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Kenneth Carty
Il ny a pas deux systèmes politiques démocratiques qui organisent leurs
élections de la même façon. Conscients de limportance dune concurrence
démocratique entre les partis dans lorganisation et la gestion du pouvoir
politique, les groupes sociaux se dotent de systèmes électoraux qui reflètent
leur histoire, sadaptent à leurs particularités et conviennent à la classe
politique appelée à sen servir. Lauteur se penche sur lapproche adoptée
par plusieurs autorités législatives canadiennes qui ont examiné la question
de la réforme électorale.
André Blais et ses collègues ont démontré récemment quun des facteurs les
plus puissants à avoir favorisé ladoption de la représentation proportionnelle
(RP) au début du XXe siècle a été la conviction transnationale grandissante
que cette formule était plus démocratique1.
Après la vague de réformes
qui a mené à ladoption de la RP dans de nombreux pays, la transformation
des systèmes électoraux a carrément quitté la plupart des programmes politiques
(sauf peut-être en France) jusquà la dernière décennie du siècle, où elle
a soudain refait surface. Aujourdhui, nous traversons une autre période
où les forces mondiales de la démocratisation remettent les changements
de système électoral à lordre du jour.
Si puissant quait été limpératif mondial de développement démocratique
libéral depuis une quinzaine dannées, il ny a pas deux pays ni deux populations
qui ont réagi de la même manière. Chacune a cherché une solution régionale
bien particulière face au monde en mutation. Et, en cela, les Canadiens
nont pas agi différemment. Pris dans le débat du déficit démocratique,
et frustrés par les tentatives ratées de pousser plus loin la réforme constitutionnelle,
ils en sont venus, eux aussi, à se demander si la réforme de leurs institutions
électorales ne pourrait pas rendre le nouveau siècle plus démocratique.
Aux yeux dun grand nombre, écrire Canada et réforme électorale dans la
même phrase peut constituer un oxymoron politique. Après tout, le pays
est une des rares grandes démocraties parlementaires qui persistent à utiliser
un système hérité du XIXe siècle pour élire ses législateurs. Cependant,
malgré le recours généralisé à la formule uninominale à scrutin majoritaire
(ou système majoritaire), les Canadiens ont une expérience considérable
dautres mécanismes électoraux. Les circonscriptions plurinominales habilement
employées pour tenir compte des divisions religieuses ou linguistiques
ont existé pendant longtemps dans le système fédéral et nont disparu que
récemment de la carte de plusieurs provinces. Des systèmes fort différents aussi
faisant appel aux principes de la majorité et de la proportionnalité
ont été utilisés dans plusieurs provinces au XXe siècle. Mais jamais encore
le pays na semblé avoir aussi bien saisi lesprit de lépoque et sêtre
engagé véritablement dans un programme de réforme électorale.
Il nexiste pas de réponse facile ou évidente à la question de savoir pourquoi
les Canadiens parlent sérieusement de réforme électorale aujourdhui. Il
ne fait aucun doute que certaines manifestations récentes de notre système
majoritaire uninominal ont suscité un mécontentement général. Il arrive
que le parti recueillant le plus de votes ne gagne pas comme au Québec,
en Saskatchewan et en Colombie-Britannique dans les années 1990. Il se
peut que lopposition soit si dégarnie quelle ne puisse pas jouer son
rôle essentiel, comme en font foi les résultats obtenus récemment à lÎle-du-Prince-Édouard
et au Nouveau-Brunswick. Ou encore, des partis sont surreprésentés ou sous-représentés
à répétition comme le Parti Québécois et le Nouveau Parti démocratique.
Mais il ny a rien de nouveau à tout cela. Plusieurs premiers ministres
fédéraux et des premiers ministres dans presque toutes les provinces ont
pris le pouvoir avec moins de votes que leurs adversaires, certains partis
ont raflé des législatives à bien des occasions, et la plupart des petits
partis ont presque toujours été injustement représentés. Pourtant, aucun
de ces phénomènes na suscité assez de mécontentement pour faire de la
réforme électorale un enjeu politique viable par le passé.
