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La voie vers la réforme électorale
Scott Reid, député

La réforme électorale est à l’ordre du jour dans au moins cinq provinces, chacune d’entre elles ayant adopté sa propre façon d’envisager le processus de transformation. La Chambre des communes a étudié la question elle aussi; en juin 2005, un de ses comités a formulé une recommandation à cet égard. L’article qui suit explique pourquoi il est si difficile de former un consensus sur la réforme électorale et propose un moyen de permettre à l’électorat canadien de jouer un rôle plus important dans la décision finale. 

Comme le système majoritaire uninominal à un tour (SMUT), utilisé pour l’élection des députés fédéraux, a eu très peu de partisans déclarés ces dernières années1 — en particulier chez les hommes et les femmes politiques, qui sont ultrasensibles aux fluctuations des tendances politiques —, on pourrait avoir des raisons de croire qu’il ne sera pas difficile de former une coalition nationale en faveur d’un meilleur système électoral. Or, il y a très peu de chances qu’une coalition voie le jour dans un proche avenir si le pays tient à se servir de ses processus politiques traditionnels pour opérer la réforme. 

La raison en est simple. Les politiciens ont pour souci premier de se faire réélire. Malgré les défauts du système électoral actuel, chaque député qui siège à la Chambre des communes comprend que le SMUT possède une vertu qui le rachète : il l’a fait élire. De ce fait, l’intérêt personnel pur et simple ne prédispose pas les députés à s’unir derrière une solution de remplacement bien précise au statu quo. 

Certes, la plupart des chefs de parti peuvent faire état d’un système électoral de rechange qui a des antécédents respectables dans un autre pays et qui, au cours des dernières élections fédérales, aurait fait remporter plus de sièges à leur propre parti que le système actuel2

Mais un nouveau système bien précis ne peut profiter à un parti politique qu’au détriment d’autres partis. C’est une réalité, peu importe si la solution de rechange envisagée est le vote unique transférable (VUT) dans des circonscriptions plurinominales, comme en Irlande, le mode de scrutin préférentiel, ou transférable, dans des circonscriptions uninominales, comme en Australie, ou le système de représentation proportionnelle mixte (SRPM) dans des circonscriptions plurinominales, comme en Allemagne. En définitive, toute variation du statu quo nuirait, plus qu’elle profiterait, aux intérêts des députés en place. 

Le scénario le plus probable est que les députés de toutes allégeances donneront leur appui de principe à la réforme électorale, tandis que la majorité à la Chambre des communes, quelle qu’elle soit, demeurera opposée en pratique à toute solution de rechange proposée. 

Comme c’est toujours le cas lorsque le statu quo est mis en parallèle avec une série d’options sans issue, il n’est pas besoin d’action positive ni de campagne de promotion publique pour garder en place le système en vigueur. Le SMUT est la solution par défaut qui se perpétuera tant qu’une solution de rechange bien précise ne pourra recueillir l’appui de la majorité. 

L’ironie de la chose, bien sûr, c’est que les politiciens n’ont pas besoin de se mouiller pour défendre le SMUT, dont ils profitent. Chacun d’eux n’a qu’à indiquer le système qu’il privilégie comme seule solution vraiment acceptable aux maux de la démocratie canadienne, et voter ensuite — au nom de la démocratie — contre toute autre option proposée à la Chambre des communes. 

