Gary Levy
Busboy: From Kitchen to Cabinet par Don Boudria
Optimum Publishing International Inc., Montreal, Maxville, Ottawa, 2005
Pendant plus de 20 ans, Don Boudria a été un observateur et un participant
assidu de l'actualité politique et parlementaire. De son propre aveu, son
livre décevra les amateurs de potins. Il ne nous renseigne pas beaucoup
non plus sur la gestion des affaires publiques à Ottawa. Ce que Don Boudria
nous livre, c'est sa vie et sa carrière. Et de cela, il en fait un récit
extraordinaire.
Il n'existe pas à Ottawa un seul et même chemin qui soit emprunté par les
308 hommes et femmes choisis pour représenter leurs concitoyens à la Chambre
des communes. Mais, d'habitude, le parcours commence dans une famille à
l'aise ou, à tout le moins, de la classe moyenne, puis passe par l'université,
peut-être la faculté de droit, et par une carrière en affaires ou une profession
libérale. Il n'en a pas été ainsi pour M. Boudria.
Il vient d'une famille très modeste dont la situation a été rendue encore
plus difficile quand le père a perdu la vie dans un accident d'auto. Don
avait alors cinq ans. Plus tard, il a abandonné l'école secondaire, a fait
partie d'un orchestre rock et a finalement trouvé du travail comme garçon
de table au Restaurant parlementaire.
Le livre raconte sa vie depuis sa carrière de conseiller municipal dans
une région rurale à l'extérieur d'Ottawa, jusqu'à son entrée à l'Assemblée
législative de l'Ontario, puis à la Chambre des communes et, finalement,
au Cabinet de Jean Chrétien.
Une partie importante du livre est consacrée à sa famille proche et élargie
et à la communauté franco-ontarienne qu'il a servie à bien des titres et
qui l'a, en retour, solidement appuyé. Contrairement à bien d'autres politiciens
ayant écrit leurs mémoires, Don Boudria mentionne et remercie presque tous
les collaborateurs qui ont travaillé pour lui à Ottawa ou à son bureau
de circonscription. Quand il a défait le député conservateur et est allé
siéger à Queen's Park, un de ses premiers gestes a été de réengager l'adjoint
de circonscription du candidat défait. L'attention qu'il accordait à ceux
et celles qui l'ont aidé au fil des ans explique l'ampleur des appuis qu'il
a recueillis et les nombreuses victoires électorales éclatantes qu'il a
remportées, même si ses positions dans certains dossiers ne ralliaient
pas tout le monde.
Les années passées à Queen's Park sont abordées brièvement, mais il relate
quelques enseignements importants qu'il en a tirés, surtout la nécessité
de représenter les intérêts locaux. En 1984, Don Boudria a quitté Queen's
Park pour se porter candidat à l'élection fédérale. Il a été l'un 40 libéraux
épargnés par le balayage conservateur de Brian Mulroney. Avec Sheila Copps
et John Nunziata, il a formé le Rat Pack, ce groupe de jeunes députés libéraux
qui ont donné la charge contre les conservateurs, recourant à n'importe
quel moyen pour mettre le gouvernement dans l'embarras.
Une grande partie du livre traite des années passées à la Chambre des communes.
Dans l'opposition, il a peu à peu acquis les connaissances et les compétences
qui ont ensuite assuré le succès de sa carrière, notamment au chapitre
de la procédure parlementaire. Il parle des grandes questions qui ont fait
l'actualité, comme le débat sur le libre-échange, les accords du lac Meech
et de Charlottetown, le mandat décevant de John Turner et le choix de Jean
Chrétien comme chef du Parti en 1991. L'information rapportée est surtout
factuelle et relève du domaine public, sauf quelques commentaires personnels
à l'occasion sur un adversaire ou un collègue.
En septembre 1989, M. Boudria a décidé de combler ses lacunes scolaires
et s'est inscrit à des cours par correspondance à l'Université de Waterloo.
Il a fait tout le programme de baccalauréat de cette façon pendant la décennie
qui a suivi. Il l'a fait de façon anonyme pour ne pas faire l'objet d'une
considération particulière. Il lui est souvent arrivé de faire un travail
ou un examen dans un hôtel à l'étranger ou de se lever à quatre heures
du matin pour étudier avant de faire sa journée de travail comme ministre.
Outre l'incontournable ardeur au travail, une autre anecdote révèle le
secret de la réussite de Don Boudria. Après avoir appuyé la campagne de
Jean Chrétien à la direction du Parti, il a été déçu d'être remplacé comme
whip adjoint de l'opposition pour assumer les fonctions (non rémunérées)
du poste de leader adjoint de l'opposition à la Chambre. Après avoir ruminé
cette perte de revenu pendant quelques jours, il a décidé de ne pas y voir
une rétrogradation et a publié un communiqué pour remercier le chef de
la promotion. Un de ses collègues lui a dit : « Don, ce n'est pas une promotion
et tu le sais aussi bien que moi! ». Il lui a répondu : « Maintenant, c'en
est une. » Et à la fin de l'année, c'était effectivement une promotion
aux yeux de tout le monde.
Dans l'ensemble, Don Boudria a un bon mot à dire sur tout le monde. Il
parle brièvement de son mandat de ministre des Travaux publics en remplacement
d'Alphonso Gagliano au moment où les révélations du programme des commandites
commençaient à transpirer. Nous apprenons peu de choses sur le programme
et sur le Ministère, mais il affirme que M. Gagliano est un homme bien,
très travaillant, un fonctionnaire des plus compétents.
M. Boudria ne cache pas tout le plaisir que lui a procuré son premier poste
au Cabinet comme ministre de la Francophonie. Cette fonction lui a permis
de beaucoup voyager et les dossiers n'étaient généralement pas controversés.
Sa récompense, après l'élection de 1997, a été le poste de leader à la
Chambre, poste beaucoup plus exigeant qui nécessitait de constantes négociations
avec les quatre autres partis.
Là encore, nous n'apprenons pas grand chose qui n'est pas du domaine public,
sauf peut-être quelques anecdotes intéressantes, notamment le fait que
les candidats potentiels au Cabinet, comme lui-même, devaient être interviewés
par Mitchell Sharp, qui était le conseiller honoraire en éthique du premier
ministre.
L'élection de Paul Martin a semé le glas de la carrière de Don Boudria
au Cabinet. Son offre de servir M. Martin a été faite avec sincérité et
en personne, mais elle n'a pas été retenue. Malgré une pointe de déception,
il n'est aucunement critique de M. Martin.
Le dernier chapitre du livre porte sur ses fonctions de président du Comité
de la procédure de la Chambre, chargé notamment de l'étude de la réforme
électorale, y compris de la représentation proportionnelle. Il raconte
le voyage des membres du Comité en Australie et en Nouvelle-Zélande pour
étudier la réforme électorale, mais révèle très peu sur la teneur du débat.
L'absence de propos politiques est certes un peu décevante, mais ce n'était,
de toute évidence, pas l'objet du livre. M. Boudria étant relativement
jeune, il se peut qu'une autre carrière l'attende. Qui sait si un autre
livre ne traitera pas de ses réflexions sur la chose publique.
Gary Levy
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