linaction bureaucratique),
 mais ils peuvent ne pas entraîner directement et immédiatement des changements
 aux procédures et aux règles. Ce nest que si le protecteur du citoyen
 analyse et fait connaître les causes dune mauvaise administration que
 les cas individuels pourront avoir un effet cumulatif sur ladoption de
 bonnes pratiques. Dans le monde réel où les ressources financières et humaines
 sont limitées, le protecteur du citoyen doit faire des compromis entre
 le règlement de la plainte et la promotion des normes. La sensibilisation
 et léducation sont une troisième activité qui exige des ressources. Je
 crois que la priorité de la majorité des protecteurs du citoyen doit être
 le règlement des plaintes. 
 
Comme on utilise peu de ressources pour informer le public de lexistence
 de ce type doutil, on ny a pas recours dans tous les cas où il pourrait
 être utile. Le protecteur du citoyen des Pays-Bas publie une chronique
 dans un journal à fort tirage, diffuse des annonces à la télévision (qui
 montrent une femme marchant dans une foule et invitant les gens à téléphoner
 sils ont un problème) et effectue régulièrement un sondage dopinion sur
 le degré de sensibilisation de la population. Les sondages révèlent que
 les jeunes et les personnes provenant de groupes défavorisés sur le plan
 économique et social sont les moins susceptibles dêtre au courant de lexistence
 du bureau. Il faut étudier sérieusement la façon dont les ministères chargés
 de programmes et les protecteurs du citoyen communiquent avec les membres
 les plus vulnérables de la société, qui dépendent davantage des programmes
 publics et qui ne sont pas suffisamment sûrs deux pour insister en vue
 dobtenir le respect et les avantages auxquels ils ont droit. Les protecteurs
 du citoyen doivent se rendre compte du déséquilibre qui existe entre les
 pouvoirs des citoyens et ceux des bureaucraties. Ils doivent envisager
 le perfectionnement de la théorie et des méthodes de résolution des conflits
 de manière à promouvoir des interactions saines et équilibrées. 
 
Les tendances et les développements liés à la nouvelle gestion publique
 ont des répercussions sur la fonction de redressement. En partie grâce
 aux percées des technologies de linformation et des communications, les
 gouvernements facilitent laccès aux ministères et aux renseignements.
 Les interactions, y compris les transactions bidirectionnelles, sont maintenant
 plus faciles. Le jargon du service à la clientèle a été importé du secteur
 privé, avec des mots comme concurrence, choix, renseignements (pour que
 les clients prennent des décisions éclairées) et preuves de rendement (pour
 quils sachent quils reçoivent des services dignes des maigres impôts
 quils paient). Les chartes du citoyen, les normes de service et les sondages
 sur la satisfaction de la clientèle sont de plus en plus fréquents. De
 nouvelles procédures de redressement ont été ajoutées,  afin de donner du
 pouvoir aux citoyens-clients et de garder les fonctionnaires alertes. 
 
On discute beaucoup du problème et certaines mesures sont prises pour sassurer
 que les programmes et les services sont intégrés, et ce, pour éviter que
 le citoyen ne se perde dans les dédales bureaucratiques de programmes séparés
 et incohérents. Horizontalité, gouvernement décloisonné et global, ou service
 partagé : choisissez le slogan que vous préférez pour décrire lobjectif
 ambitieux du guichet unique qui serait utilisé par des consommateurs éclairés
 transportant leur exemplaire de la déclaration des droits des consommateurs,
 accompagnée de normes de service connexes, et insistant peut-être pour
 être dédommagés sils nobtiennent pas des services publics de qualité,
 comme on le leur avait promis. 
 
Ce nest pas le moment de discuter de toutes les conséquences philosophiques
 et pratiques de la « révolution de la clientèle » dans le secteur public.
 Elle a manifestement des répercussions importantes sur les gouvernements,
 y compris les parlements. Dans la mesure où les gouvernements réussissent
 à instaurer des bureaucraties « conviviales », les parlementaires auront
 moins de travail à accomplir dans leur circonscription. Ils pourront ainsi
 consacrer plus de temps aux mesures législatives, aux dépenses et à diverses
 études, mais cela suppose quon les encourage et quon les aide à jouer
 un rôle plus vaste dans ces secteurs et quon leur en donne loccasion. 
 