C’est une délivrance de ne pas avoir à défendre le statu quo, car les résultats pervers du SMUT au Canada sont tellement bien connus qu’ils ne valent pratiquement pas la peine d’être répétés. Voici quelques exemples de bizarreries que ce système a engendrées au niveau fédéral : 

  • 1963-1980 : L’impact désastreux, sur l’unité nationale, de la disparition presque totale des députés conservateurs au Québec avant le raz-de-marée conservateur de 1984 sous Mulroney et la quasi-élimination de la députation libérale dans l’Ouest canadien sous les premiers ministres Trudeau et Turner. 
  • 1993 : La réduction du caucus progressiste-conservateur à deux députés, même si ce parti avait remporté une plus grande part de la faveur populaire (16 %) que le Bloc Québécois, qui, lui, a obtenu 54 sièges avec 13,5 % des suffrages au niveau national et est devenu l’opposition officielle. Cette élection, plus que toute autre, donne raison à Andrew Coyne lorsqu’il dit que « le parti qui peut concentrer ses suffrages sur un territoire géographique donné recueillera beaucoup plus de sièges qu’un parti qui bénéficie d’un soutien largement étalé, les intérêts régionaux étant favorisés au détriment d’une vision nationale »3
  • 1997 : C’est le SMUT qui a donné un mandat majoritaire à Jean Chrétien malgré qu’il ait obtenu seulement 38,5 % des suffrages. 
  • 2000 : J’ai pu constater personnellement que le SMUT déformait les résultats électoraux quand j’ai été élu pour la première fois à la Chambre des communes pour devenir un des deux seuls députés de l’Alliance canadienne en Ontario. Dans la province, mon parti avait remporté la moitié des suffrages des libéraux, mais ils ont eu 100 sièges grâce au SMUT. 

Des résultats semblables se produisent au niveau provincial. À titre d’exemples, je pense à la victoire du NPD en Colombie-Britannique en 1996 et à celle du Parti Québécois en 1998, dans des élections où les deux partis avaient perdu le vote populaire au profit de leurs adversaires libéraux. Tout aussi bizarre est la grossière surreprésentation qui se produit parfois lorsqu’un parti provincial remporte tous les sièges d’une assemblée législative contre un pourcentage des suffrages beaucoup plus modeste. C’est ce qui s’est passé aux élections de 1987 au Nouveau-Brunswick, où les libéraux de Frank McKenna ont raflé tous les sièges de l’Assemblée avec à peine plus que le double des suffrages de leurs adversaires conservateurs. 

En conséquence, l’opinion publique n’est pas un obstacle à la réforme électorale au Canada. Le plus gros obstacle, au niveau fédéral ou provincial, est que nos politiciens s’évertuent à vouloir élaborer et ratifier des propositions de changement en s’appuyant sur les mécanismes que la réforme électorale est justement censée remplacer. Par exemple, l’Île-du- Prince-Édouard, le Nouveau-Brunswick et le Québec se sont tous appuyés sur des commissions de type traditionnel pour proposer de nouveaux systèmes électoraux. 

L’approche fédérale 

 À l’automne 2004, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre a été chargé par la Chambre des communes de concevoir un plan pour l’examen national des solutions de rechange possibles au SMUT. Pendant des mois, le Comité a tenu des audiences sur les méthodes utilisées par d’autres pays pour établir leur nouveau système électoral. Il a effectué deux missions d’étude très coûteuses et controversées en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Europe4. En juin 2005, faisant fi de tout son travail des six derniers mois, le Comité a décidé — malgré les protestations de quelques-uns de ses membres — que le meilleur moyen de réaliser une réforme électorale au Canada serait de constituer un autre comité de la Chambre des communes (un « comité spécial », soit dit en passant, par opposition à un comité permanent) qui serait mandaté pour concevoir le nouveau système5

Peu importe le modèle examiné par le comité spécial, il compromettrait les chances de réélection de la majorité des députés qui y siégeraient. Dans l’éventualité, peu probable, où le comité spécial parviendrait quand même à un consensus qui mette entre parenthèses les intérêts personnels et trouverait un moyen d’amener la majorité des députés de la Chambre à voter ensemble à l’encontre de leurs intérêts électoraux, le Canada se doterait du nouveau système électoral auquel la plupart de ses politiciens disent souscrire en principe. Il reste que le résultat le plus probable est une impasse, soit au comité, soit aux Communes. 

