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L'avenir du patrimoine religieux du Québec
Bernard Brodeur, MAN

Le patrimoine religieux du Québec est menacé, notamment, par la baisse de la pratique religieuse, la quasi-absence de relève chez les religieux et par la diminution des revenus des fabriques de paroisses. Des lieux de culte, mais aussi des presbytères, des cimetières et des monastères sont vendus, reconvertis en de nouvelles vocations et parfois même détruits sans que les populations locales, attachées à ces biens religieux, n’aient été impliquées dans le processus décisionnel. Dans un contexte où cette tendance ira en s’accentuant et où les mécanismes en place ne semblent plus correspondre aux besoins, la Commission de la culture de l’Assemblée nationale, dans une démarche sans précédent, s’est donné un mandat d’initiative pour trouver des solutions à long terme et propose la mise en œuvre de quatre chantiers du patrimoine religieux. 

Le 6 juin 2006, la Commission de la culture de l’Assemblée nationale déposait son rapport sur l’avenir du patrimoine religieux du Québec. Comportant 33 recommandations adoptées à l’unanimité de ses membres, ce rapport résulte d’une démarche sans précédent dans l’histoire des commissions parlementaires québécoises effectuée à l’occasion d’un mandat d’initiative1

Un patrimoine imposant au statut précaire 

Le patrimoine religieux du Québec est riche et diversifié. Sa présence, sur l’ensemble du territoire, témoigne de la place prépondérante qu’il occupe dans l’histoire du Québec depuis le début de la colonie jusqu’à notre époque contemporaine où s’est opérée graduellement une laïcisation de la société. Le Québec compte encore aujourd’hui, au moins 4000 bâtiments cultuels et ensembles institutionnels à vocation religieuse et sociale, dont environ 2800 lieux de culte toute tradition religieuse confondue. À ce patrimoine bâti, s’ajoute une quantité impressionnante de biens mobiliers et d’œuvres d’art tels que des tableaux, sculptures, orfèvreries, orgues, vitraux, vêtements sacerdotaux ainsi que des milliers de mètres linéaires d’archives religieuses. La valeur exceptionnelle de cet héritage et la place particulière qu’il occupe dans l’histoire du Québec transparaît d’ailleurs du nombre de biens à caractère religieux protégés en vertu de la Loi sur les biens culturels : près de 500 d’entre eux font l’objet d’une protection légale (classement, reconnaissance, citation), ce qui représente un peu plus du tiers de l’ensemble des biens culturels protégés. Outre ce patrimoine bâti, mobilier et archivistique, existe également un patrimoine immatériel, c’est-à-dire l’ensemble des traditions, rituels, connaissances et savoir-faire détenus par les religieux et religieuses. 

Ce patrimoine, aussi riche soit-il, est cependant menacé et l’on observe depuis quelques décennies des bâtiments religieux qui sont laissés sans entretien ou encore inoccupés. D’autres ont été vendus, reconvertis et, dans certains cas, même démolis et cette tendance ira en s’accentuant. À la base, le problème s’explique notamment par la baisse de la pratique religieuse2 qui a un impact direct sur les revenus des paroisses, dont plusieurs n’arrivent plus à équilibrer leur budget. Ces dernières ont à leur charge de vastes bâtiments inadaptés à la taille réduite de la communauté de croyants et dont les coûts d’entretien, de rénovation et de restauration augmentent hors de proportion de leurs revenus. À cette réalité financière, s’ajoute une quasi-absence de relève autant chez les prêtres que dans les communautés religieuses. La fusion de paroisses a souvent été la solution avancée pour faire face à ce manque de ressources financières et humaines. Ces fusions ou regroupements de paroisses conduisent généralement à la fermeture, à la vente, à la reconversion et parfois même à la démolition de bâtiments religieux dits « excédentaires ». La population, qu’elle soit croyante ou non, manifeste un fort attachement pour ce patrimoine qui occupe souvent une place centrale dans leur village ou quartier et désire être informée à l’avance de la fermeture éventuelle de ces bâtiments religieux. Elle souhaite surtout être consultée relativement à d’éventuels projets de reconversion ou de démolition. 

