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La plupart des législateurs possèdent un site Web, mais peu s'en servent
autant que Garth Turner. M. Turner a été député de Halton Peel de 1988
à 1993. Après avoir travaillé pendant 13 ans dans le secteur privé, il
est retourné à la Chambre des communes en janvier 2006. Au cours de cette
entrevue, il discute de sa carrière politique et explique pourquoi il pense
que la technologie constitue la clé de la revitalisation des institutions
parlementaires et de l'amélioration des relations entre les députés fédéraux
et les électeurs. L'entrevue a été menée par Gary Levy en juin 2006.
La dernière fois que vous aviez siégé à la Chambre des communes, c'était
il y a 13 ans. Qu'est-ce qui a changé depuis?
Certaines choses ont beaucoup changé et d'autres sont exactement comme
elles étaient. Pour ce qui est de la technologie, il n'y avait à l'époque
ni Internet, ni webdiffusion ni BlackBerry. Quant aux rouages fondamentaux
du gouvernement et de la Chambre, ils n'ont pas changé. Ce que je constate
après 13 ans dans le secteur privé, c'est un plus grand cynisme chez les
citoyens et une plus grande méconnaissance du Parlement. J'ai le sentiment
que l'endroit a mauvaise réputation, peut-être à cause des scandales ou
pour d'autres raisons. Cela m'a incité à réfléchir au rôle que je pourrais
jouer, aussi petit soit-il, pour modifier cette situation. C'est pourquoi
un des objectifs que je me suis fixés comme politicien est de donner aux
gens l'occasion d'en apprendre davantage sur le Parlement et leurs élus
au moyen d'Internet.
Est-ce votre expérience dans le secteur privé qui vous a amené à faire
cette constatation?
Non, pas vraiment. Je suis fondamentalement un journaliste et un entrepreneur.
En 1993, j'ai commencé à travailler pour CTV et je suis devenu chroniqueur
économique. J'ai signé sept livres à succès sur les affaires et les finances,
et animé l'émission télévisée sur le monde des affaires la plus regardée
au Canada. J'ai passé huit ans à parcourir le pays d'un océan à l'autre
pour donner des séminaires sur les finances personnelles. Il y a six ans,
j'ai fondé l'entreprise torontoise Millenium Media Television, producteur
indépendant d'émissions de télévision réseau. L'entreprise produit des
émissions pour CTV, Global, YTV, TVOntario et d'autres radiodiffuseurs
canadiens et internationaux.
En outre, j'ai mis sur pied la Credit River Company avec ma conjointe Dorothy.
Notre énoncé de mission est « patrimoine, points d'intérêt et environnement ».
Nous avons acheté et restauré de nombreux édifices patrimoniaux qui sont
devenus des commerces viables. J'ai toujours cru que le patrimoine bâti
du Canada était négligé.
Comme beaucoup de Canadiens associés ou non au Parlement, j'étais conscient
du désenchantement général à l'égard de la politique. Ce problème se manifeste
d'ailleurs par un faible taux de participation aux élections et de diverses
autres façons.
Votre décision de faire un retour en politique a-t-elle été difficile à
prendre?
Non, mais, comme la plupart des gens, je m'attendais à ce que le gouvernement
tombe au printemps 2004. Peu après avoir gagné une assemblée d'investiture
chaudement disputée au sein du Parti conservateur en mai 2004, je me suis
rendu compte qu'il me faudrait attendre plusieurs mois avant le déclenchement
des élections. J'ai donc fait campagne tous les jours pendant huit mois.
C'était l'occasion rêvée de prendre le pouls de l'électorat local. J'ai
frappé à plus de 25 000 portes dans ma circonscription de Halton. Immédiatement
après avoir été choisi comme candidat, j'ai commencé à rédiger un journal
quotidien ou blogue sur mon site Web et j'ai pris bien soin de le tenir
à jour. Il s'est avéré très populaire puisqu'en moins de trois mois, mon
site enregistrait plus d'un million d'appels de fichier.
Comment décririez-vous votre site Web?
Comme tous les sites, il évolue constamment. Toutefois, il est important
d'avoir une idée générale de ce qu'on veut faire. J'ai tenu, dès le départ,
à ce que mon site Web soit, avant tout, un portail politique interactif
et non un album de photos, un site où l'on passe son temps à se vanter
ou encore une tribune pour défendre des idées partisanes.
Le site comporte trois éléments principaux. D'abord, c'est un véritable
service d'information où les visiteurs peuvent tous les jours prendre connaissance
des nouvelles nationales, internationales et locales. Je veux que cette
information soit constituée de nouvelles importantes plutôt que de messages
partisans. Le deuxième élément est mon blogue que j'essaie d'alimenter
chaque jour. J'y consigne mes réflexions personnelles sur la politique
et la vie publique qui ont tendance à susciter des réactions à la fois
enthousiastes et défavorables.