La désolante vérité, qui est apparue pendant que le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre étudiait différentes voies à suivre au début de l’année, est que la réforme électorale dans les pays examinés a rarement été réalisée par des moyens que les Canadiens pourraient — ou voudraient — imiter. Dans la pratique, la réforme électorale a le plus souvent été imposée de trois façons : par des forces extérieures, unilatéralement par le parti majoritaire ou par accident. 

Le système irlandais de vote unique transférable, très admiré, a été imposé au début des années 1920 par les Britanniques, qui voulaient s’assurer, avant leur départ, que la minorité protestante ne serait pas exclue du parlement irlandais, comme elle aurait pu l’être dans le SMUT de style britannique. Le système de représentation proportionnelle mixte (SRPM) d’Allemagne, très admiré lui aussi, a été imposé à la fin des années 1940 par les alliés victorieux pour éviter à tout jamais qu’un parti marginal puisse se frayer un chemin jusqu’au pouvoir, comme les Nazis l’avaient fait en 1933. Le système proportionnel mixte de l’Écosse a été imposé par Londres. Le modèle innovateur de vote unique transférable appliqué à l’assemblée législative du Territoire de la capitale, en Australie, a été imposé par le parlement fédéral australien. Il est évident que cette approche de la réforme électorale n’est pas concevable pour les Canadiens. 

Dans d’autres cas, d’excellentes réformes électorales ont été imposées pour des raisons ouvertement partisanes. L’Australie en constitue le meilleur exemple. Voici comment la commission électorale de ce pays décrit le passage du SMUT au mode de scrutin préférentiel pour la Chambre basse : 

Le Commonwealth Electoral Act a été entièrement récrit en 1918 […] et la nouvelle loi instituait, entre autres, le mode de scrutin préférentiel pour la Chambre des représentants; cette réforme découlait de la montée du Country Party au lendemain de la Première Guerre mondiale et de la perspective de perdre des sièges au profit du Parti travailliste par une scission du vote non travailliste6

Bref, le parti au pouvoir détenteur de la majorité s’est rendu compte qu’un changement net de système électoral servirait ses intérêts politiques. Il a donc mis en œuvre la réforme. 

L’Australie a repris ce même scénario lorsqu’elle a implanté le vote unique transférable au Sénat en 1948. Cette fois, le Parti travailliste était au pouvoir, mais il risquait une défaite imminente. Réalisant que le système électoral amplifierait son déclin dans l’appui populaire7 et qu’il n’avait pas de chances de remporter les prochaines élections, le gouvernement travailliste a effectué des changements dans le système électoral qui, estimait-il, aideraient à « consolider son pouvoir parlementaire au Sénat »8

Bien que les deux modèles existant en Australie (scrutin préférentiel et vote unique transférable) aient leurs admirateurs, il est clair que les moyens pris pour les instaurer ne sont pas admirables. Au Canada, de toute façon, ils ne pourraient être imposés que si le gouvernement était majoritaire et que le parti au pouvoir était capable de faire adopter ses changements à toute vapeur et unilatéralement tant à la Chambre des communes qu’au Sénat. Cette situation semble peu probable à court terme. 

Enfin, la réforme électorale peut être réalisée accidentellement, comme en Nouvelle-Zélande. Le SRPM a été instauré dans les années 1990, mais sans avoir été voulu par les partis établis, qui s’efforçaient de paraître favorables au principe de la réforme électorale tout en érigeant des obstacles à cette réforme. En 1992, dans leur semblant d’appui au changement, ils ont tenu un référendum « indicatif » (aux résultats non contraignants) sur deux questions : faut-il changer le système électoral, et quel système devrions-nous adopter? La deuxième question avait été conçue pour favoriser le SMUT. Les électeurs indiquaient leur appui à une seule option. Les auteurs du référendum avaient calculé que l’appui aux différentes solutions de rechange serait tellement divisé que le SMUT recueillerait une pluralité de voix, à défaut de la majorité. Par conséquent, les réponses à la deuxième question rendraient inopérant le mandat en faveur d’une réforme électorale qui allait probablement être accordé dans les réponses à la première question. 