Si la réforme électorale figure aujourdhui à lordre du jour au Canada,
cest parce que les leaders politiques ly ont inscrite. Il est facile
de penser que les élus sont les derniers à vouloir changer un système qui
les a portés au pouvoir, mais les chefs de parti de la génération actuelle
nous portent à réévaluer cette idée. Le premier ministre Martin a beaucoup
parlé du déficit démocratique pendant sa campagne et a ensuite fait changer
certaines pratiques législatives. Si sa vision de la réforme ne sétend
pas beaucoup au-delà de la cité parlementaire, il nen va pas de même pour
ses collègues des provinces. Les premiers ministres de la moitié des provinces
se sont délibérément engagés dans une réforme du système électoral et doivent
faire en sorte quelle est prise au sérieux. Ces réformateurs nappartiennent
pas tous à une même catégorie : ils sont premiers ministres dune grande
ou dune petite province, nouveaux venus ou vieux routiers, élus par une
majorité très mince ou très imposante, libéraux ou conservateurs. Sans
lattribuer à un concept de « grand personnage de lhistoire », mon interprétation
est que ces premiers ministres ont senti le vent du changement qui caractérise
la période contemporaine et veulent avancer avec lui.
Le défi de la réforme électorale donne lieu, en général, à des solutions
bien régionales. Les travaux de Sarah Birch sur lEurope de lEst révèlent
quaprès le démantèlement du régime soviétique, les nombreux États nouvellement
créés se sont empressés de concevoir leur propre réponse au problème du
système électoral et aucun dentre eux na adopté la même formule2. Il
nest pas étonnant que lhistoire se répète à peu de choses près au Canada.
Certes, le caractère fédéral du Canada permet, certains diraient même encourage,
des réponses régionales aux difficultés stratégiques communes. Et, à mesure
que les provinces prenaient des initiatives, loriginalité de leurs solutions
se manifestait à trois niveaux : premièrement, dans la définition du problème
pour lequel la réforme électorale pourrait être une solution; deuxièmement,
dans les mécanismes adoptés pour faire avancer le dossier; troisièmement,
dans les propositions de réforme proprement dites qui ont émergé et qui
figurent maintenant à lordre du jour des provinces. Lexamen de chacune
de ces dimensions des réformes électorales dans les quatre provinces où
la démarche a le plus progressé le Nouveau-Brunswick et lÎle-du-Prince-Édouard,
le Québec et la Colombie-Britannique est très révélateur de la manière
dont cet enjeu se déroule au Canada et donne un aperçu des scénarios davenir
possibles du système électoral.
Définition du problème
La période contemporaine de démocratisation, comme son équivalent du début
du XXe siècle, semble privilégier la représentation proportionnelle. En
Europe de lEst, chaque nouveau pays a un élément proportionnel dans son
système électoral. En Occident, les pays qui ont réformé leurs régimes
électoraux (sauf lItalie) se sont, eux aussi, dirigés vers une plus grande
proportionnalité. Voilà qui traduit une opinion généralisée, à savoir que
les élections modernes sont essentiellement des élections de partis où
les résultats législatifs doivent refléter les parts de vote de ces derniers.
Puisque seule la représentation proportionnelle permet une adéquation entre
la proportion de sièges des partis et la proportion de votes, les systèmes
de RP deviennent, du coup, les seuls justes et, donc, démocratiques. Au
Canada, comme dans bien dautres démocraties de longue date, la participation
électorale a chuté depuis une vingtaine dannées. Ceux qui voient dans
cette tendance une menace à la légitimité démocratique sont donc dautant
plus favorables à la RP que celle-ci favorise une participation légèrement
plus élevée3.
Au Canada, le mouvement général vers la RP colore le débat au point où,
dans toutes les provinces, il semble acquis quune réforme électorale positive
doit passer par un système proportionnel quelconque. Mais de quel genre
au juste? Les avis se sont vite partagés, car il existe un grand nombre
de systèmes proportionnels possibles, chacun étant conçu pour répondre
à des besoins différents. Dès quon décortique les défis politiques dune
région donnée, on sengage, bien au-delà dune simple préférence pour la
RP, dans la conception dune proposition de réforme ciblée.
