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Warren Allmand
Le rapport de la Commission d'enquête sur le programme des commandites,
dirigée par le juge John Gomery, et la Loi fédérale sur la responsabilité
presentée par le gouvernement conservateur en avril 2006 ont remodelé le
débat sur l'administration publique au Canada. Le présent article porte
sur certaines des propositions que contiennent ces deux documents et laisse
entendre qu'il faut faire encore plus pour rééquilibrer la relation entre
le Parlement et le gouvernement.
Dans son second rapport, le juge Gomery se demandait où se trouvait le
Parlement lorsque la vérificatrice générale a révélé la corruption entourant
le programme des commandites. Pourquoi les députés n'ont-ils pas pu découvrir
le problème et y mettre fin tôt Où étaient les députés alors que les commandites
absorbaient des centaines de millions de dollars? Les députés n'ont-ils
pas le droit et le devoir de surveiller la dépense des fonds publics par
le gouvernement, quelles que soient les circonstances?
Puis, le juge a analysé la capacité du Parlement de demander des comptes
aux gouvernements. Il a, en particulier, étudié le système de comités,
le processus d'examen des prévisions budgétaires, le processus budgétaire
et la période de questions. De manière générale, il a constaté que tous
ces systèmes comportaient des lacunes.
Mais il n'a présenté que quelques recommandations pour résoudre les problèmes
décelés. Il a indiqué que nous devions corriger le déséquilibre entre les
ressources dont dispose l'État et celles dont dispose le Parlement, en
augmentant de beaucoup les fonds destinés aux comités parlementaires pour
qu'ils soient plus à même de demander véritablement des comptes aux gouvernements.
Il a ajouté que cela était particulièrement important pour le Comité des
comptes publics. Il a recommandé que les membres de ce comité soient nommés
pour la totalité de la législature, de manière à fournir une expertise
accrue et à assurer une certaine stabilité. Pour lui, le Comité des comptes
publics devrait exiger des sous-ministres et des chefs d'organismes gouvernementaux
qu'ils témoignent devant lui. Il a indiqué que le registre des lobbyistes
devrait relever directement du Parlement. Il a suggéré que la Loi sur le
Parlement du Canada soit modifiée pour créer un bureau parlementaire du
budget relevant de la Bibliothèque du Parlement, à l'instar du Congressional
Budget Office, aux États-Unis. Ce bureau fournirait des analyses objectives
des finances et de l'économie nationales ainsi que des estimations du coût
des projets de loi d'initiative parlementaire.
Je suis d'avis que ces propositions constituent des améliorations, mais
qu'elles font peu pour rééquilibrer la situation et donner plus d'influence
au Parlement pour ce qui est d'exiger des comptes.
Voyons le processus budgétaire ou l'examen des crédits. Chaque printemps,
le gouvernement prépare ces documents sous forme de trois gros volumes
censés contenir tous les projets de dépenses de ses ministères et organismes,
assortis de crédits distincts pour chacun. Trop souvent, la description
des crédits est si générale qu'il est difficile de savoir à quoi elle correspond
exactement. Le juge Gomery a souligné, par exemple, que le programme des
commandites n'avait jamais été mentionné expressément dans les prévisions
budgétaires et qu'il était donc probablement financé en vertu d'une rubrique
obscure comme Unité nationale ou Relations fédérales-provinciales. Ce programme
n'a jamais été désigné comme un programme nouveau et il n'existait aucune
information sur ses objectifs supposés.
Lorsque j'ai été élu pour la première fois au Parlement, en 1965, c'était
un comité plénier qui étudiait les prévisions budgétaires à la Chambre
des communes. Le ministre entrait en Chambre avec ses représentants et
tous les membres du gouvernement ou de l'opposition leur posaient toutes
les questions qu'ils voulaient. Ils devaient écouter les discours sur diverses
propositions de dépenses ou l'absence de dépenses et se prononcer sur des
motions visant à supprimer des articles de dépense. Tout ceci se produisait
devant la Tribune de la presse. Il n'y avait aucune contrainte de temps
pour ce processus, et l'opposition pouvait suspendre les dépenses pendant
des mois jusqu'à ce qu'elle obtienne des réponses satisfaisantes, ce qu'elle
a fait à plusieurs reprises. Très souvent, le Parlement siégeait l'été
et tard dans la soirée jusqu'à l'approbation des prévisions budgétaires.
Donc, d'une certaine façon, la Chambre des communes contrôlait effectivement
les deniers publics, conformément au vieil adage selon lequel aucun crédit
n'était accordé tant que l'on n'avait pas répondu aux griefs.