Le tout dernier élément ajouté au site est la vidéo en continu que j'appelle
MPTV. Même si cette technologie est encore nouvelle, je suis convaincu
que c'est la voie de l'avenir. Mes émissions MPTV ont été très bien accueillies
depuis que j'en ai commencé la diffusion en juin 2006.
Le site comporte aussi d'autres éléments, notamment des liens donnant accès
à des articles que j'ai écrits dans le passé et un certain nombre de fichiers
balados que j'ai enregistrés pendant mes premières semaines à Ottawa après
l'élection. L'audio constitue probablement le média le moins efficace pour
Internet. Même si je vais probablement produire quelques autres fichiers
sonores, je pense que je me concentrerai davantage sur les vidéos à l'avenir.
Que couvrez-vous sur MPTV?
J'ai réalisé plusieurs entrevues avec des personnalités et avec d'autres
personnes probablement moins connues à l'extérieur d'Ottawa. Par exemple,
j'ai renversé les rôles en interviewant certains journalistes comme Mike
Duffy, de CTV, Bill Rodgers, du Sun, et Hannah Boudreau, de Global TV.
J'ai aussi interviewé le président de la Chambre des communes, Peter Milliken,
plusieurs ministres, dont le président du Conseil du Trésor, John Baird,
et le ministre de la Santé, Tony Clement, et un chef de parti, Jack Layton.
Mais la plupart des entrevues ont été faites avec de simples députés de
tous les partis. Les grands médias ont tendance à ignorer tout député qui
n'est pas ministre ou chef de parti. À mon avis, plusieurs députés ont
des choses intéressantes à dire et devraient être mieux connus de la population.
Je n'essaie pas de reprendre la période des questions ni de marquer des
points sur le plan politique. Je cherche plutôt à montrer aux téléspectateurs
le côté humain de la politique en parlant de la vie quotidienne sur la
Colline, avec toutes ses joies et ses frustrations. De cette manière, j'espère
que les citoyens ordinaires seront capables de s'identifier aux hommes
et aux femmes qui les servent à Ottawa et finiront par améliorer quelque
peu l'opinion qu'ils se font de nous comme groupe. Nous devons aussi nous
entendre entre nous au Parlement, et il est possible que ces entrevues
favorisent l'établissement de relations plus harmonieuses entre les députés
des différents partis. Parmi les parlementaires que j'ai interviewés pendant
le premier mois de diffusion de MPTV, il y a eu Garry Breitkreuz, Myron
Thompson, Lee Richardson, Gord Brown, Helena Guergis, Ron Cannan, la sénatrice
Marjory LeBreton, John McCallum et Peter Stoffer. J'ai aussi fait faire
aux téléspectateurs le tour de la Bibliothèque du Parlement, récemment
rénovée, et je compte leur faire visiter d'autres parties de la Cité parlementaire
que la plupart des Canadiens ne voient que rarement.
Ces entrevues ont été diffusées en direct à 19 heures les jeudis de juin,
et sont archivées sur mon site pour qu'on puisse les regarder plus tard.
À l'automne, j'espère élargir la programmation de MPTV afin de présenter
des émissions quotidiennes.
En plus d'interviewer vos collègues parlementaires, pouvez-vous nous donner
d'autres exemples de ce que vous faites ou comptez faire avec votre site
Web?
Les possibilités sont infinies. La seule limite est notre imagination.
Lorsqu'un gouvernement est minoritaire, les députés ne peuvent pas aller
chez eux aussi souvent qu'ils aimeraient le faire en raison des votes à
Ottawa. S'il m'est impossible de quitter Ottawa, je peux me rendre à mon
studio, allumer quatre interrupteurs et être présent sur Internet. Je suis
en mesure de tenir une vidéoconférence sur Internet avec quelqu'un qui
se trouve à mon bureau de circonscription, à son propre bureau ou chez
lui. Si cette personne dispose d'un ordinateur et d'une caméra Web, nous
pouvons nous rencontrer en temps réel et je peux tenter de l'aider à régler
ses problèmes. Si un de mes électeurs célèbre son 90e
anniversaire de naissance
ou son 60e
anniversaire de mariage, je peux lui envoyer des vux sous forme
de vidéo-clip ou même faire acte de présence en temps réel au moment de
la fête par le truchement de son ordinateur. Si une activité a lieu dans
ma circonscription, il suffit de mettre un écran d'ordinateur sur un bureau
et je peux y être même si je reste réellement à Ottawa, à 400 kilomètres
de distance. Ces quelques idées ne représentent qu'un aperçu de ce que
nous pouvons faire. Un jour, j'aurai peut-être des heures de bureau en
ligne pour que mes électeurs puissent communiquer aussi facilement que
si j'étais dans la circonscription.
Votre site Web ne semble donner aucune indication évidente de votre appartenance
au Parti conservateur.