Les auteurs du référendum n’avaient pas prévu, cependant, que le taux de participation serait très faible et qu’un pourcentage extrêmement élevé des électeurs participants se prononcerait en faveur de la réforme. Ainsi, 84,7 % des 55,5 % de personnes qui se sont donné la peine de voter ont choisi de modifier le système électoral. Le gouvernement n’avait pas prévu non plus qu’il y aurait une campagne énergique en faveur d’une seule des trois solutions de rechange au statu quo. Cette erreur de calcul a fait qu’une très grande proportion des participants au référendum a voté pour le SRPM. Autrement dit, par accident, l’électorat a retenu une seule solution de rechange au SMUT, ce qui a exclu toutes les autres options du débat public, et rejeté le SMUT par une forte majorité (probablement grossie artificiellement). 

À l’approche des élections générales, il était devenu très difficile pour le gouvernement d’écarter le SRPM, qui avait remporté la faveur populaire. Néanmoins, une tentative pour faire dérailler la réforme électorale a été risquée : la tenue d’un référendum exécutoire en 1993, où les électeurs devaient choisir entre le SMUT et le SRPM. Des politiciens en vue des deux principaux partis se sont battus vigoureusement en faveur du statu quo et ont encouragé la participation des électeurs (surtout en tenant le référendum en même temps que des élections générales). À la suite de ces efforts, le taux de participation s’est chiffré à 85,2 %. Cette fois, le SRPM a bénéficié d’une mince majorité de 53,9 % 9

Il ne fait pas de doute que le SRPM a été véritablement plébiscité par la population, mais il est clair, également, que les politiciens du Canada ne peuvent pas, en toute connaissance de cause, se lancer dans une entreprise où ils risquent de s’imposer à eux-mêmes des conséquences non recherchées comme en Nouvelle-Zélande. 

La seule solution de rechange aux trois scénarios présentés ci-dessus serait de tirer parti du soutien de principe accordé à la réforme électorale par tous les partis représentés à la Chambre des communes afin d’établir un mécanisme qui produirait à coup sûr un nouveau modèle électoral, sans que les politiciens (ni personne d’autre, bien entendu) sachent à l’avance quel modèle serait finalement retenu. Chaque parti devrait accepter le risque que le modèle choisi ne soit pas celui qu’il privilégie, tout en sachant qu’il pourrait sortir gagnant du processus. Dans les faits, tous les partis s’effaceraient derrière ce que le philosophe John Rawls a appelé le « voile de l’ignorance ». 

Leçons tirées de l’expérience de la Colombie-Britannique 

Le voile de l’ignorance a été la clé du succès dans l’effort le plus concluant accompli jusqu’ici dans le monde pour donner un mandat populaire à la réforme électorale. L’Assemblée des citoyens de la Colombie-Britannique, qui a proposé un modèle pour la réforme électorale en octobre 2004, était un groupe véritablement représentatif. Les membres de l’Assemblée ont été choisis au hasard et les politiciens aux intérêts partisans ont été exclus. Le 17 mai 2005, sa proposition de modèle électoral, le vote unique transférable (VUT), a été soumise aux électeurs de la province à l’occasion d’un référendum et a reçu 57 % des suffrages, y compris la majorité dans tous les districts électoraux, sauf deux. Il s’agit, à ma connaissance, de l’appui populaire le plus important jamais accordé à un nouveau modèle électoral. 

Mais, même en Colombie-Britannique, les vieilles façons de faire ont eu raison des nouvelles. Non seulement le gouvernement avait-il exigé une majorité de 60 % au référendum, mais la recommandation de l’Assemblée en faveur du VUT était une offre à prendre ou à laisser. Les électeurs pouvaient voter pour le VUT ou pour le SMUT déjà en place, mais pas pour d’autres options, comme le mode de scrutin préférentiel de style australien ou le SRPM à l’allemande. Un vote pour le VUT mettrait fin à toute possibilité de voir un autre système figurer sur le bulletin. 