Au Québec, le débat de la réforme électorale dure depuis plusieurs décennies
et le problème fondamental apparaît maintenant clairement. Louis Massicotte
la bien défini en parlant du gerrymander linguistique permanent4. En raison
de la géodémographie de la province, le système majoritaire uninominal
exerce une discrimination permanente contre un des deux grands partis.
Massicotte estime, en effet, que, pour gagner une élection, les libéraux
doivent récolter entre 5 et 7 p. 100 plus de voix que leurs adversaires.
Voilà qui non seulement garantit une iniquité fondamentale dans la politique
québécoise, mais qui semble aussi porter au pouvoir de faux gagnants : tour
à tour, Maurice Duplessis, Daniel Johnson et Lucien Bouchard ont mené leurs
partis au pouvoir malgré un nombre de voix supérieur pour les libéraux.
Lobjectif central de la réforme électorale au Québec consiste donc à trouver
un aménagement proportionnel qui mettra fin à cette disparité fondamentale,
sans bouleverser les fondements politiques de la province.
Dans les deux provinces de lAtlantique, la question à laquelle les réformateurs
ont été confrontés est tout à fait différente. LÎle-du-Prince-Édouard
et le Nouveau-Brunswick ont, toutes deux, connu une série délections où
le système majoritaire a tant déformé le résultat que le parti dopposition
en a été réduit à une présence fantomatique dans une assemblée législative
déjà restreinte. Un tel état de fait est manifestement dysfonctionnel.
Un système parlementaire en santé se nourrit de linteraction entre le
gouvernement et lopposition. Sans opposition, il nest pas facile damener
les gouvernements à rendre des comptes; sans présence législative, les
voix de lopposition ne sont pas entendues, la population ne voit pas doption
de rechange et les partis dopposition sont mal préparés pour le moment
où un nouveau vent électoral les reportera au pouvoir. Dans ces provinces,
le véritable défi consiste donc à trouver un moyen de renforcer la présence
de lopposition à lassemblée législative. Au Nouveau- Brunswick, il faut,
en plus, tenir compte de la dualité linguistique de la population et du
désir dassurer aux deux groupes une place au sein des caucus législatifs
tant du côté du gouvernement que de lopposition à la Chambre.
La Colombie-Britannique a connu de faux gagnants et des oppositions squelettiques
lors délections récentes, mais aucun des deux phénomènes ne semble être
au cur du mécontentement général de la population qui a fait naître un
désir de réforme électorale. Depuis longtemps, le débat polarisé et le
style de concurrence politique agressif, lointains du quotidien de la plupart
des citoyens, donnent à penser que la province a besoin de trouver une
façon différente de faire de la politique. En ce sens, la réforme électorale
est vue comme un élément dun vaste programme de changement politique,
dont les autres éléments ont consisté notamment à instituer les premières
élections à dates fixes au Canada et à ouvrir certaines séances du cabinet
au public. Les réformateurs électoraux de la Colombie-Britannique navaient
pas le même genre de problème à régler que leurs homologues de lest du
pays. Leur objectif était de voir sils pouvaient réformer le système électoral
de manière à compléter les efforts déployés pour renforcer la confiance
de la population dans la démocratie.
Chacune de ces provinces a été aspirée dans le même mouvement général de
changement et chacune a semblé épouser le consensus contemporain selon
lequel la représentation proportionnelle constituait la forme de système
électoral la plus démocratique. Pourtant, au moment de cerner plus précisément
leur problème de représentation et, partant, leur besoin de réforme, chacune
a répondu de façon différente et bien particulière. Et ce sont ces réponses
pointues qui ont ensuite structuré leur approche du problème et ont, au
bout du compte, régi leurs recommandations de changement.
