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Le sénateur
Serge Joyal, CP
Suite à une décision unanime de la Cour suprême du Canada, rendue le 20
mai 2005, le droit parlementaire canadien relatif au privilège est désormais
beaucoup plus clair. Dans cet arrêt-clé, intitulé Chambre des communes
et l'honorable Gilbert Parent c. Satnam Vaid et la Commission canadienne
des droits de la personne (« Vaid »), la Cour a énoncé les critères permettant
d'évaluer clairement la validité d'une revendication de privilège parlementaire
et proposé une analyse qui inscrit l'usage du privilège dans le contexte
contemporain.
La question précise dont la Cour était saisie portait sur la nature et
la portée générales du privilège parlementaire revendiqué par la Chambre
des communes à l'égard de la gestion de ses affaires internes. Dans une
décision rédigée par le juge Binnie, celui-ci a rejeté la position adoptée
par les Communes et confirmé que la
Loi canadienne sur les droits de la
personne (LCDP), comme toutes les lois, s'applique au Parlement1. Cependant,
en l'espèce, la Cour a reconnu que l'employé pouvait régler son grief par
le biais de la Loi sur les relations de travail au Parlement de 1985 (LRTP).
Outre l'importance de la décision proprement dite, plusieurs caractéristiques
de la cause la rendent tout à fait remarquable. Contrairement à tout précédent,
le procureur général est intervenu contre la Chambre des communes pour
affirmer l'importance constitutionnelle de la LCDP. Autre fait tout aussi
unique, deux sénateurs sont intervenus pour défendre une interprétation
plus limitée du privilège parlementaire. Enfin, la Cour s'est appuyée sur
un rapport parlementaire britannique pour son analyse de la façon dont
le privilège devrait être compris et appliqué. Elle s'est également servie
de ce document pour effectuer une évaluation critique d'une cause britannique
dont la Chambre des communes s'était inspirée afin de soutenir son point
de vue.
Comme nous l'avons rappelé, la Cour a estimé que l'ancien chauffeur du
président (M. Vaid) pouvait recourir à la Loi sur les relations de travail
au Parlement de 1985 pour faire examiner sa plainte de congédiement déguisé
sous l'angle de la discrimination. En décidant ainsi, la Cour a, inopinément,
créé une situation d'inégalité dans la protection des employés du Parlement,
et celle-ci doit nécessairement être réparée.
Pourquoi le privilège est-il nécessaire?
Le droit parlementaire est obscur, alambiqué, difficile à saisir et parfois
enterré dans des précédents historiques, des conventions et des traditions
qui ne sont pas faciles à déchiffrer. Les privilèges ou, dans le vocabulaire
moderne, les droits du Parlement, sont mal compris ou évalués de manière
générale par les députés ou sénateurs.
Même le seul concept de « privilège », dans le contexte moderne d'une démocratie,
donne souvent l'impression qu'il appartient à une société d'une autre époque.
Ce n'est donc pas une notion très facile à défendre dans le climat populiste
d'aujourd'hui, où l'emploi de ce terme suscite le soupçon. Pourtant, sans
ces droits particuliers, le Parlement ne pourrait fonctionner efficacement,
parce qu'il ne pourrait pas mener ses affaires aussi librement et ouvertement
qu'il le faut pour remplir sa fonction. Il est donc facile de comprendre
pourquoi les députés et les sénateurs ont besoin de droits et de privilèges
: ce sont les immunités essentielles à l'exercice de leurs fonctions à
la Chambre des communes ou au Sénat. Cela peut sembler évident, mais il
est, en fait, indispensable que le fonctionnement efficace et digne du
Parlement soit à l'abri de l'intervention des tribunaux.
Rappelons que, au cours des quinze dernières années, les tribunaux ont
eu à rendre plus de décisions concernant les privilèges allégués que jamais
auparavant (ou du moins depuis la Confédération en 1867), aussi bien à
l'échelle fédérale qu'à l'échelle provinciale ou territoriale2. Cette tendance,
qui coïncide avec la culture de droits qui imprègne aujourd'hui la société
canadienne, est un phénomène sain, mais elle s'accompagne de défis pour
tous les corps législatifs canadiens.
La décision de la Cour suprême dans Vaid est la dernière du genre dans
cette période effervescente d'activité judiciaire relative au privilège
parlementaire. Elle a suscité une réflexion bienvenue sur l'ensemble des
récentes décisions et sur les principes qu'il y aurait lieu de tirer de
ce patrimoine juridique abondant.
