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Peter Aucoin; Louis Massicotte; David E. Smith
En novembre 2004, la Chambre des communes a modifié le discours du Trône
afin que le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre
recommande un processus visant à assurer la participation de la population
et des parlementaires à un examen de notre système électoral et de toutes
les options possibles. En février et en mars 2005, le Comité a tenu quelques
audiences afin de s'acquitter de ce mandat. Le présent article repose sur
le témoignage de trois experts qui ont comparu le 9 mars.
Peter Aucoin : Je voudrais tout d'abord dire que l'évaluation d'un système
électoral devrait se faire sur deux plans : d'abord, la mesure dans laquelle
il représente les citoyens, ensuite la mesure dans laquelle il fait la
promotion d'un gouvernement efficace. Je dis cela, car, à mon avis, il
y a un lien avec le processus que l'on met en place. Son incidence n'est
pas neutre.
Un processus d'examen devrait inclure l'éducation du public fondée sur
une recherche bien structurée; un dialogue avec le public et les participants
au processus politique; une évaluation éclairée et impartiale du statu
quo en regard des solutions de rechange pratiques. Il s'agit d'un processus
électoral pour un gouvernement parlementaire, non pas seulement d'élire
des gens à la Chambre des communes.
L'expérience du Canada démontre que la commission d'enquête est la mieux
placée pour faire les choses suivantes :
-
appliquer un programme de recherche crédible et respecté
-
informer les citoyens et les participants au processus politique au moyen
de divers instruments, notamment les rapports provisoires;
-
discuter avec les citoyens et les participants au processus politique partout
au Canada de façon constructive et en temps utile.
Je souligne ici plus particulièrement la capacité d'exercer une fonction
de contestation de façon à ce que ce ne soit pas uniquement un monologue,
de façon à ce que les commissaires puissent contester les objectifs et
les priorités qui sont présentés et, plus particulièrement à cet égard,
de façon à ce qu'ils contestent les diverses allégations qui sont présentées
en faveur du statu quo et des propositions de réforme. Il n'est pas nécessaire
de lire beaucoup de délibérations publiques au sujet de la réforme du système
électoral pour trouver des faits et des erreurs un peu partout dans ces
discussions.
Il est aussi extrêmement important qu'un processus soit impartial et perçu
comme tel en ce qui a trait à son évaluation et à ses recommandations au
sujet du système électoral. Les meilleurs programmes de recherche que nous
avons eus sur ces questions dans l'histoire canadienne sont manifestement
ceux qui ont été menés par des commissions royales.
Compte tenu de tout cela et, plus particulièrement, compte tenu de la nature
de la question de la réforme électorale, qui a une incidence si fondamentale
à la fois sur les élections et sur les candidats aux élections, les travaux
d'une commission devraient être complétés par un comité parlementaire qui
s'acquitterait au moins des tâches suivantes. Premièrement, il examinerait
le rapport provisoire de la commission. Deuxièmement, il discuterait avec
d'autres députés et des représentants des partis non présents à la Chambre.
Ici, en particulier, encore une fois, je pense qu'il est extrêmement important
de remettre les choses en question de façon à ce que les délibérations
soient sérieuses et interactives. Troisièmement, il rédigerait un rapport
public avant la fin des discussions de la commission avec les citoyens
et les participants au processus politique de façon à ce que les rapports
de la commission et du comité puissent être examinés par le gouvernement,
la Chambre et/ou la population lors d'un référendum, selon la manière dont
la partie finale du processus est conçue.
En conclusion, je ne recommande pas le recours à une assemblée de citoyens
comme celle qui a été utilisée en Colombie-Britannique. Comme des témoins
précédents l'ont proposé à votre comité, l'utilisation de divers aspects
d'un dialogue de citoyens pourrait être efficace, mais pas le modèle complet
de l'assemblée de citoyens. À mon avis, une assemblée de citoyens ne serait
pas du tout pratique à l'échelle nationale, si l'on veut qu'elle fonctionne
comme il faut.
L'exclusion des politiciens d'une assemblée de citoyens, comme cela a été
le cas en Colombie-Britannique, ne résisterait pas à une contestation en
vertu de la Charte.
David Smith : Nous parlons aujourd'hui du système électoral. Il s'agit du
système qui permet de déposer et de compter les bulletins de vote. Il est
question de changer le système électoral. Personnellement, je n'utiliserais
pas le terme « réforme ».
Mes observations se divisent en trois parties : la recherche, la consultation
et la mise en uvre. En ce qui a trait à la recherche, le Mouvement pour
la représentation équitable au Canada, mentionne dans sa documentation
des « discussions sans fin » et des « études redondantes » en ce qui a trait
au changement électoral. Je ne suis pas d'accord avec cela. Je pense qu'en
fait, au Canada, on a très peu étudié le système électoral national.