Le choix des mécanismes
Peu importe comment ils ont défini le problème inhérent à leur système
électoral, les politiciens de toutes les provinces ont fait le constat
dune transformation majeure et généralisée de la culture politique. Ils
ne peuvent plus négocier sans crainte entre eux des changements à une institution
démocratique aussi fondamentale que les règles qui régissent le déroulement
des élections publiques. Les Canadiens ne sont plus aussi respectueux ni
confiants quavant, et lobjet même de la réforme renforcer la démocratie commande maintenant une participation active du public à cette démarche.
La plupart des provinces se sont, à cette fin, tournées vers des référendums;
le gouvernement du Québec a, pour sa part, opté pour lidée de greffer
un groupe de citoyens à un comité législatif. Cette nouvelle formule participative
et plutôt populiste côtoie étrangement la prise de décision parlementaire
traditionnelle et a inévitablement modifié laspect politique de lenjeu.
Comme nous lavons signalé, le problème fondamental du Québec est défini
comme étant essentiellement technique : le gerrymander linguistique. Le
débat public dune trentaine dannées nayant pas permis de sentendre
sur une proposition de réforme, le gouvernement a décidé de voir sil pouvait
trouver une solution. Le projet a été confié à un sous-ministre habile
et un éminent politicologue a été engagé pour produire un vaste rapport
sur le fonctionnement dun système proportionnel au Québec dans une multitude
de scénarios électoraux5. Issu de consultations approfondies, leur travail
a ensuite pris la forme dun projet de loi qui a été présenté à lAssemblée
nationale, puis soumis à un comité spécial élargi à qui on a confié le
soin de tenir de vastes consultations publiques.
Dans les deux provinces Maritimes, lenjeu consiste essentiellement à faire
entendre plus de voix dans le système politique, en particulier dans les
assemblées législatives. Dans les deux cas, les gouvernements se sont tournés
vers des commissions denquête indépendantes dont le mandat était de consulter
largement et de proposer une réforme électorale appropriée. À lÎle-du-Prince-Édouard,
la tâche a été confiée à un seul juge; au Nouveau-Brunswick, en raison
des clivages linguistiques plus complexes et de la géographie politique,
on a établi une commission bien équilibrée (aux chapitres de lâge, du
sexe, de lallégeance politique, de la langue et de la région). Les deux
commissions ont effectué un travail de recherche indépendant, mais elles
se sont aussi déplacées dans la province pour sonder la population. La
commission du Nouveau-Brunswick avait entre les mains un vaste mandat,
mais, au fond, la question était la même : quel système électoral permettrait
la plus juste représentation de la préférence des électeurs à lAssemblée
législative6. Après avoir reçu le rapport de sa commission, le premier
ministre Binns de lÎle-du-Prince-Édouard a créé une deuxième commission,
cette fois sur le futur électoral, et la chargée de concevoir les détails
dun plébiscite public tenu en novembre 20057.
Au Nouveau-Brunswick, le
premier ministre Lord a été plus lent à réagir au rapport de sa commission,
mais il a indiqué clairement que toute décision finale de modification
du système électoral ferait lobjet dun référendum.
La démarche est plus floue en Colombie-Britannique, mais le premier ministre
Campbell croit que le système électoral est si fondamental pour la démocratie
que les citoyens ordinaires, et non les politiciens en place ni les spécialistes
du milieu universitaire, doivent décider de son mode de fonctionnement.
Cest ainsi quune assemblée de citoyens choisis au hasard a reçu pour
mandat dévaluer quel système électoral devrait être adopté par la province.
Ils ont passé plusieurs mois à faire lapprentissage des systèmes électoraux,
à tenir un grand nombre daudiences publiques partout dans la province
et à faire un exercice savant de modélisation avant de parvenir au débat
final et à la décision8. LAssemblée des citoyens a conclu que la province
devait adopter le scrutin à vote unique transférable, qui est une forme
de représentation proportionnelle, et a rédigé une question référendaire
à cet effet qui a été soumise au public en mai 2005. Comme lAssemblée législative
avait fixé le taux dappui nécessaire au changement à 60 %, le taux récolté
de 58 % na pas permis, de justesse, de faire adopter la mesure. Depuis,
le gouvernement a indiqué que la question sera de nouveau soumise au public
en 2008, encore par voie de référendum, et que la proposition sera alors
accompagnée dune carte électorale détaillée et fera lobjet dune campagne
dinformation complète.