Les biens mobiliers, les archives et les œuvres d’art religieux sont directement menacés par les fermetures des églises, des presbytères, des couvents et des autres édifices à caractère religieux et plusieurs pièces de grande valeur ont été détruites ou vendues par le passé. Le peu de connaissance acquise au plan des inventaires des biens mobiliers contribue à cette problématique puisque ces objets n’ont pas, pour la plupart, été répertoriés. Enfin, l’âge moyen des membres des différentes communautés religieuses atteint 80 ans, ce qui illustre l’urgence de procéder à des enquêtes sur le patrimoine immatériel, afin de conserver des traces de cette mémoire vivante qui trop souvent s’est transmise de bouche à oreille sans qu’il n’y ait eu d’écrits. 

Ces dernières années, rares sont les députés qui n’ont pas été sollicités ou consultés dans leur propre circonscription relativement à la sauvegarde d’une église menacée de fermeture, à l’entretien déficient d’un bâtiment religieux, à la vente annoncée d’un monastère ou à la restauration coûteuse d’une œuvre d’art religieux. Derrière ces demandes particulières, auxquelles des solutions ponctuelles ou à moyen terme ont été trouvées, se cache toutefois une problématique générale qui requiert plus que des interventions à la pièce. D’où l’adoption, en novembre 2004, de ce mandat d’initiative axé sur la recherche de solutions à long terme. 

Une démarche sans précédent 

L’adoption de ce mandat par la Commission de la culture a été suivie de la publication d’un document de consultation en juin 2005. Une vaste consultation générale a débuté en septembre de la même année au cours de laquelle la Commission a reçu 120 mémoires et 69 réponses au questionnaire en ligne. Pour la première fois depuis près de vingt ans, une commission parlementaire s’est déplacée dans les villes de Montréal, Gatineau, Sherbrooke, Saguenay, Rimouski, Trois-Rivières et Québec pour tenir des auditions publiques. Fait inusité dans les pratiques des commissions parlementaires, des répondants au questionnaire en ligne ont aussi été entendus lors d’auditions publiques. Par ses déplacements, la Commission cherchait à informer et à sensibiliser les populations locales à l’importance de leur patrimoine religieux, mais aussi, à créer un effet mobilisateur permettant un meilleur dialogue entre les autorités civiles, religieuses, les experts en patrimoine et les citoyens. Les commentaires recueillis tout au long du mandat et l’importante couverture médiatique dont a pu bénéficier la Commission nous portent à croire que ses objectifs ont été atteints. 

Des visites d’églises, de monastères et d’un musée ont aussi été effectuées par la Commission. Une délégation de la Commission a également participé, en octobre 2005, à un colloque d’envergure internationale se déroulant à Montréal et intitulé Quel avenir pour quelles églises? où une trentaine d’experts et de praticiens sont venus faire état de leur expérience. À la suggestion de plusieurs groupes entendus lors des auditions publiques, une délégation de la Commission a participé, du 5 au 10 février 2006, à une mission d’étude en Belgique et en France, deux pays majoritairement catholiques et francophones qui disposent d’une longue expérience en matière de protection et de mise en valeur de leur patrimoine religieux3

De façon à bien souligner l’importance que la Commission accorde à un meilleur dialogue entre les autorités civiles, religieuses, les experts et les citoyens, celle-ci a procédé au lancement public de son rapport, le 6 juin 2006, en l’église Saint-Roch de Québec en présence de plus de 200 invités de provenances diverses. 

Les chantiers du patrimoine religieux 

Au terme de ses démarches, la Commission en arrive de façon unanime à la conclusion qu’il nous faut mettre en oeuvre quatre grands chantiers. Le premier de ces chantiers concerne la connaissance de ce patrimoine, puisqu’on ne peut faire des choix éclairés si l’on ne connaît pas l’objet sur lequel on se prononce. Ainsi, la Commission propose de compléter les inventaires des biens religieux immobiliers, de réaliser des inventaires des biens mobiliers et d’instituer un programme d’enquêtes destiné à faire connaître le patrimoine religieux immatériel. Il est également proposé d’accorder la priorité à l’inventaire des archives religieuses et des orgues et de stimuler la formation et la recherche en cette matière. 