Ça, je l'ai fait exprès, et on m'a beaucoup critiqué parce que le logo
du Parti conservateur ne figurait pas sur mon site. Mais il y a une bonne
raison. Je suis le député de toute la population de Halton, ce qui veut
dire que je représente tous les électeurs de ma circonscription, peu importe
s'ils ont voté pour moi, les libéraux ou les néo-démocrates, et même s'ils
n'ont pas voté du tout. La dernière chose que je voudrais, c'est d'imposer
à un électeur le logo d'un parti au moment où il vient me demander de l'aider
à régler un problème particulier. À mon avis, beaucoup de députés manquent
une belle occasion de tisser des liens avec leurs électeurs lorsqu'ils
confient au quartier général de leur parti l'élaboration du contenu de
leur site Web.
Je devrais ajouter que je suis prêt à ouvrir mon studio et mes installations
à des députés de n'importe quel parti s'ils sont obligés de rester à Ottawa
pour un vote alors qu'ils ont une importante réunion dans leur circonscription.
Votre site Web doit exiger des investissements énormes en temps et en argent.
Disposez-vous d'employés supplémentaires pour gérer votre site Web?
Non, pas du tout. Tous les aspects du site sont gérés par moi et les deux
employés de mon bureau d'Ottawa. Nous nous occupons de choisir les nouvelles
diffusées par notre service d'information, du tournage, du montage, du
graphisme, des articles et d'à peu près toutes les autres tâches permanentes
liées au site. J'ai déboursé environ 20 000 $ de ma poche pour les caméras
et tout l'attirail dont j'avais besoin pour ce projet. La bande passante
pour MPTV est fournie par la Chambre des communes, étant donné qu'elle
dispose d'une capacité excédentaire en soirée. Toutes les autres dépenses
que j'ai faites ont été imputées à un budget de bureau ordinaire, qui est
identique à celui de tous les autres députés.
J'ai aussi obtenu l'aide de William Stratas, de Planetcast, pour la conception
du site. Il a créé une page codée à la main qui répond aux plus hautes
normes techniques précisées par le World Wide Web Consortium, organe mondial
de gouvernance technique. La page peut être consultée en français, en allemand,
en espagnol, en portugais et en italien. Je vous fais grâce du jargon technique,
mais le site Web satisfait aux exigences les plus rigoureuses en matière
d'accessibilité, afin que les utilisateurs handicapés physiques puissent
le consulter. Je ne connais aucun autre site Web de député ou de ministère
fédéral qui offre un niveau d'accessibilité aussi élevé pour les handicapés.
Combien de temps consacrez-vous personnellement à ce projet?
En ce qui me concerne, la tâche qui nécessite le plus de temps est la rédaction
du blogue. J'écris un texte d'environ 700 mots chaque jour. J'ai tendance
à le commencer chaque soir vers 23 h et j'y consacre environ une heure.
Je réponds aussi aux commentaires en utilisant mon BlackBerry, mais je
peux faire cela à la Chambre, en comité ou à l'aéroport. Puisque j'aime
écrire et que je suis assez rapide, cela ne représente pas une tâche très
lourde. Les entrevues de MPTV prennent environ 2 heures de mon temps chaque
semaine. J'estime que mes employés consacrent quelque 20 heures par semaine
à des activités liées au Web.
Comment vos collègues ont-ils réagi à ce projet?
Certains me regardent un peu de travers, mais, après seulement trois semaines,
tout le temps d'antenne de MPTV est réservé pour l'avenir prévisible. À
ce que je sache, aucun autre député ne diffuse d'émissions sur Internet
ou crée du contenu Internet comme je le fais. Avec le temps, ils seront
de plus en plus nombreux à en arriver à la conclusion que c'est la voie
de l'avenir. Cette technologie n'est pas très compliquée. Les jeunes diplômés
d'aujourd'hui ont toutes les compétences voulues pour s'en servir. Le matériel
et les logiciels sont faciles à utiliser et vendus à des prix abordables.
Quel impact cette technologie aura-t-elle sur la politique et les médias?
À mon avis, cette technologie aura des conséquences importantes pour les
députés. À une autre époque, les chemins de fer représentaient une technologie
révolutionnaire. En plus d'unir le pays, ils permettaient aux députés de
se rendre à Ottawa. Aujourd'hui, c'est Internet qui fait l'unité du pays
et conduit les députés à leurs électeurs.
Internet aura aussi un impact considérable sur les médias. Beaucoup prévoient
le déclin des médias écrits comme source d'information et un essor des
services d'information en ligne. Les relations entre journalistes et politiciens
changeront aussi. Les députés finiront par se rendre compte qu'ils n'ont
pas besoin d'aller à la pêche aux microphones après la période des questions.
Ils peuvent, s'ils le veulent, utiliser Internet pour diffuser leur message
sans coupure ni modification et l'acheminer aux bons destinataires. Cela
aura des répercussions énormes sur la tribune de la presse grand public,
telle que nous la connaissons aujourd'hui.
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