Toutes ces provinces étaient déterminées à régler lépineux problème de
la réforme électorale et toutes étaient convaincues quil fallait le faire
dune manière plus inclusive que ce que les mécanismes législatifs en place
permettaient. Or, elles ont toutes abordé dune façon différente le défi
de préciser une proposition de réforme. En fait, des divergences frappantes
les ont distinguées, allant de la formule relativement fermée et professionnelle
au Québec à la manière ouverte, empreinte damateurisme et sans précédent
qui a été adoptée en Colombie-Britannique. Il nest pas étonnant que ces
différences aient eu un impact sur les propositions de réforme qui ont
émergé.
Les changements recommandés
La Colombie-Britannique, le Québec, le Nouveau- Brunswick et lÎle-du-Prince-Édouard
ont commencé à parler de changement au moment où un accord transnational
grandissant semblait se dessiner sur le système électoral du XXIe siècle.
La Nouvelle-Zélande, le Japon, le pays de Galles, lItalie, lÉcosse et
bon nombre des nouveaux régimes dEurope de lEst ont adopté récemment
une forme quelconque de système mixte, arrangement que certains politicologues
considèrent comme le meilleur des deux mondes. Tout en reconnaissant les
arguments sous-tendant ce consensus général, les provinces, confrontées
à leurs réalités régionales, ont fini par proposer des systèmes électoraux
uniques, qui auraient, sils sont adoptés, un impact bien particulier sur
leurs partis politiques et leur concurrence électorale.
Les systèmes proportionnels mixtes constituent le régime électoral le plus
complexe en raison de la multitude de façons différentes dont les diverses
composantes doivent simbriquer lune dans lautre. La version proposée
au Québec a été conçue pour donner des résultats proportionnels et ainsi
mettre fin à la discrimination unidirectionnelle qui a cours dans le système
actuel. Mais, en faisant cela dans un grand nombre de petites régions (ce
qui se traduirait par une faible représentation des circonscriptions) et
en donnant aux électeurs un seul vote, cette formule navantagerait pas
les petits intérêts et serait donc peu susceptible de menacer la position
prédominante des deux plus grands partis. Les électeurs nauraient pas
beaucoup plus de choix que maintenant et les politiciens constateraient
probablement un nombre encore plus élevé de sièges assurés à lAssemblée
nationale. Pour bien des réformateurs électoraux, on pourrait, sans crainte
de se tromper, décrire cette forme de RP comme un modèle prudent par comparaison
aux autres, conçu pour ne pas « effrayer les chevaux ».
Le système mixte recommandé à lÎle-du-Prince-Édouard est bien différent.
Contrairement au grand nombre de petites régions qui existent au Québec,
il y aurait à lÎle une seule liste pour toute la province. Les électeurs
auraient un vote de circonscription et un vote de liste, mais les listes
provinciales seraient fermées et les électeurs devraient accepter les candidats
issus du classement dans les partis. Comme les candidats pourraient figurer
sur les listes provinciales et dans les circonscriptions locales, il pourrait
savérer très difficile pour les électeurs de ne pas élire les personnalités
préférées des partis. Les divisions linguistiques du Nouveau-Brunswick
rendant les listes de province politiquement inacceptables, sa version
dun système proportionnel mixte contient des listes de parti dans quatre
régions judicieusement découpées et démographiquement équilibrées. Comme
au Québec et à lÎle-du-Prince-Édouard, ces listes seraient fermées (mais
créées lors de congrès ouverts, participatifs et réglementées). Cependant
les candidats ne seraient pas autorisés à faire campagne dans les deux
composantes du système ils devraient choisir lune ou lautre. Cet élément
unique aurait des conséquences importantes, tant pour la capacité des électeurs
de défaire les politiciens locaux que pour la structure et le caractère
de la concurrence à lintérieur des partis.