L'inaction du Parlement
En dépit de l'importance du sujet, aucun député n'a jugé utile de soulever
cette question à la Chambre des communes3. La Chambre n'a pas demandé au
Sénat d'appuyer sa revendication de privilège concernant la gestion du
personnel du Parlement, même si, selon la Loi constitutionnelle de 1867,
les deux Chambres possèdent les mêmes privilèges.
Le Sénat lui-même n'est pas intervenu à quelqu'étape que ce soit dans les
instances judiciaires. Son silence s'explique, entre autres, par le fait
que les deux côtés de la Chambre ne sont pas parvenus à s'entendre sur
l'argumentation à soumettre, bien que le Comité sénatorial permanent du
règlement, de la procédure et des droits du Parlement ait tenu huit réunions
et entendu au moins dix témoins experts4.
Toutes excuses mises à part, comment peut-on refuser la protection des
droits de la personne à environ 5000 employés5 du Parlement dans une société
canadienne qui évolue après plus de 20 ans d'application de la Charte?
L'idée que le personnel de la Colline doive renoncer à la protection des
droits fondamentaux de la personne ne peut que choquer le sens de l'équité.
En fin de compte, quels que soient les arguments juridiques, il y a d'abord
et avant tout le concept de dignité humaine à protéger.
C'est cette conviction fondamentale qui a incité deux sénateurs à demander
le statut d'intervenants à la Cour suprême6. C'est probablement ce qui
a incité le ministre de la Justice et procureur général du Canada, l'honorable
Irwin Cotler, à intervenir lui aussi dans le même sens. Ce qui est exceptionnel,
c'est que le ministre soit intervenu pour nier que ce privilège à l'égard
de la gestion du personnel ait jamais existé et pour défendre le principe
de la protection des employés du Parlement aux termes de la LCDP, bien
que le procureur général, à titre de procureur de la Chambre des communes,
ait généralement à prendre fait et cause pour la Chambre conformément au
principe et à la convention parlementaire du gouvernement responsable.
Il s'agit là d'une décision sans précédent dans les annales du Parlement7!
La décision
L'essence de la décision de la Cour et la nature des arguments entendus
par elle originent de la question constitutionnelle suivante, formulée
par la juge en chef McLachlin :
La Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H 6,
est elle, du fait d'un privilège parlementaire, constitutionnellement inapplicable
à la Chambre des communes et à ses membres en ce qui a trait aux relations
de travail au Parlement?
Les avocats de la Chambre des communes ont soutenu l'idée que la « gestion
de tous les employés » relevait des « affaires internes» du Parlement8. Examinant
le sens et la portée de l'expression « travaux du Parlement », la Cour a
établi des limites ou paramètres très spécifiques :
a) Ne fait pas partie des « travaux du Parlement » tout ce qui est dit ou
fait au sein de la Chambre pendant qu'elle siège (par. 43).
b) Les sujets protégés par le privilège doivent être si étroitement et
si directement liées aux travaux du Parlement que l'intervention des cours
de justice serait incompatible avec la souveraineté du Parlement en sa
qualité d'assemblée législative et délibérante (par. 44).
La Cour a finalement rejeté la position défendue par les avocats des Communes9,
à savoir que la gestion de tous les employés relevait du privilège parlementaire
et que la LCDP n'était pas applicable en l'occurrence, rendant ainsi le
Tribunal canadien des droits de la personne inhabile à recevoir des plaintes
de la part d'un employé s'estimant lésé.
Analysant la revendication de privilège, la Cour a cherché à déterminer
si le privilège allégué avait été établi par une loi du Parlement (en vertu
de l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867) ou s'il avait été
reconnu par la pratique comme étant nécessaire au fonctionnement efficace
de la Chambre compte tenu de son rôle d'assemblée législative et délibérante
et de sa responsabilité de demander des comptes au gouvernement.
La Cour a rejeté l'argumentation de certains parlementaires, pour qui il
suffit d'affirmer le privilège pour que la Cour le reconnaisse sans autre
forme d'enquête. Cette opinion générale découle d'une lecture superficielle
de l'article 5 de la Loi sur le Parlement du Canada :
Ces privilèges, immunités et pouvoirs sont partie intégrante du droit général
et public du Canada et n'ont pas à être démontrés, étant admis d'office
devant les tribunaux et juges du Canada.