Le fait que les gouvernements sen remettent de plus en plus aux plans
 de rendement, aux normes de service et de qualité, ainsi quaux rapports
 sur le rendement, modifie le cadre de responsabilisation; il faut maintenant
 se concentrer sur les résultats globaux plutôt que sur les procédés. La
 nouvelle approche axée sur les résultats se veut plus objective et moins
 exposée aux jeux partisans. Elle a lavantage de se concentrer sur le rendement
 moyen de la bureaucratie, plutôt que sur les exemples exceptionnels ou
 extrêmes. Cependant, la concentration sur le rendement ne permet pas de
 résoudre les problèmes liés à lutilisation inappropriée des pouvoirs délégués.
 En effet, en insistant sur la productivité et les cotes positives, on peut
 contribuer à négliger ou à camoufler les problèmes de procédure. 
 
Lun des meilleurs moyens pour introduire la concurrence au sein du secteur
 public consiste à confier la prestation de programmes à des organismes
 du secteur privé, quil sagisse dorganismes sans but lucratif ou non.
 Un effet de la sous-traitance est quelle mine la protection juridique
 des citoyens qui sont directement touchés par les décisions de lorganisme
 sous-traitant et par la qualité des services quil offre. Ce problème nest
 pas uniquement le lot des services sociaux, mais il est plus aigu dans
 ce secteur en raison de la position vulnérable des « clients » et des répercussions
 importantes que peuvent avoir des actions négatives sur leurs conditions
 de vie. 
 
La question fondamentale quil faut se poser est la suivante : quels sont
 les recours des citoyens qui ont subi des préjudices à la suite de la « privatisation »
 dactivités? Il peut y avoir des recours judiciaires, mais il sagit dun
 processus long, coûteux et parsemé dembûches. La véritable question est
 donc de savoir si nous pouvons étendre le mandat des protecteurs du citoyen
 pour englober les entreprises commerciales et les organismes sans but lucratif
 qui offrent des services qui étaient préalablement offerts à linterne
 par des ministères. Cela supprimera-t-il les avantages que la sous-traitance
 devait apporter en matière dinnovation et de productivité? Les gouvernements
 financeront-ils lélargissement du mandat des protecteurs du citoyen pour
 couvrir ce nouveau champ dactivité? 
 
Il est ironique que la sous-traitance, qui peut être perçue comme une forme
 de fragmentation, se produise en même temps que tous ces débats sur lintégration
 de la prestation des services. Maintenant quon met davantage laccent
 sur cette intégration, devrait-on adopter des stratégies plus intégrées
 pour le redressement des griefs? Les mécanismes en place ont évolué au
 fil du temps et individuellement. Le problème de la fragmentation est plus
 important dans les administrations plus grandes où il y a de nombreux protecteurs
 du citoyen spécialisés. Généralement, on communique et on collabore un
 peu, mais certaines consolidations organisationnelles ou certains regroupements
 physiques et électroniques devront probablement être envisagés dans lavenir
 pour fournir aux citoyens un guichet unique destiné à leurs plaintes. Un
 système rationalisé ne doit pas mettre davantage laccent sur la bureaucratie.
 La fonction de protecteur du citoyen sest répandue, mais la première réunion
 annuelle des protecteurs du citoyen du Canada na eu lieu quen 2003. Il
 faut que ces professionnels qui ont des responsabilités similaires en matière
 denquête et de médiation communiquent régulièrement entre eux et échangent
 sur les meilleures pratiques à adopter. Il serait aussi utile quils invitent
 des politiciens élus à leurs rencontres afin que les deux parties puissent
 se comprendre et apprendre lune au contact de lautre. 
 
Conclusions 
 
Les parlements ont dû mettre sur pied des organismes indépendants pour
 composer avec lenvergure et la complexité du gouvernement au XXe 
siècle.
 Ces organismes ont élargi les moyens de surveillance des parlements. Ils
 ont permis aux citoyens davoir plus de chances dêtre traités équitablement
 dans leurs relations avec les bureaucraties. Nous devons donc rendre hommage
 aux hauts fonctionnaires indépendants des parlements parce quils favorisent
 la démocratie et augmentent la confiance des citoyens à légard du gouvernement.
  
 
Je terminerai avec deux idées provocantes pour lavenir. Les parlements
 doivent se demander sils ont délégué trop de tâches à ce qui est devenu
 une « bureaucratie parlementaire » assez imposante. Y a-t-il dautres tâches
 que le Parlement pourrait déléguer à des organismes auxiliaires? 
 
Il y a des commissions de réforme du droit (plus à Ottawa) pour fournir
 des avis sur les nouvelles lois. 
Il y a le Bureau du vérificateur général pour les dépenses passées. 
Il y aura le bureau du directeur parlementaire du budget pour les dépenses
 à venir. 
Il y a les protecteurs du citoyen généralistes et spécialisés pour protéger
 les citoyens. 
Il y aura une commission fédérale chargée dexaminer les nominations par
 décret. 
Il y a des conseillers et des commissaires pour surveiller les conflits
 dintérêts et les manquements à léthique. 
 