Le second chantier se rapporte aux mesures de protection à mettre en place. La Commission propose l’instauration d’un mécanisme d’aliénation des bâtiments religieux et des cimetières d’une durée d’une année, de façon à informer la population de leur vente éventuelle et pour l’impliquer dans la recherche de nouvelles vocations. Elle recommande également l’adoption de mesures législatives permettant au ministère de la Culture et des Communications d’inscrire des « charges patrimoniales » à des bâtiments religieux, et ce, à titre complémentaire aux mesures de protection inscrites dans la Loi sur les biens culturels. Comme l’adoption de telles mesures est susceptible de prendre un certain temps, la Commission juge qu’un moratoire doit être décrété à partir de la date du dépôt de son rapport jusqu’au 1er janvier 2008, de façon à suspendre l’aliénation ou la modification des bâtiments religieux et des cimetières. 

Le troisième chantier concerne la transmission de ce patrimoine aux générations futures. Ainsi la Commission propose que des mesures soient adoptées pour soutenir les efforts de mise en valeur du patrimoine religieux, pour promouvoir le tourisme religieux et pour sensibiliser les jeunes à ce patrimoine. Elle recommande aussi que soit organisée, sur le modèle des Journées de la culture, une journée nationale du patrimoine religieux. 

Enfin, le dernier chantier vise une meilleure gestion de ce patrimoine en consolidant le rôle de coordination du ministère de la Culture et des Communications au sein de l’appareil gouvernemental et en faisant reconnaître des responsabilités locales et régionales en la matière. De même, la Commission propose que la Fondation du patrimoine religieux du Québec soit transformée en un futur conseil du patrimoine religieux et que de nouvelles responsabilités lui soient confiées, notamment en matière d’aide à la reconversion, de services-conseils, d’accompagnement et de sensibilisation. La Commission est d’avis qu’il est nécessaire de poursuivre le financement public et récurrent du nouveau conseil du patrimoine, mais qu’il faille aussi diversifier ses modes de financement par la mise en place d’un fonds d’appariement favorisant la participation financière de l’entreprise privée4

De l’avis de plusieurs, il y a présentement un « momentum » au Québec sur la question de la préservation de ce patrimoine et les travaux de la Commission ont contribué, conjointement avec d’autres initiatives, à mettre cet enjeu au premier plan. C’est pourquoi les membres de la Commission sont confiants que les différents acteurs concernés par le rapport donneront suite dans les meilleurs délais aux recommandations. 

Comme je l’ai notamment mentionné lors du débat de deux heures sur la prise en considération du rapport de la Commission à l’Assemblée nationale en juin dernier, ce mandat d’initiative sur le patrimoine religieux du Québec a certainement été la plus belle expérience parlementaire que j’ai vécue depuis mon élection comme député de Shefford en 1994.  Comme élu, il est relativement rare de pouvoir accomplir un tel travail, en collaboration avec les collègues tant du parti ministériel que de l’opposition officielle, dans un climat aussi serein et sans partisanerie politique.  Ce fut une tâche ardue, avec nos maintes réunions, mais combien passionnante.  Je suis particulièrement heureux que la Commission de la culture ait réussi à déposer un rapport unanime, avec des recommandations réalistes au gouvernement, dont l’accueil dans la population a été aussi positif comme nous avons entre autres pu le constater lors du lancement public du 6 juin dernier à l’église Saint-Roch de Québec.  Ce document devrait changer le cours des choses et contribuer à conserver le patrimoine religieux québécois qui représente notre grande richesse artistique, historique et culturelle nationale. 

Notes 

1. Les commissions parlementaires de l’Assemblée nationale peuvent se donner, de leur propre initiative, des mandats sur toute question d’intérêt public dans leur champ de compétence. Il s’agit de mandats distincts de ceux conférés par l’Assemblée et pour lesquels les commissions jouissent de beaucoup plus d’autonomie dans leur accomplissement. 

2. La population québécoise comptait 80 % de pratiquants catholiques en 1960, elle n’en compte plus qu’entre 5 % et 10 % aujourd’hui. 

3. Le compte rendu de la mission d’étude est disponible en version française sur le site Internet de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :
http://www.assnat.qc.ca/fra/37legislature2/commissions/Cc/Patrimoine-mission-France.pdf 

4. La version française du rapport de la Commission est accessible sur le site Internet de l’Assemblée nationale du Québec à l’adresse suivante :
http://www.assnat.qc.ca/fra/37legislature2/commissions/Cc/Patrimoine-mission-France.pdf.  La version anglaise du rapport est disponible sur demande. 


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 29 no 3
2006






Dernière mise à jour : 2020-09-14