Le système était loin d'être parfait, mais il donnait au Parlement un réel
pouvoir à l'égard du gouvernement. Tout ceci a pris fin en 1969, au moment
de la révision du Règlement et lorsque le Parlement a commencé à envoyer
toutes les prévisions budgétaires au comité permanent concerné. Le gouvernement
soumettait ses prévisions aux comités le 1er mars au plus tard, avec, pour
condition, qu'elles devaient être renvoyées le 31 mai au plus tard, faute
de quoi elles étaient réputées approuvées à cette date. Cela était supposé
permettre un examen plus efficace des dépenses de l'État, mais, en fait,
cela n'a pas été le cas.
Même si les comités permanents pouvaient appeler les ministres, les représentants
des ministères et des spécialistes à témoigner au sujet des prévisions
budgétaires, la situation était problématique. Par exemple, le Comité devait
souvent traiter de plusieurs projets de loi importants en même temps et,
par conséquent, laisser de côté les prévisions budgétaires. Lorsque je
présidais le Comité de la justice, nous nous occupions du contrôle des
armes à feu, de la réforme des institutions correctionnelles et de modifications
importantes au Code criminel. Nous n'avions que peu de temps pour nous
occuper des prévisions budgétaires. D'autres comités s'occupaient d'enquêtes
très publicisées lorsque les prévisions budgétaires leur étaient envoyées.
Même lorsqu'il n'y a aucun projet de loi ou d'enquête, les prévisions budgétaires
sont très complexes et, s'ils n'ont pas de connaissances particulières
en la matière, les députés ne peuvent comprendre certaines importantes
questions de dépenses. En matière de prévisions budgétaires, on a tendance
à se concentrer sur les questions fortement publicisées et requérant une
attention immédiate du ministère plutôt que de chercher des moyens de modifier
les orientations des dépenses à long terme ou de découvrir des dépenses
cachées en différents endroits. Parfois des recherches menées par des syndicats,
des associations du Barreau, des groupes d'agriculteurs, des universitaires
ou des groupes confessionnels nous aident. Mais, en règle générale, le
31 mai arrive et rien ou guère peu n'a été accompli pour examiner les prévisions
budgétaires. Elles sont alors réputées avoir été adoptées.
En échange de cette nouvelle procédure, l'opposition a obtenu un certain
nombre de jours de l'opposition ou jours des crédits à la Chambre des communes
pour examiner tout sujet qu'elle souhaite aborder. Mais, à mon avis, ces
journées n'ont pas permis d'étudier les prévisions budgétaires ni de fournir
une véritable reddition de comptes.
Il est facile de voir à quel point le système est déséquilibré. Le gouvernement
consacre toute une année au moins à la préparation de ces prévisions budgétaires,
à laquelle participent de nombreux ministères et des milliers de fonctionnaires,
mais le Parlement ne dispose que de quelques mois et que de quelques spécialistes
pour contester et analyser les projets de dépense. La situation a empiré
lorsque le Parlement a raccourci ses heures de travail, tout d'abord en
éliminant les séances du soir, puis en prévoyant une semaine de congé chaque
mois, pour le travail de circonscription. Par ailleurs, les congés de Noël
et de Pâques et les ajournements de l'été tombent à date fixe. Davantage
de temps est ainsi consacré au travail de circonscription et moins, au
travail du Parlement en général et à l'examen des prévisions budgétaires
en particulier. Lorsque je suis arrivé au Parlement, nous travaillions
trois soirs par semaine, le lundi, le mardi et le jeudi, et les ajournements
ne se produisaient pas à date fixe. Il n'y avait pas de semaines de congé
chaque mois pour retourner dans sa circonscription.
Le juge Gomery a recommandé, à bon escient, que davantage de ressources
soient consacrées à la question, à la fois pour l'examen des prévisions
budgétaires par les comités avant leur approbation par ces derniers et
pour que le Comité des comptes publics puisse vérifier les dépenses après
coup. Mais cela ne suffit pas. Et le projet de bureau parlementaire du
budget ne suffira pas non plus. Pourquoi ce bureau ne pourrait il pas chiffrer
les projets de loi du gouvernement? Pourquoi seulement les projets de loi
d'initiative parlementaire? Il n'existe pas d'estimation officielle du
coût de la Loi fédérale sur la responsabilité, bien que certains, dans
le secteur privé, aient estimé que les dispositions sur l'accès à l'information
coûteraient, à elles seules, 120 millions de dollars. J'estime que le Parlement
n'examinera pas véritablement les dépenses du gouvernement, à moins que
l'on apporte les modifications suivantes :
-
Premièrement, le délai du 31 mai devrait être abandonné ou reporté à beaucoup
plus tard.