Cependant, l'objet de cette disposition est de limiter le rôle de la Cour
dans le seul cas d'un privilège reconnu. Elle ne vise pas à empêcher la
Cour de s'interroger sur l'existence et la portée d'un privilège présumé,
comme dans l'espèce. L'article 5 dispose plutôt que les privilèges font
partie du droit, comme les tribunaux n'ont jamais manqué de le reconnaître.
Lorsque le Parlement instaure des privilèges, il ne peut aller au-delà
de ceux qui sont en vigueur à la Chambre des communes britannique à l'époque
(art. 18). La Cour a conclu qu'elle avait le droit d'examiner toute « revendication
unilatérale d'un privilège par la Chambre des communes britannique [au
même titre que] les tribunaux britanniques eux-mêmes ». La Cour suprême
a ensuite largement cité le rapport publié de concert en 1999 par la Chambre
des communes britannique et la Chambre des Lords10, qu'elle considère comme
une source d'information fiable sur la situation actuelle du privilège
à Westminster. Comme l'explique le juge Binnie, « le raisonnement [
] témoigne
d'une opinion sur les limites des revendications de privilège qui est réfléchie
et, de surcroît, à mon avis, conforme aux principes sous-jacents de la
common law » (par. 45).
Le « critère de la nécessité » reste de première importance à l'égard d'un
privilège revendiqué, surtout si l'exercice du « pouvoir » présumé touche
un non-parlementaire. Citant l'arrêt Stockdale c. Hansard, la Cour a estimé
que la « nécessité » du privilège revendiqué doit être clairement établie,
compte tenu du fait qu'il « en va autrement s'il s'agit d'un pouvoir, et
surtout d'un pouvoir qui permet une atteinte aux droits d'autrui : on ne
l'envisagera pas avec bienveillance, mais avec suspicion; et à moins que
sa légalité ne soit établie sans l'ombre d'un doute, ceux qui s'en réclament
devront répondre de leurs actes » (par. 39).
La Cour a vigoureusement réaffirmé la nature téléologique du lien entre
la nécessité et la fonction « législative » (par. 43 et 44). La notion de
fonction législative est enchâssée dans l'expression « travaux du Parlement »
ou « affaires internes » (voir l'article 9 du Bill of Rights de 1689). Selon
la Cour, ce n'est que lorsque le Parlement exerce ses fonctions délibérantes
et législatives qu'il remplit ses responsabilités fondamentales.
Le fardeau de la preuve
La Cour a déclaré que, lorsque la nécessité sert à revendiquer le privilège,
c'est le requérant qui porte le fardeau de la preuve. Celui-ci doit, selon
la Cour, être étroitement et directement lié aux fonctions de la Chambre
à titre d'assemblée délibérante et législative. Procédant à une évaluation
critique des arguments de la Chambre des communes, le juge Binnie s'est
inspiré largement du rapport du comité mixte britannique, qui formule des
réserves sur l'éventualité d'une application générale du privilège à la
gestion de tout le personnel. La Cour a donc adopté une perspective plutôt
limitative pour déterminer ce qui pouvait être jugé nécessaire au fonctionnement
efficace du Parlement. Elle a ramené les « catégories » de privilège potentiel
associé aux « travaux du Parlement » à un nombre beaucoup plus limité de
sujets et en a réduit la portée. Elle a, plus particulièrement, mis en
doute l'affirmation du privilège lorsque la personne visée est un non-parlementaire.
Il y a lieu, une fois cette catégorie reconnue, de tenir compte de la proximité
de l'individu avec la fonction législative et délibérante pour déterminer
la portée du privilège.
Ayant statué sur les arguments fondés sur la nécessité, la Cour s'est penchée
sur les décisions judiciaires citées par la Chambre à l'appui de sa revendication.
Ce faisant, elle a abordé un autre privilège présumé, à savoir que le Parlement
est une « zone franche », qui n'est liée par quelque disposition législative
que ce soit, hors les lois où le Parlement est explicitement mentionné.