Malgré cet enthousiasme commun pour les systèmes proportionnels mixtes,
lAssemblée des citoyens de la Colombie-Britannique a opté pour une formule
de représentation proportionnelle tout à fait différente le vote unique
transférable. À bien des égards, il sagit de la plus radicale de toutes
les propositions des provinces. Elle donnerait aux électeurs la chance
de classer les candidats dans lordre désiré, elle éliminerait tous les
sièges assurés pour les politiciens et elle transformerait et déplacerait
très certainement la compétition à lintérieur des partis. Le pourquoi
du choix différent de la Colombie-Britannique a été expliqué ailleurs,
mais disons essentiellement quil reflète le fait que les auteurs de la
proposition étaient des personnes dont la préoccupation centrale était
celle des électeurs ordinaires, et non des politiciens ou des administrateurs
de parti9. Et cest précisément parce que le vote unique transférable avait
été recommandé par des citoyens quil a recueilli un appui favorable de
la population lors du référendum provincial tenu en mai 200510.
Les réponses régionales aux défis démocratiques
Il existe des éléments communs importants aux réformes électorales des
provinces. Premièrement, il est trop facile doublier quelles se sont
produites en même temps. Aucun effet dentraînement par la démonstration
des résultats na donc joué. La réalité est différente : des entités indépendantes
ont réagi, avec plus ou moins dindépendance, à un défi commun, à savoir
le renouvellement de leurs institutions démocratiques fondamentales. Deuxièmement,
lélan de réforme est en voie dimprimer un mouvement de changement électoral
dans une direction commune, vers une forme quelconque de représentation
proportionnelle. Troisièmement, dans la plupart des cas, on semble opter
pour un système proportionnel mixte du type préconisé par les réformateurs
contemporains parce quil offre un compromis entre la politique de géographie
et la politique dintérêt des partis. En dernier lieu, les provinces semblent
toutes daccord sur un point : le temps est révolu où les politiciens décident
en toute confiance des règles du jeu. Tout changement démocratique des
institutions de base doit passer par la participation du public pour être
légitime11.
Ce nest pas seulement une réalité canadienne, car un grand nombre de similitudes
sappliquent à bien des démocraties contemporaines en Europe de lEst et
de lOuest. Mais, quelle que soit la force de ces tendances, il ny a pas
deux entités, ni deux provinces dailleurs, qui aient adopté le même système
électoral. La réalité est que des problèmes généraux invitent des solutions
régionales qui prennent racine dans les réalités que sont lemplacement,
lhistoire et la collectivité. La démarche des quatre provinces nous éclaire
sur le lien étroit qui existe entre les aspects importants que sont la
définition du problème, la démarche pour trouver une solution et la proposition
de réforme proprement dite.
Regardons le spectre qui aligne les exercices de réforme électorale contemporaine
des provinces. À une extrémité, nous avons le Québec, la province aux paramètres
les plus étroits. Elle a recouru à une équipe dinitiés politiques et professionnels
pour façonner une réforme qui serait comparativement sûre pour sa classe
politique. À lautre extrémité du spectre, se situe la Colombie-Britannique.
Cest la province aux objectifs de réforme les plus généraux. Elle a adopté
un mécanisme exceptionnellement ouvert qui a donné un pouvoir réel à des
étrangers de la classe politique, qui nont pas tardé à surprendre tout
le monde en proposant dadopter un système susceptible de transformer radicalement
la façon dont sa démocratie représentative est organisée et pratiquée.
Lexpérience des deux provinces Maritimes sinscrit quelque part entre
les deux. En comparaison, leur programme nétait ni aussi limité ni aussi
ouvert que les deux autres. Elles ont confié leur plan de réforme à des
personnes situées ni tout à fait à lintérieur ni tout à fait à lextérieur
de la classe politique (en réalité plus à lintérieur). Elles ont produit
deux modèles de réforme qui vont plus loin que celui du Québec, mais paraissent
beaucoup moins radicaux que celui de la Colombie- Britannique.