- Deuxièmement, tout nouveau programme de dépense devrait être expressément
indiqué et mis en lumière.
- Troisièmement, les comités permanents devraient posséder des pouvoirs plus
vastes pour convoquer des témoins, notamment des sous-ministres et des
hauts fonctionnaires, et obtenir des documents, avec ou sans l'accord du
ministre
- Quatrièmement, les comités devraient toujours siéger lorsque la Chambre
ne siège pas, et les députés devraient recevoir un supplément de rémunération
pour ces séances.
- Cinquièmement, il faudrait davantage de pouvoirs pour demander l'adoption
des rapports de comité à la Chambre des communes.
- Sixièmement, les budgets de recherche des caucus devraient servir aux projets
de loi et aux prévisions budgétaires et non aux communications ou à la
promotion partisane.
Il est surtout important que les députés de l'arrière-ban, et non le Cabinet
du premier ministre (CPM) et le whip, contrôlent les ressources du caucus
du gouvernement. Ce caucus devrait examiner, avec beaucoup de rigueur et
à huis clos, les dépenses proposées et les projets de loi, et, ainsi, faire
en sorte que le gouvernement ne se retrouve pas dans une position délicate
en portant à son attention les questions critiques avant que l'opposition
ne s'en empare.
C'était le cas vers la fin des années 1960 et dans les années 1970. Lorsque
je suis arrivé à Ottawa en 1965, le premier ministre Pearson a nommé le
président du caucus, mais, depuis 1967, l'exécutif du caucus est élu par
vote secret. L'exécutif représentait donc l'arrière-ban et non le ministère.
Dans les années 1970, lorsqu'il a été décidé que le caucus obtiendrait
des fonds pour la recherche, ces ressources étaient contrôlées par l'exécutif
du caucus et non par le CPM ni par le whip. Cela a cessé lorsque les libéraux
ont repris le pouvoir en 1993 et que le CPM a commencé à exercer davantage
de contrôle sur l'arrière-ban du gouvernement. C'est dommage, car le caucus
du gouvernement n'a plus pu contester ses propres ministres et obtenir
un second avis sur certaines questions.
Bien entendu, d'autres mesures ont accru les pouvoirs du BPM. Par exemple,
il est impossible d'être désigné candidat à moins que le chef du parti
ne signe l'acte de candidature. La présentation au président de listes
déjà triées pour la période des questions et les débats confère davantage
de pouvoir aux whips et aux chefs de parti. Et, bien sûr, se débarrasser
des membres et des présidents de comité qui contestent sérieusement le
programme du gouvernement est une pratique courante, tout comme la constitution
de comités spéciaux ou législatifs pour contourner des comités permanents
qui pourraient avoir plus de connaissances et seraient en mesure de contester
le gouvernement avec plus d'efficacité. Tout ceci donne plus de contrôle
au gouvernement et empêche un examen plus rigoureux.
J'aimerais conclure par une question soulevée par le juge Gomery et par
la Loi fédérale sur la responsabilité la nécessité d'effectuer les nominations
en fonction du mérite plutôt que pour des raisons partisanes. Évidemment,
les nominations ne devraient pas être faites sur la base de la loyauté
au parti ou de l'esprit partisan. Bien sûr, le mérite et les compétences
priment. Mais il faut aussi que les personnes pressenties se soucient de
certains objectifs stratégiques et fassent preuve d'un engagement et d'un
enthousiasme à l'égard de ces derniers. En tant que solliciteur général,
je n'aurais pas voulu d'un sous-ministre favorable à la peine de mort ou
opposé au contrôle des armes à feu. En tant que ministre des Affaires indiennes,
je n'aurais pas voulu d'un sous-ministre qui ne croie pas dans les droits
des Autochtones. Les gouvernements sont élus pour mettre en place certaines
politiques et il faut que les hauts fonctionnaires y croient et les défendent
avec passion. Les bureaucrates devraient vous informer des avantages et
des inconvénients des propositions, mais ne devraient pas retarder ou tenter
d'enterrer subrepticement vos objectifs et vos projets.
Il est facile d'être d'accord avec les objectifs de la
Loi fédérale sur
la responsabilité, mais j'espère que nous ne pensons pas qu'en l'adoptant,
nous avons fait tout ce qu'il faut faire pour corriger le déséquilibre
dans les relations entre le Parlement et le gouvernement. Il importe de
ne pas précipiter l'adoption d'un projet de loi aussi important et volumineux
au Parlement. Il s'agit de questions complexes et difficiles. Elles méritent
notre attention ainsi que celle des parlementaires et de tous ceux qui
étudient le régime parlementaire.
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