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 John C. Courtney
 
 
 
Monsieur, 
 
Dans sa critique de mon ouvrage, Elections, Dennis Pilon souscrit à nombre
 de mes conclusions sur diverses procédures électorales canadiennes, mais
 il condamne mon analyse de lefficacité du système majoritaire uninominal
 et qualifie ma conception de la démocratie d« étroite, limitée et élitiste ».
 Cest une très mauvaise interprétation de mon livre. 
 
Un des fondements de la démocratie canadienne que les détracteurs du système
 majoritaire uninominal (comme le professeur Pilon) oublient souvent est
 que les élections ne servent pas uniquement à exprimer sa ou ses préférences
 parmi les partis ou les candidats. Elles remplissent dautres fonctions
 tout aussi, sinon plus, importantes. En voici les principales : établir
 un Parlement et, en définitive, un gouvernement pouvant assurer une certaine
 stabilité économique et politique; garantir une reddition de comptes aussi
 complète et transparente que possible de la part des élus; favoriser des
 partis et un système de partis pouvant chercher à assurer au caucus et
 au Cabinet une représentativité interrégionale. Au Canada, une élection
 sert à concilier des intérêts souvent contradictoires qui se manifestent
 naturellement dans un pays vaste et diversifié. 
 
M. Pilon dit que mon livre défend une position « dépassée ». Je soutiendrais
 le contraire. Si lon veut que les électeurs puissent voter de manière
 éclairée, il faut que les partis politiques canadiens fassent tout leur
 possible pour concilier les intérêts contradictoires sur les plans social
 et régional avant les élections et non après. Le système majoritaire uninominal
 encourage cette démarche plus que le système proportionnel. Pour sen convaincre,
 il suffit de penser aux récentes négociations entre les partis après les
 élections en Allemagne et en Nouvelle-Zélande. 
 
Je serais le premier à admettre (comme en témoigne tout ce que jai écrit
 sur la question de la réforme électorale au Canada depuis vingt-cinq ans)
 que le système majoritaire uninominal na pas toujours produit des parlements
 ou des partis qui ont contribué à aplanir les rivalités interrégionales
 ou assumé un rôle conciliatoire. On na quà penser à des événements récents,
 comme le Programme énergétique national ou la remise en état des CF-18,
 ou encore à remonter aux années 1890, lors des débats sur la question des
 écoles au Manitoba, pour se rappeler que les partis au pouvoir peuvent
 adopter des positions de principe qui détruisent effectivement leur capacité
 dexercer un rôle conciliatoire pour apaiser les rivalités interrégionales.
 
 
Ce quil faut retenir essentiellement, cest que toute une série de stratégies
 de parti pourraient bien entrer en jeu dans le cadre dun système proportionnel,
 stratégies selon lesquelles les partenaires éventuels dune coalition pourraient
 décider quil est logique, du moins sur le plan électoral, de renoncer
 essentiellement à des régions ou à des groupes particuliers au profit dautres
 partenaires. Cependant, on est loin de savoir ce que cette nouvelle tendance
 pourrait signifier au moment du scrutin en ce qui a trait à la politique
 de conciliation pratiquée au cours des semaines, des mois, voire même des
 années précédant une élection fédérale. En fin de compte, il faut se rappeler
 une vérité bien établie en sciences politiques : comme les systèmes électoraux
 ont un impact sur la représentation, il est difficile de prédire leffet
 dun changement de système sur la représentation. Les incidences dun nouveau
 système électoral sur les modes de représentation (et finalement de gouvernement)
 au Canada demeurent inconnues et cela représente, pour certains du moins,
 une source dinquiétude. 
 
Les artisans de la réforme électorale ne peuvent pas avoir le beurre et
 largent du beurre. Ils ne peuvent pas critiquer ceux qui font des comparaisons
 entre le Canada et divers pays nayant pas un système majoritaire uninominal,
 comme Israël, les Pays-Bas ou lItalie, tout en préconisant ladoption
 dune forme non spécifiée de « représentation proportionnelle (RP) » au Canada.
 Chacun de ces pays a embrassé une forme de RP. Jusquà ce quon sentende
 clairement au Canada sur une seule solution de remplacement au système
 majoritaire uninominal et que les partisans de la réforme électorale cessent
 de parler de RP en général, il est tout à fait acceptable dinclure tous
 les systèmes électoraux non majoritaires dans des comparaisons. 
 
Finalement, le professeur Pilon na tout simplement pas raison daffirmer
 que mon livre construit un « argument sans valeur » parce que je conclus
 quil ny a pas « automatiquement de lien » entre la représentation proportionnelle
 et la représentation des femmes dans une assemblée législative. Jai réalisé
 cette analyse avec soin et noté que « certaines études comparatives [
]
 confirment une corrélation positive entre le scrutin proportionnel et laugmentation
 du nombre délues » (p. 151), et indiquent que ce scrutin facilite plus que
 tout autre système lélection des femmes (p. 152) ». Jai aussi précisé que
 lhistoire, les valeurs culturelles et la socialisation politique savèrent
 tout aussi importants que le mode de scrutin pour expliquer les raisons
 pour lesquelles les femmes sont élues en plus grand nombre dans certains
 pays que dans dautres. 
 
John C. CourtneyProfesseur émérite, Études politiques
 Université de la Saskatchewan et
 chercheur-boursier  politiques publiques
 Woodrow Wilson International Center for Scholars
 Washington
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