Il est trop tôt pour dire si lun de ces scénarios a plus de chances de
bien réformer nos systèmes électoraux. Il ne semble pas exister de raison
inhérente de penser que la proposition prudente du Québec issue de la
classe politique et dun programme daction étroit a plus ou moins de
chances de devenir un système réformé que la proposition ambitieuse de
la Colombie-Britannique conçue à lextérieur de la classe politique et
dans un programme daction plus large. Les Britanno-Colombiens ont voté
à 58 % en faveur de leur option (ce qui na pas suffi selon les règles dictées
par lassemblée législative), et le Québec na pas encore soumis sa proposition
au vote de lAssemblée nationale. Si mon argument général est juste, aucune
des deux approches nest intrinsèquement supérieure à lautre. Chaque entité
doit trouver sa façon daborder une problématique commune. Elle a plus
de chances de succès en trouvant la voie qui lui est propre.
Le fait de trouver des réponses typiquement régionales à ce défi commun
aura pour conséquence de faire différer considérablement les systèmes électoraux
dune province à lautre et en regard également du système national. Les
politicologues ne peuvent que sen réjouir, puisque les analyses comparatives
en bénéficieront. Les organisateurs et stratèges des partis seront peut-être
moins enthousiastes, car, dans des systèmes différents, lécart et la concurrence
entre les partis ne feront que sélargir aux deux niveaux. Les citoyens
sadapteront rapidement et facilement à des systèmes conçus pour sadapter
aux réalités distinctes de leurs collectivités. Ils savent que le fondement
même dune fédération est de permettre et même dencourager les solutions
régionales aux enjeux nationaux et transnationaux.
Notes
1. A. Blais, A. Dobrzynska et I.H. Indridason, « To Adopt or Not to Adopt
Proportional Representation: The Politics of Institutional Choice », British
Journal of Political Science, vol. 35, no 1 (2005), p. 182-190.
2. S. Birch, « Lessons from Eastern Europe: Electoral Reform Following the
Collapse of Communism ». Document présenté à une conférence sur la réforme
électorale au Canada qui sest tenue du 10 au 12 mai 2005 à lUniversité
Mount Allison.
3. Voir le rapport de la Commission du droit du Canada, Un vote qui compte :
la réforme électorale au Canada, 2004, p. 41-44.
4. L. Massicotte, « Éclipse et retour du gerrymander linguistique », dans
A.G. Gagnon et A. Noël, LEspace québécois, Montréal, Québec/Amérique,
1994, p. 227-244.
5. L. Massicotte, À la recherche dun mode de scrutin mixte compensatoire
pour le Québec : document de travail, gouvernement du Québec, 2004.
6. Nouveau-Brunswick, Commission sur la démocratie législative, Rapport
final et recommandations. Le document est disponible à ladresse www.gnb.ca/0100/FinalReport-f.pdf.
7. Voir, dans le présent numéro, le compte rendu, par Jeannie Lea, de lorganisation
et des résultats du plébiscite tenu à lÎle-du-Prince-Édouard.
8. R.S. Ratner, « LAssemblée des citoyens de la Colombie-Britannique :
la phase dapprentissage » et « LAssemblée des citoyens de la Colombie-Britannique
Audiences publiques et délibérations », dans les numéros de lété 2004
et du printemps 2005 de la Revue parlementaire canadienne, aux pages 20
à 28 et 24 à 33, respectivement.
9. R.K. Carty « Turning Voters into Citizens: The Citizens Assembly and
Reforming Democratic Politics ». Conférence Mel Smith de 2005. Le document
est disponible à ladresse
www.iigr.ca/iigr.php/site/publication_detail?publication=384.
10. Voir le document de Richard Johnston et Fred Cutler dans M. Warren
et H. Pearse, Designing Democratic Renewal.
11. Voir R.K. Carty « Doing Democracy Differently ». Conférence Timlin de
2004, Université de la Saskatchewan.
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