Cette position, selon la Cour, se fonde sur une interprétation « élastique »
de la décision d'un tribunal anglais, R. c. Graham-Campbell, ex parte Herbert,
qui a été rendue en 193511. Depuis ce jugement, qui avait trait à la vente,
sans permis, de boissons alcoolisées dans l'enceinte du Parlement, on a
l'habitude d'affirmer que les lois ne s'appliquent pas au Parlement. La
Cour n'a pas accepté cette interprétation généreuse du privilège, qui était
celle de la Chambre à l'appui de son allégation que la LCDP ne s'appliquait
pas à ses employés. À l'instar du rapport du comité mixte britannique,
la Cour suprême a vigoureusement rejeté les conclusions péremptoires tirées
de la décision ex parte Herbert depuis 1935 et, en fait, renversé complètement
cette interprétation. Autrement dit, toutes les lois sont applicables au
Parlement à moins qu'elles prévoient une exclusion explicite12.
Cette conclusion est beaucoup plus conforme au principe de la primauté
du droit et aux arguments formulés par la Cour lorsque celle-ci s'est prononcée
sur la nature et la portée du privilège. Le Parlement n'est pas au-dessus
de la loi13. Examinant les dispositions de la LCDP, la Cour n'a pas pu
trouver de disposition excluant le Parlement de leur application14.
L'arrêt Vaid et la Charte des droits
Malgré son analyse approfondie de la nature constitutionnelle du privilège,
la Cour n'a que brièvement abordé la question du lien entre le privilège
et la Charte15. Elle a cependant exprimé des commentaires importants qui
s'écartent de ses décisions antérieures dans New Brunswick Broadcasting
Co c. Nouvelle Écosse (« Donahoe »)16 et Harvey c. Nouveau Brunswick (« Harvey »)17.
Premièrement, la Cour a affirmé que la décision de la Cour d'appel fédérale
statuant que la LCDP était applicable au motif d'une allégation de discrimination
était fautive. Elle a conclu qu'un privilège reconnu n'est pas compromis
par la violation présumée d'un droit garanti par la Charte.
Deuxièmement, la Cour a rappelé la décision Donahoe, dans laquelle elle
avait reconnu que la Charte ne l'emportait pas sur le privilège parlementaire,
« qui fait autant partie que la Charte de notre organisation constitutionnelle
fondamentale. Or une partie de la Constitution ne peut en abroger une autre »
(par. 30). Pour reprendre les termes de la juge en chef McLachlin, la Cour
doit faire la part des choses et trouver l'équilibre qui convient.
Par ailleurs, la Cour a rejeté l'opinion minoritaire du juge en chef Lamer
dans Donahoe, où celui ci a conclu que le pouvoir du Parlement d'adopter
des lois lui accordant des privilèges l'assujettit à la Charte au même
titre que toute autre initiative législative.
Troisièmement, la Cour a estimé que les commentaires formulés au sujet
du privilège dans Harvey (notamment par la juge en chef McLachlin) étaient
des remarques incidentes et que la décision avait été rendue pour d'autres
motifs. Elle s'est, en fait, distancée de l'interprétation proposée par
la juge McLachlin, selon laquelle il faut faire la part des choses entre
la portée d'un privilège et la protection garantie par la Charte.
Quatrièmement, la Cour a formulé une réserve concernant la possibilité
d'intervenir dans le cadre d'une allégation de « discrimination systémique ».
Autrement dit, lorsqu'un privilège est reconnu, il appartient au Parlement
de donner suite ou non aux allégations d'actes discriminatoires qui sont
interdits par la Charte ou qui vont à l'encontre d'un droit constitutionnel
ou des garanties quasi constitutionnelles reconnues par la LCDP. La Cour
ne peut rien pour garantir une audition équitable et un règlement acceptable
dans ce cas : le Parlement est inaccessible à une intervention judiciaire,
que le grief soit le fait d'un parlementaire ou d'un non parlementaire.
Pourvu que le privilège soit reconnu, seul le Parlement peut décider de
donner suite ou non à une allégation de discrimination.