La complexité de ladministration constitue la principale raison, mais
 non la seule, qui explique pourquoi les parlements ont créé leurs propres
 bureaucraties. Ces développements reflètent également léclosion du cynisme
 politique au cours des dernières décennies. Les Canadiens préfèrent apparemment
 que des personnes et des institutions « apolitiques » leur fournissent des
 preuves « objectives » du rendement du gouvernement et quelles prennent
 les mesures nécessaires pour régler les plaintes individuelles quils formulent
 à légard de la bureaucratie. 
 
Se servir dun « bureaucrate parlementaire » pour piéger un « bureaucrate
 ministériel » ne va pas sans problème. En effet, comment alors assurer un
 juste équilibre entre lindépendance et la responsabilité dans une bureaucratie
 parlementaire relativement nouvelle? Il faut souligner que les hauts fonctionnaires
 du Parlement sont indépendants à la fois de celui-ci et de lexécutif.
 Il sagit dun sujet trop vaste pour quil puisse être examiné en profondeur
 ici3.  
 
Un aspect primordial de lindépendance est la manière dont les organismes
 parlementaires obtiennent leur budget. Si les dirigeants politiques ou
 les agences budgétaires centrales établissent les budgets, il y a alors
 un risque de sous-financement et de perte symbolique dindépendance. Par
 contre, les organismes parlementaires ne peuvent pas être totalement détachés
 des réalités financières auxquelles le gouvernement est confronté. Au niveau
 fédéral, des rapports des comités de la Chambre des communes et du Sénat
 ont proposé dautres mécanismes de financement à lintention des hauts
 fonctionnaires du Parlement. De plus, en 2005, le gouvernement Martin a
 autorisé une expérience de deux ans qui comporte la mise en place dun
 « comité parlementaire » auquel les hauts fonctionnaires du Parlement sadresseront
 pour lapprobation de leurs budgets, et qui « surveillera » leurs activités.
 La signification exacte du terme « surveillance » fait apparemment lobjet
 dun débat entre ces organismes, qui préconisent une interprétation plus
 large, et le Secrétariat du Conseil du Trésor, qui favorise une interprétation
 plus restreinte et plus strictement financière. Comme le gouvernement Harper
 a accepté de poursuivre lexpérience, il sera intéressant de voir où elle
 mènera, puisquil sagit dun élément clé du vaste processus de mise en
 équilibre de lindépendance et de la responsabilité au sein des organismes
 parlementaires. 
 
Il ne fait pas de doute que les comités permanents de partout au pays devront
 encore examiner plus attentivement le travail de leurs organismes, particulièrement
 à la lumière de leurs rapports annuels. Ce nest pas parce que ces organismes
 aident les parlements à appliquer le concept de la responsabilisation quils
 peuvent eux-mêmes être tenus moins responsables. Même si certaines prétendent
 que les parlements devraient adopter une stratégie parlementaire plus systématique
 pour superviser leurs propres surveillants, personne ne recommande quils
 délèguent cette tâche à un autre organisme de surveillance. À un certain
 moment, la tendance des parlements à se délester de leurs fonctions dexamen
 et de redressement doit cesser et les parlementaires doivent sengager
 à trouver le temps et à se fournir directement les ressources nécessaires
 pour surveiller le rendement du gouvernement. Les gouvernements doivent
 accepter que les parlements aient la responsabilité et le droit de mettre
 leur nez dans les activités du gouvernement et de sassurer que la discrétion
 bureaucratique ne donne pas lieu à des injustices pour la population canadienne.
 Lamélioration de la fonction de surveillance et de contrôle des parlements
 procurera aux ministres une autre source de renseignements pour se rendre
 compte que les politiques ne fonctionnent pas comme prévu et leur permettra
 donc de mieux diriger et contrôler lappareil administratif du gouvernement.
 
 
Notes 
 
1. Voir John Stuart Mill, Le gouvernement représentatif, 1861. [traduction
 libre] 
 
2. Voir G. Power, Representatives of the people?: the constituency role
 of MPs, Londres, Fabian Society, 1998. 
 
3. Voir Paul Thomas, « The past, present and future of officers of Parliament », Administration publique du Canada, vol. 46, no 3 (automne 2003), où jai analysé
 les cinq éléments structuraux qui déterminent léquilibre entre lindépendance
 et la responsabilité.  
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