Il en a résulté que les chefs de file du mouvement pour la réforme sont devenus neutres ou se sont mis à militer ouvertement contre le VUT dans l’espoir que ce modèle serait rejeté, tout en entretenant l’intérêt populaire pour la réforme au cas où leur modèle de prédilection pourrait être proposé à un autre moment donné. 

Par exemple, le Parti vert provincial était, depuis longtemps, un fervent partisan de la réforme électorale, ce qui lui avait probablement valu le gros des suffrages en sa faveur aux élections provinciales de 2001. Pendant les audiences publiques de l’assemblée des citoyens, Adrienne Carr, chef de ce parti, s’est démenée pour convaincre l’Assemblée d’adopter le SRPM10. Mais, quand l’Assemblée a choisi de proposer le VUT au référendum, le Parti vert est devenu neutre alors que Mme Carr et la seule représentante élue du parti, Andrea Reimer, conseillère scolaire de Vancouver, se sont mises à faire campagne contre le VUT (et, par le fait même, pour le SMUT)

Carole James, chef du NPD, n’a pas été aussi effrontée dans son combat contre le VUT. Elle est restée officiellement neutre pendant toute la campagne électorale et référendaire, mais elle a annoncé publiquement le 18 mai, le lendemain du scrutin, qu’elle avait voté contre le VUT. « Je ne pensais pas que le VUT était la bonne voie à suivre, a-t-elle expliqué en entrevue. À mon avis, il y avait d’autres modèles à envisager. Je crois que la représentation proportionnelle mixte répond aux besoins de la population de la province. » Elle a recommandé la tenue d’un deuxième référendum, vraisemblablement sur le SRPM, qui aurait lieu en même temps que les élections municipales en novembre. 

Ce type de vote stratégique encouragé par les chefs du Parti vert et du NPD a probablement, au bout du compte, empêché le VUT d’obtenir le seuil de 60 % nécessaire à son adoption pour les élections provinciales de 2009. Le recul d’anciens partisans de la réforme comme Mmes Carr et James ont fait que le VUT n’a remporté que 57 % des suffrages — résultats inférieurs de trois points au chiffre magique. 

La Colombie-Britannique se retrouve maintenant dans une situation très inconfortable. Julian West, défenseur en vue de la réforme (qui a posé sa candidature tant au Parti vert qu’au NPD par le passé), a exprimé sa frustration en ces termes : 

« Je ne vois rien en fait de procédure qui remette la proportionnelle mixte sur les rangs à ce stade. Personne n’a défendu l’idée qu’un résultat [de référendum] comme celui-là constituerait un mandat [pour écarter le VUT et passer à une épreuve de force entre le SRPM et le SMUT]11. » 

Il n’y a actuellement pas de mandat pour changer le statu quo, étant donné que l’acceptation du VUT nécessite une majorité qu’il n’est pas possible d’obtenir, mais que l’adoption d’une des autres solutions de rechange exigerait, à tout le moins, que le VUT ait été rejeté par plus de la moitié de l’électorat. 

Par ailleurs, le système actuel a aussi été rejeté en pratique, puisqu’il n’a reçu l’appui, peut-on présumer, que des 43 % d’électeurs qui ont voté contre le VUT (et qui l’ont fait pour d’autres raisons que celles qui animaient Mmes James et Carr). 

Un éditorial paru dans le Vancouver Sun le 21 juillet 2005 souligne la difficulté d’établir un mandat pour instaurer un nouveau système électoral dans les circonstances : 

[Carole] James a suggéré de tenir un deuxième référendum qui offrirait « plus de choix » à l’électorat. Cette voie comporte des obstacles bien concrets […],notamment ce qu’il faudrait faire si aucune des options n’obtenait un appui majoritaire. (S’en tenir au statu quo? Passer à un deuxième tour de scrutin?) […] Quoi qu’il en soit, les élections municipales suscitent rarement le même taux de participation que les élections provinciales. 

