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Line Gravel
Québécoises et représentation parlementaire par Manon Tremblay.
Presses de l'Université Laval, 2005.
Cet ouvrage est le fruit d’un travail de recherche exhaustif sur la représentation féminine québécoise à l’Assemblée nationale, à la Chambre des communes et au Sénat du Canada. L’auteure adopte une approche qui relève à la fois de l’histoire et de la science politique. Son étude est d’actualité, car les statistiques démontrent bien que le Canada perd du terrain dans ce domaine à l’échelle mondiale. En effet, selon les chiffres de l’Union interparlementaire sur la proportion des femmes dans les assemblées législatives de quelque 180 pays, le Canada est passé du 16e rang en janvier 1998 au 31e à la fin de 2004.
Dans le premier chapitre, l’auteure présente l’historique des droits de vote et d’éligibilité. Elle relate les différents moments qui ont façonné la citoyenneté politique des Québécoises et leur accès à la représentation parlementaire de 1791 à 2004. En second lieu, elle se consacre aux idées qui ont animé les débats relatifs au suffrage des femmes du Québec. Elle circonscrit le grand débat autour de cinq discours ou rationalités : la spécificité des sexes, la modernité démocratique, la représentation substantielle des femmes, les compétences constitutionnelles et la pratique du suffrage. Ces discours ont eu lieu à la Chambre des communes en 1885, en 1917 et en 1918, et à l’Assemblée législative du Québec en 1940. Ce que l’auteure fait ressortir de ce survol historique met surtout l’accent sur la relation historiquement difficile des principes démocratiques face à la différence, le rapport entre fédéralisme, nationalisme et droits des femmes, et l’évolution de la citoyenneté politique des femmes au chapitre de la représentation.
Le second chapitre cherche à comprendre pourquoi les femmes, pourtant légèrement majoritaires dans la population, sont toujours, après tant d’années, minoritaires dans les arènes législatives. Selon l’auteure, pour qui inclusion n’implique pas représentation, plusieurs hypothèses peuvent expliquer cette anomalie, dont le processus de désignation des parlementaires élues. Après avoir analysé les critères d’éligibilité, de recrutement, de sélection et d’élection, l’auteure constate que, depuis 1921, seulement 134 Québécoises ont été mandatées pour représenter une circonscription à la Chambre des communes ou à l’Assemblée nationale du Québec. Passant ensuite au processus de désignation des parlementaires non élues, soit les sénatrices, elle remarque que, depuis 1929, seulement 16 Québécoises ont été nommées au Sénat.
Le troisième chapitre explore l’identité et les idées des députées et des sénatrices du Québec. L’auteure concède que les femmes transforment la représentation descriptive de la gouverne parlementaire de par leur seule présence. Après tout, ces femmes parlementaires font souvent partie d’une élite plus instruite, plus politisée et qui occupe des postes plus prisés que la moyenne des Québécoises. Lors de son enquête, l’auteure les a souvent entendu avouer ressentir une responsabilité de représenter les femmes. Cette cause implique que ces parlementaires élargissent leur mandat à l’extérieur des frontières de leurs circonscriptions électorales. L’auteure croit toutefois que cet élargissement demeure modeste, étant d’avis que certains facteurs d’ordre personnel et, plus particulièrement, institutionnel, comme le respect de la discipline de parti, diminue de beaucoup la liberté de parler et d’agir de ces parlementaires. Avant qu’elles ne puissent vraiment songer à représenter les autres femmes, elles devront, selon l’auteure, commencer par augmenter leurs rangs. En effet, pour être en mesure d’influencer la réflexion et les débats et d’y contribuer, le nombre importe beaucoup.
Dans son quatrième et dernier chapitre, l’auteure examine ce qui pourrait être fait pour augmenter le nombre de Québécoises qui œuvrent en politique. Les solutions sont plutôt connues et plus ou moins controversées. Débutant par les quotas dans les assemblées législatives, l’auteure énumère les arguments des tenants et des opposants avant de se prononcer plutôt contre cette option, qu’elle juge inefficace. Elle favorise les modes de scrutin mixte où les quotas pourraient être appliqués. Selon elle, un juste milieu entre un scrutin majoritaire et un scrutin proportionnel serait beaucoup plus efficace.
L’auteure examine ensuite les motivations de la mouvance féministe en matière de représentation descriptive des Québécoises dans les assemblées législatives. Essentiellement, deux grandes philosophies, le rejet et l’investissement, caractérisent, à son avis, l’attitude des mouvements de femmes face au pouvoir politique. Alors que la première école de pensée réfère au rejet du pouvoir pour les femmes au nom de la tradition, la seconde vise à investir le pouvoir politique en y adaptant les femmes ou en le changeant de l’intérieur.
L’auteure conclut par une étude des propositions mises de l’avant par les gouvernements fédéral et provincial pour augmenter la représentation féminine du Québec à la Chambre des communes et à l’Assemblée nationale. Soulevant la prévalence d’un laisser-faire en matière de représentation des femmes tant à Ottawa qu’à Québec, et bien qu’une loi sur la parité semble prometteuse, l’auteure estime que le « népotisme » des partis politiques demeure l’obstacle fondamental à l’égalité parlementaire des femmes.
Cet ouvrage est une grande analyse historique et politique de la représentation parlementaire des Québécoises à la fois dans les deux chambres fédérales et à la chambre provinciale. Le livre débute sur un constat déconcertant : non seulement les femmes n’ont-elles gagné que très peu de terrain en soixante ans, elles ont, en fait, pris du recul ces dernières années.
Dans sa conclusion, l’auteure propose une solution partielle qui n’est pas tout à fait satisfaisante. Selon elle, le remède, voire la panacée, à la faible présence des femmes en politique se trouve dans la proposition de réforme du mode de scrutin au Québec qui a été présentée à l’Assemblée nationale le 15 décembre 2004, plus particulièrement dans deux dispositions du projet. La première vise à majorer l’allocation accordée à un parti en fonction du pourcentage de candidatures de femmes ou de membres de minorités ethnoculturelles. La deuxième bonifie le remboursement dû à une femme candidate ou à une candidate ou un candidat d’une minorité ethnoculturelle. L’auteure affirme que, si le mode proportionnel mixte proposé par Jacques Dupuis, ministre québécois responsable du dossier à l’époque, s’avère encourageant, il reste perfectible. Cette solution s’adressant plus particulièrement au Québec, l’auteure demeure cependant muette dans sa conclusion sur les solutions possibles pour la Chambre des communes et le Sénat.
Dans l’ensemble, cet ouvrage fait un tour exhaustif de la question de la représentation des femmes du Québec en politique provinciale et fédérale. Il constitue un important document de référence et nous fait prendre conscience de la difficulté qu’ont les femmes à se tailler une place sur l’échiquier politique. Ce livre permet également au lecteur de se rendre compte à quel point les Québécoises actuellement en politique demeurent des pionnières, ainsi que de l’énorme travail qu’il reste à accomplir. La faiblesse de cet ouvrage pourrait résider dans sa conclusion, laquelle se limite à l’Assemblée nationale du Québec et ignore la Chambre des communes et le Sénat, une dichotomie d’autant plus surprenante que la quasi-totalité du livre se penche équitablement sur les trois chambres. Ce revirement de dernière minute peut laisser perplexe.
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