La Cour n'est pas allée jusqu'à inviter le Parlement à se doter d'un mécanisme
interne de règlement des plaintes, même si, ce faisant, serait ainsi reconnu
l'esprit d'une démocratie parlementaire respectueuse de la Charte. Ne devrions-nous
pas confirmer l'essence du principe de la primauté du droit, qui est l'un
des principes fondamentaux de notre constitution (selon une décision de
la Cour rendue en 1998), en nous assurant que le Parlement adopte un processus
formel de règlement des plaintes qui soit inscrit dans ses Règlements?18
La protection limitée des employés aux termes de la LRTP
La Cour suprême a déclaré que « la Loi canadienne sur les droits de la personne
s'applique à tous les employés de l'administration fédérale, y compris
ceux qui travaillent pour le Parlement », mais que M. Vaid devait recourir
à la procédure de règlement des griefs prévue dans la LRTP, puisqu'il est
membre d'une catégorie d'employés visés par cette loi.
En fait, un grand nombre des employés du Parlement sont visés par la LRTP.
La Cour a conclu qu'ils devraient donc recourir à la procédure de règlement
des griefs qui y est prévue pour obtenir réparation en cas d'allégation
de violation des droits de la personne, même si, contrairement aux garanties
de la LCDP, il n'est pas possible de demander le contrôle judiciaire d'une
décision arbitrale. Cependant, en matière de droits de la personne, la
LRTP n'offre pas aux employés qu'elle protège les mêmes garanties qui sont
offertes à tous les employés de la fonction publique en vertu de la nouvelle
Loi sur les relations de travail dans la fonction publique de 2003 (LRTFP).
Celle-ci prévoit une procédure de règlement des griefs efficace, qui comporte
un volet sur les droits de la personne : les arbitres peuvent accorder
une indemnité spéciale pour les souffrances ou pour conduite imprudente
ou délibérée. Il est également prévu que la Commission canadienne des droits
de la personne doit être informée si une affaire de discrimination est
portée devant le tribunal de dotation de la fonction publique et qu'elle
a le droit de soumettre des observations à ce dernier, fournissant ainsi
son expertise au besoin19!
Il faudrait donc modifier la LRTP pour offrir un régime de protection semblable
pour les griefs relatifs à des allégations de discrimination en matière
de droits de la personne. Les employés qui ne sont pas visés par la LRTP
restent protégés par la LCDP et son régime de règlement des plaintes, dont
l'issue peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire20.
Quant à la protection des employés assujettis aux privilèges, la Cour a
reconnu que « l'assemblée législative aurait compétence exclusive pour déterminer
si les droits de la personne et les libertés publiques ont été respectés »21.
Les ramifications concrètes des conclusions de la Cour sont complexes et
renvoient à un ensemble diversifié de garanties concernant les droits de
la personne et les libertés civiles des employés du Parlement. Il y a lieu
de modifier la LRTP et d'adopter de nouvelles règles au Sénat et à la Chambre
des communes pour que chaque chambre adopte une procédure de règlement
des griefs à l'intention des employés assujettis aux privilèges. La procédure
appliquée jusqu'ici devrait être réexaminée et adaptée en fonction des
conclusions de la Cour suprême.
Conclusion
La conclusion concrète de l'arrêt Vaid concernant la protection des droits
de la personne des employés du Parlement est qu'il donnera lieu à différentes
procédures de règlement des plaintes qui n'offriront pas une protection
égale aux employés du Parlement. Cela est contraire à la notion même de
droits de la personne et de dignité humaine. Si les employés fédéraux jouissent
aujourd'hui, grâce à la LRTFP, d'un régime de protection plus efficace
et uniforme contre la discrimination, il n'existe aucun fondement philosophique
pour une telle différenciation dans le régime de protection des employés
du Parlement qui, en fin de compte, sont moins protégés que leurs collègues
de la fonction publique.
Cette question doit être abordée de concert par les deux chambres dans
la mesure où l'arrêt Vaid s'applique à chacune d'elle.
Le Parlement ne saurait rester passif ni indifférent à l'égard de la protection
des droits de la personne de ses employés, quand il demande au reste du
pays de respecter les hauts standards définis depuis l'entrée en vigueur
de la Charte il y a plus de 20 ans. C'est d'abord dans sa propre maison
que le Parlement doit faire la preuve de son engagement réel à respecter
les droits de la personne.
Notes
1. Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30.
2. Depuis 1991, on dénombre 48 causes relatives aux privilèges à l'échelle
provinciale et fédérale. De 1867 à 1991, il n'y en a eu que 31 (dont une
a été tranchée par le Conseil privé britannique en 1896). (Source : Centre
canadien d'information juridique, 2005.)