Il saute aux yeux qu’un moyen de régler le problème de la légitimité serait de ne pas exiger une supermajorité à un futur référendum. Dans un vote référendaire, comme dans une élection législative, la règle de la majorité absolue (50 % plus un) ne manque pas d’intérêt. 

Cependant, il paraît aussi raisonnable d’ajouter foi au raisonnement sous-jacent de Mme James. En termes explicites, elle dit croire que les électeurs de la Colombie-Britannique auraient choisi le SRPM plutôt que le VUT si ce sont ces deux choix qui avaient figuré sur le bulletin de vote, au lieu du VUT et du SMUT. Nous n’avons aucun moyen de vérifier si c’est vrai ou non. 

La solution : un référendum préférentiel national 

Au niveau fédéral, nous pourrions éviter une situation comme celle de la Colombie-Britannique en constituant une assemblée de citoyens, non pas pour retenir une seule solution de rechange au SMUT, mais plutôt pour proposer plusieurs options qui se feraient concurrence sur le bulletin de vote. Les électeurs pourraient alors classer les options par ordre de préférence. 

Je préconise, pour le Canada, un référendum préférentiel où les électeurs inscriraient « 1 » sur le bulletin de vote à côté de l’option qu’ils privilégient, « 2 » à côté de leur deuxième choix, et ainsi de suite. Si aucune option ne remportait la majorité des votes, celle qui aurait recueilli le moins de suffrages serait retirée de la liste, et les votes des électeurs qui auraient inscrit cette option comme leur premier choix seraient attribués aux options inscrites comme deuxième choix. Ce processus se poursuivrait jusqu’à ce qu’une option obtienne la majorité absolue. 

Dans un référendum préférentiel, les électeurs pourraient indiquer leur préférence pour un système sans faire du SMUT l’option par défaut. Les partisans de toutes les options pourraient militer énergiquement pour leur système de prédilection sans devenir, de facto, les défenseurs du statu quo, contrairement à ce qui s’est produit en Colombie-Britannique. 

Le vote préférentiel constitue le meilleur moyen de former un consensus en l’absence d’une majorité évidente. C’est pourquoi il est utilisé par beaucoup de partis politiques, y compris le mien, pour la nomination de leur chef. Qui plus est, l’idée d’un référendum préférentiel pour le choix d’un nouveau système électoral n’est pas nouvelle. Elle a été préconisée dès 1997 par le groupe de travail sur la réforme électorale du Parti réformiste, pour qui je travaillais comme attaché de recherche. Récemment, Fair Vote Ontario a fait le bilan des forces et des faiblesses du modèle d’assemblée de citoyens appliqué en Colombie-Britannique et présenté la recommandation suivante : 

L’Assemblée des citoyens de la Colombie-Britannique a reçu pour instruction de conserver le nombre de sièges existant à l’Assemblée législative de la province et de recommander un seul système. Nous estimons qu’il faudrait abolir ces restrictions pour permettre à l’assemblée des citoyens de l’Ontario de recommander tout ce qu’elle juge dans l’intérêt de la province […] Si elle n’arrive pas à un consensus général sur le meilleur système électoral de remplacement, elle devrait être autorisée à présenter deux solutions de rechange. Dans ce cas, les électeurs participeraient à un référendum préférentiel, c’est-à-dire qu’ils auraient à faire des choix sur un bulletin de vote qui proposerait les solutions de rechange et le statu quo.12 

Je suis en faveur de cette formule au niveau fédéral, mais j’irais plus loin : l’assemblée des citoyens devrait avoir pour mandat de proposer plusieurs options à la population canadienne, en faisant en sorte que chaque option soit aussi complète et intéressante que possible et aussi respectueuse que possible des valeurs que les Canadiens veulent associer à leur système électoral. La décision reviendrait ensuite aux électeurs, qui choisiraient — comme le font toujours les Canadiens — le compromis le plus judicieux et le plus viable parmi les options proposées. 