Il y a environ une décennie, la Commission Lortie, la Commission royale
sur la réforme électorale et le financement des partis, a spécifiquement
décidé au départ de garder le scrutin uninominal majoritaire à un tour,
ou le système majoritaire uninominal, et n'a pas examiné le système électoral.
Au Canada, on ne retrouve aucune étude officielle, institutionnalisée,
des questions électorales comme on en retrouve dans la Société Hansard
en Angleterre ou dans des organismes électoraux comparables en Australie.
Le Mouvement pour la représentation équitable au Canada dit vouloir un
processus de réforme électorale provenant des citoyens et contrôlé par
les citoyens, avec un échéancier spécifique pour un référendum national.
Pourtant, il est nécessaire de faire de la recherche sur un certain nombre
de questions pour lesquelles tout changement apporté au système électoral
aura des conséquences importantes. Mentionnons, entre autres, l'équité
entre les partis politiques, la représentation efficace des groupes minoritaires
et des groupes d'intérêts spéciaux, la représentation efficace des Autochtones,
l'intégration politique de la nation, la représentation efficace des électeurs,
la participation efficace des électeurs, un gouvernement et un Parlement
efficaces, des partis politiques efficaces et, enfin, la légitimité.
Ce sont là des questions complexes, car la représentation, le produit de
tout système électoral, est, en soi, un sujet complexe. Par exemple, permettez-moi
de souligner le sommaire du rapport de la Commission du droit du Canada
intitulé Un vote qui compte : La réforme électorale au Canada. Là, plusieurs
concepts de représentation, dont certains, à mon avis, s'excluent mutuellement,
se retrouvent juxtaposés : premièrement, la représentation en tant qu'activité,
c'est-à-dire le député qui fait quelque chose que je lui demande de faire;
deuxièmement, la représentation en tant que miroir, lorsque le député me
ressemble ou ne me ressemble pas; ou troisièmement, même l'absence de représentation,
lorsque le député n'est pas la personne pour laquelle j'ai voté. Il y a
différentes façons de concevoir la représentation et elles ne sont pas
nécessairement compatibles.
Dans toute étude du changement électoral au Canada, il est extrêmement
important de faire une étude bien équilibrée de toutes les options et de
leur incidence sur les questions que je viens de mentionner. À mon avis,
cette recherche ne devrait pas se limiter aux chercheurs canadiens ou aux
données canadiennes. Il y a beaucoup de documents qui font autorité au
Royaume-Uni et aux États-Unis, dans des pays qui utilisent le système majoritaire
uninominal depuis plusieurs centaines d'années.
Je ferais la même mise en garde que Philip Norton, un universitaire britannique,
a faite dans son mémoire à la Commission Jenkins, c'est-à-dire la Commission
indépendante du Royaume-Uni sur le système électoral, lorsqu'il a dit qu'il
serait intellectuellement malhonnête et potentiellement désastreux de comparer
les points faibles du système actuel aux points forts des autres options.
En ce qui concerne la consultation, je pense qu'il y a, en fait, deux modèles
possibles. Le professeur Aucoin en a mentionné un, l'assemblée de citoyens,
qui a été utilisé tout récemment en Colombie-Britannique. Il s'agit en
réalité d'une assemblée constituante, dans ce cas-ci de deux personnes
de chaque circonscription regroupées selon le sexe et l'âge pour représenter
la population provinciale.
Ils ont eu recours à des colloques, à la création d'un rapport d'étape,
à des audiences publiques au sujet de ce rapport, à des présentations,
à des délibérations et à une décision, et cette décision sera présentée
aux citoyens de la Colombie-Britannique lors d'un référendum en mai prochain.
Le modèle de l'assemblée de citoyens n'est pas possible sur le plan logistique
pour tout le pays; il est trop compliqué. Mais, sur le plan philosophique,
à mon avis, il est également vicié, car, selon ce modèle, le changement
du système électoral ne relève plus du Parlement comme il le devrait.
Le deuxième modèle est celui d'une commission analogue à bien des commissions
qu'on pourrait nommer, la Commission Romanow sur le régime de soins de
santé, plus récemment. Ce modèle comporte deux étapes, la première étant
consacrée à la recherche et à la production d'un rapport provisoire, suivie
d'une deuxième Commission Romanow, qu'on appelle un dialogue avec les gens
et l'utilisation du rapport provisoire comme base de la discussion, le
tout suivi d'un rapport final au Parlement.
Le modèle de la commission serait bien appuyé par la recherche et, étant
donné la diversité du Canada, serait mieux à même que le modèle de l'assemblée
constituante d'engager les citoyens et les parlementaires dans une étude
de notre système électoral. Il ne fait aucun doute qu'il faut engager les
citoyens. De nos jours, on ne pourrait envisager de changer le système
électoral sans engager les citoyens.