3. Même si le Hill Times a rendu compte de l'évolution de l'affaire, alors
que la procédure judiciaire se poursuivait. Voir l'éditorial « Where's the
Common Sense? », paru le 4 août 2003, et l'article de Paco Francoli, intitulé
« Senate Committee divided over House privilege case », 3 novembre 2003,.
4. Il y a eu huit réunions en tout. Les témoins experts étaient les suivants
: Paul Bélisle, greffier du Sénat; Brendan Keith, greffier principal, Justice,
et registraire des intérêts des lords; l'honorable Coulter Osborne; le
professeur Dale Gibson; le professeur Peter Mercer; Mitch Bloom, du Bureau
du Conseil privé; Ron Wall, directeur des Relations parlementaires; Mark
Audcent, légiste et conseiller parlementaire; Robert Marleau, ancien greffier
de la Chambre des communes; Joseph Maingot, ancien légiste et conseiller
parlementaire.
5. Bibliothèque du Parlement, 2005. Le Sénat compte 605 employés, la Bibliothèque
du Parlement, 400, et la Chambre des communes, 2003. Les députés en ont
1 927, sur un total de 4 965. (Les chiffres applicables au Sénat excluent
les employés occasionnels et contractuels.)
6. Les honorables sénateurs Mobina S. B. Jaffer et Serge Joyal, c.p., ont
demandé l'autorisation d'intervenir conjointement le 6 avril 2004 et ils
ont déposé leur mémoire le 2 juin.
7. Dans une autre décision qui a fait date, rendue par la Cour suprême
au sujet des privilèges applicables aux organes législatifs provinciaux
(New Brunswick Broadcasting Corporation c. Nouvelle Écosse (Président de
l'Assemblée), [1993] 1 R.C.S. 319), les deux Chambres du Parlement fédéral
sont intervenues à l'appui d'une position juridique complémentaire. Le
Sénat était représenté par le juge Ian C. Binnie, alors avocat chez McCarthy
Tétrault.
8. À ce sujet, la Cour a réfuté l'interprétation formulée par J.P. Maingot
dans son témoignage et son ouvrage classique sur les privilèges parlementaires.
9. Les arguments de la Chambre des communes n'ont pas été non plus acceptés
par le Tribunal des droits de la personne, (2001) D.C.D.P., no 15 (QL),
la Cour fédérale, [2002] 2 C.F. 583, et ni la Cour d'appel fédérale, [2003]
C.F. 602.
10. Royaume-Uni. Chambre des Lords et Chambre des communes, Parliamentary
Privilege First Report, Londres, HM Stationary Office, 30 mars 1999.
11. R. c. Graham-Campbell, ex parte Herbert, [1935] 1 KB 594.
12. La Cour suprême a également refusé de reconnaître toute substance à
une disposition législative censée sauvegarder ou protéger un privilège
(article 4 de la LRTP). Elle a ajouté qu'aucun privilège n'est imputé aux
députés du seul fait que l'activité a lieu dans l'enceinte parlementaire.
13. La Cour a ajouté que « la Loi canadienne sur les droits de la personne
est un texte quasi constitutionnel, qui commande que toute exception à
son application soit énoncée clairement » (par. 81).
14. À l'avenir, le Parlement sera plus attentif aux répercussions des lois
qu'il adopte sur son fonctionnement général.
15. Le 29 juin 2005, la sénateure A.R. Andreychuck, appuyée par le sénateur
S. Joyal, a présenté une motion au Sénat pour autoriser le Comité des règles,
de la procédure et de droits du Parlement à envisager « l'élaboration d'un
processus systématique pour l'application de la Charte des droits et libertés
au Sénat ».
16. New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle Écosse (Président de l'Assemblée),
[1993] 1 R.C.S. 319.
17. Harvey c. Nouveau Brunswick (Procureur général), (1996) 137 D.L.R.
42.
18. Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217.
19. Voir « Human Rights and the Public Service Labour Relations Act », Communications
Magazine, vol. 31, no 2 (été 2005), p.12 14.
20. Lettre du 27 juillet 2005 de Mary Gusella, présidente de la Commission
canadienne des droits de la personne, en réponse à la lettre du 16 juin
2005 du sénateur S. Joyal.
À consulter en ligne à l'adresse http://www.sergejoyal.com.
21. La Chambre « d'une voix unique, accuse, condamne et exécute », Stockdale
c. Hansard, p. 1171, citée dans Vaid au par. 30.
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