Notes 

1. Une exception notable est Lawrence Solomon. Voir ses différents articles d’opinion parus dans le National Post en 2005. 

2. L’exception à la règle est le Bloc Québécois. On imagine mal un système électoral mieux conçu que le SMUT pour transformer la base d’appui du Bloc, restreinte à une région géographique, en un grand nombre de sièges à la Chambre des communes. Le bilan du Bloc est le suivant : 1993 : 13,5 % des suffrages recueillis à l’échelle nationale ont donné 54 sièges. 1997 : 14,6 % des suffrages, 44 sièges; 2000 : 10,7 % des suffrages, 38 sièges; 2004 : 12,4 % des suffrages, 54 sièges. 

3. Andrew Coyne et Lawrence Solomon, « BC’s Democratic Revolution », National Post, 16 mai 2005. 

4. Le 1er février 2005, les membres du Comité (dont moi-même) ont voté un budget de voyage de 289 695 $ pour les missions en Europe et en Océanie. Pendant que le Comité était à l’étranger, Françoise Boivin, qui en est membre, s’est plainte aux médias de l’énormité du budget de voyage. 

5. J’ai produit, pour les députés conservateurs du Comité, un rapport dissident qui indiquait notre préférence pour une assemblée de citoyens inspirée du modèle de la Colombie-Britannique. 

6. « A Short History of Federal Electoral Reform in Australia ». http://www.aec.gov.au/_content/when/history/short_history.htmConsulté le 1er septembre 2005. 

7. À cette époque, le Sénat australien était élu au moyen du SMUT dans des circonscriptions plurinominales. Chaque État élisait six sénateurs à la fois. Dans ce modèle, appelé scrutin majoritaire plurinominal, chaque électeur a droit à six voix, et les six premiers candidats sont élus. Ce système est encore largement utilisé au Canada pour les élections municipales dans de petites villes qui ne sont pas divisées en quartiers. Tous les électeurs votent alors pour l’ensemble des candidats au conseil municipal. 

8. John Uhr, « Why We Chose Proportional Representation », dans Marian Sawer et Sara Miskin (dir.), Representation and Institutional Change: 50 Years of Proportional Representation in the Senate, Department of the Senate, décembre 1999, « Papers on Parliament Series », no 34. Chapitre 2 de l’ouvrage. Internet : http://www.aph.gov.au/Senate/pubs/pops/pop34/c02.htm. Consulté le 1er septembre 2005. 

9. Source de toutes les statistiques sur le référendum de la Nouvelle-Zélande : Helena Catt (première dirigeante de la New Zealand Electoral Commission), « New Zealand’s Experience with MMP (AMS) ». Texte polycopié distribué aux membres du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre en visite en Nouvelle-Zélande, avril 2005, p. 2. 

10. Gordon Gibson, concepteur de l’Assemblée des citoyens, a dit : « Je pense qu’il y a eu des tentatives pour influencer le processus d’audiences publiques […] Adrienne Carr, chef du Parti vert, a indiqué que 80 % des témoignages étaient en faveur du système qu’elle préconisait [le SRPM]. Si c’est le cas, il faut reconnaître son sens de l’organisation, mais ça ne reflète pas le point de vue des gens de la Colombie-Britannique, à mon avis. » Fraser Forum (février 2005), p. 25. 

11. Brad Badelt, « Vote-reform supporters vow to continue STV fight », Vancouver Sun, 23 mai 2005. 

12. Fair Vote Ontario, « Ontario Citizens’ Assembly: Improvements on the BC Model ». Mimeograph. 20 janvier 2005. 


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 28 no 3
2005






Dernière mise à jour : 2020-09-14