Ce serait une abdication de la responsabilité constitutionnelle du Parlement
si on déléguait cette décision à toute autre partie, notamment aux citoyens
du Canada.
Enfin, la mise en uvre. Des études d'experts et l'engagement public sont
des éléments essentiels de toute proposition en vue de modifier le système
électoral. Quoi qu'il en soit, la mise en uvre devrait relever du Parlement.
C'est au Parlement de décider quel système électoral le pays doit avoir,
tout comme, au cours des décennies, c'est le Parlement qui a décidé d'élargir
le droit de vote, de modifier le système de remaniement électoral, d'introduire
un régime de dépenses électorales et davantage.
Louis Massicotte : Dans les milieux friands de réforme électorale, il y
a deux idées qui font du chemin depuis les dernières années.
La première idée, c'est qu'il n'y a rien à attendre du Parlement, parce
que celui-ci est habité par de méchantes personnes qu'on appelle des politiciens
et que des politiciens, par définition, doivent leur siège au système électoral
qui est en vigueur, et donc ils vont s'asseoir dessus et ils vont torpiller
toute réforme jusqu'à la fin des temps.
La seconde idée, c'est qu'une question comme celle du mode de scrutin doit
être complètement retirée des parlementaires et ne peut, dans une démocratie
digne de ce nom, être tranchée que par référendum. En fait, aucune réforme
électorale ne peut être dispensée, d'après cette thèse, d'être soumise
à un référendum.
Ces deux postulats sont étroitement liés entre eux et, si on ne peut rien
attendre des parlementaires à part la glorification du statu quo, certains
vont s'incliner, mais beaucoup vont conclure que l'attitude des politiciens
nécessite leur exclusion plus ou moins complète du processus ainsi que
le recours à des formes d'implication citoyenne plus directes si on veut
aboutir à quelque chose. Ces deux idées reviennent fréquemment dans le
débat public et font figure, aux yeux de certains, d'évidences indiscutables.
Pourtant, si on les confronte à la réalité historique canadienne et internationale,
l'une et l'autre se révèlent assez fragiles.
Commençons par la première idée. Il y a certainement des contextes où les
parlementaires sont allergiques à toute réforme et, s'ils sont sur ce point
en porte-à-faux avec le public, la situation est regrettable. Mais si c'était
vrai partout et en tout temps, j'aimerais qu'on m'explique pourquoi, dans
des dizaines et des dizaines de pays depuis un siècle et demi, les parlementaires
ont modifié le système électoral sur des points fondamentaux et, dans certains
cas, l'ont fait plusieurs fois.
Dans les provinces canadiennes en particulier, on relève une bonne demi-douzaine
de réformes du système électoral entre 1920 et 1960. Dans certains cas,
la majorité gouvernementale a imposé sa volonté à l'opposition. Dans d'autres
cas, la décision a été davantage consensuelle. Partout, le processus a
été strictement parlementaire. Donc, il n'est certainement pas vrai, à
mon avis, de postuler qu'aucun changement n'est possible dans la voie parlementaire.
Les politiciens ne sont pas nécessairement, comme certains le postulent,
un bloc compact hostile aux changements. Certains ont intérêt au statu
quo, d'autres non.
Examinons maintenant le deuxième postulat, selon lequel un référendum est
indispensable. Je ne suis pas opposé, par principe, au référendum. Mais
les référendums sont-ils indispensables? Voyons cela. J'ai passé récemment
au peigne fin l'histoire des référendums dans le monde pour voir combien
avaient porté sur le mode de scrutin. Vous avez peut-être remarqué qu'on
cite toujours les mêmes exemples, et ce n'est pas pour rien. C'est qu'on
peut compter littéralement sur les doigts d'une seule main les pays où
il y a eu des référendums sur ce sujet au niveau national. L'immense majorité
des réformes électorales, en d'autres termes, ont passé par le canal parlementaire
habituel.
Un des problèmes que suscite l'outil référendaire, à mon humble avis, en
matière de réforme du mode de scrutin, c'est que le sujet ne passionne
pas les foules. Il passionne peut-être des professeurs comme nous et quelques
députés, mais cela ne passionne pas les foules.
Alors, pour gagner un référendum sur ce sujet, il faut exciter les électeurs.
On est obligé, dans le feu de l'action, de faire flèche de tout bois, de
présenter la réforme comme une sorte de panacée, une baguette magique.
On dit que la discipline de parti va disparaître, que les parlements vont
se féminiser massivement, que la participation électorale va grimper dans
la stratosphère, que la politique va devenir du jour au lendemain un exercice
consensuel fondé sur la seule règle de l'amour infini.
Alors, on risque de tomber, autrement dit, dans le piège d'une rhétorique
un peu démagogique, quitte à ce que le public découvre après coup, si cela
a marché, qu'en matière de promesses en l'air, certains réformateurs électoraux
ne sont pas en reste sur certains politiciens.
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