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Hugh Segal
Je propose que nos institutions parlementaires et législatives accordent
une plus grande place aux idées. L'absence d'idées et d'un forum créatif
propice à leur élaboration et à leur discussion au sein des institutions
parlementaires coûte cher au Canada et aux Canadiens.
Quand je parle d'un débat d'idées, je veux parler d'un débat ouvert et
engagé entre des parlementaires sur des enjeux de société, de défense,
de politique étrangère ou d'économie qui intéressent les Canadiens et auquel
les Canadiens peuvent eux-mêmes assister et participer.
Ce genre de débat est rare sur la colline du Parlement, pour des raisons
qui ne dépendent pas des parlementaires eux-mêmes. Cependant, l'absence
de ce type de débat mine le rôle législatif et le but du Parlement et remet
en question la pertinence de cette institution. La rareté des débats d'idées
s'explique par des raisons structurelles une structure qui, bien qu'elle
puisse être corrigée, est directement liée à la manière même dont les choses
sont établies et organisées d'avance dans notre régime parlementaire.
Comme l'a clairement démontrée la Commission Lortie créée après l'élection
générale de 1988, nous constatons un manque flagrant de participation de
nos partis politiques à l'élaboration sérieuse de politiques et à la promotion
des idées. Les sommes qu'ils consacrent aux sondages, à leur organisation,
à leurs bureaux, aux relations avec les médias, aux sites Web, aux tournées
des chefs et aux campagnes de financement dépassent largement celles consacrées
aux politiques. Même si les bureaux de recherche parlementaire aident les
partis à surmonter les pressions de la Chambre et à se préparer à la période
des questions et à leur travail au sein des comités permanents, leurs activités
sont, par définition, ponctuelles et leur contribution demeure superficielle.
On ne peut pas le leur reprocher en grande partie ils n'ont pas les moyens
d'embaucher des économistes d'expérience ou des spécialistes des relations
internationales ou de la politique sociale, sauf dans des circonstances
particulières ou à un niveau de débutant.
Maintenant que nos partis dépendent largement de l'argent des contribuables,
l'idée de ne pas leur imposer d'obligations légales à cet égard a de quoi
surprendre. En Europe, l'utilisation des fonds publics est assortie d'obligations
envers la population. Nous devrions réfléchir à ce que ce genre de cadre
pourrait et devrait avoir l'air chez nous.
Dans notre régime constitutionnel, le Parlement du Canada est largement
guidé par le programme ou l'absence de programme du gouvernement, selon
la dynamique du moment. La période des questions s'est inévitablement transformée
je ne sais pas comment la définir mais, depuis des décennies, elle
ne traite pas des idées. La télévision y est sûrement pour quelque chose.
Pendant que les fonctionnaires cherchent et élaborent des idées de politiques
au sein des ministères et soutiennent diverses initiatives, leurs idées
s'adressent surtout au gouvernement du moment et trouvent rarement leur
chemin jusqu'au Parlement, sauf lorsqu'elles sont diluées dans un projet
de loi ou dans le budget; le cas échéant, le débat est déterminé par la
nature partisane du processus de vote. Ce sont souvent les bureaux de recherche
qui rédigent les questions pour la Chambre ou les comités et la bureaucratie
qui élabore les réponses cela se fait certes honorablement mais il
ne s'agit certes pas d'un échange d'idées.
On pourrait soutenir qu'un comité permanent offre une excellente tribune
pour l'échange d'idées, mais cela dépend beaucoup de sa dynamique, quel
que soit le sujet à l'étude crédits, projet de loi ou questions pour
un ministère dans le cadre du processus budgétaire. On dirait que chaque
idée soumise au débat en Chambre doit être épluchée et traitée à l'avance;
le système antagoniste sur lequel repose le Parlement, qu'il soit orchestré
ou coordonné, est, en quelque sorte, menacé.
La structure du pouvoir essentielle au fonctionnement du Parlement a certes
tendance à empêcher toute discussion créatrice. Les déclarations du gouvernement
et les réponses de l'opposition sont rédigées d'avance d'une manière parfois
très rigoureuse. La période des questions se résume, au mieux, à un examen
minutieux de problèmes passés ou présents et n'a rien à voir avec un échange
d'idées sur l'avenir. Le cycle des médias confirme cette dynamique et peut
l'exacerber à certains égards. Les pressions concurrentielles dans les
médias, si bien décrites dans l'ouvrage exceptionnel de William Fox sur
les médias Spinwars, obligent parfois leurs principaux joueurs à jeter
leur dévolu sur les « vérités sympathiques » du jour ou évacuent tout journalisme
réfléchi qui soit axé sur la recherche stratégique. Même en faisant de
leur mieux, les groupes de réflexion peuvent seulement contribuer à élargir
l'éventail des idées et des analyses déjà disponibles ils ne peuvent
pas vraiment influencer les parlementaires ni le processus parlementaire
quant à l'ampleur des débats.
Les comités parlementaires, en particulier les comités sénatoriaux, essaient
parfois de soumettre des idées et des propositions à l'examen du Parlement,
mais leur travail consiste habituellement à entendre des experts, des intervenants
ou des défenseurs des droits dans le but de comprendre et d'évaluer leurs
opinions. Il ne s'agit pas vraiment d'un débat politique ouvert et libre
ni d'une participation créatrice des parlementaires eux-mêmes. En toute
justice, la grande partie du travail de préparation des rapports des comités,
dont le contenu est habituellement rédigé et négocié à huis clos, dénote
une discussion sérieuse des politiques. On peut comprendre pourquoi ils
travaillent à l'abri des regards. Dans ce sens étroit, les débats politiques
qui se déroulent en caucus, souvent créatifs et très intenses, ne sont
pas publics non plus ce qui est inévitable, mais qui contribue néanmoins
à l'image plutôt aseptisée du processus parlementaire qui se déroule en
plein jour. Comble de l'ironie, c'est que, puisque le rôle du Parlement
est d'examiner à la loupe les dépenses et les activités du gouvernement
qui, ensemble, constituent l'essence de l'orientation politique et de la
mise en oeuvre de politiques, il n'y a pas, pour autant, beaucoup de véritables
débats ouverts autour des idées et des politiques.
Je reconnais qu'en raison de sa nature antagoniste et partisane, le Parlement
peut difficilement être une tribune qui favorise la libre circulation des
idées et un débat ouvert. Je persiste toutefois à croire que nous pouvons
faire mieux et, surtout, si nous croyons en l'importance de cette institution,
que nous avons le devoir d'essayer.
À l'occasion du vingtième anniversaire de la Commission royale Macdonald
sur les perspectives économiques du Canada, présidée par un ancien ministre
de la Défense nationale Donald S. Macdonald, force est de nous demander
pourquoi le vaste travail de recherche et d'élaboration de politiques accompli
par la Commission a été si bien accueilli par des universitaires de renom
et pourquoi la rigueur intellectuelle du travail accompli demeure si convaincante.
De toute évidence, le premier ministre Trudeau a conclu que, quelles que
soient les questions stratégiques urgentes pour le Canada, une commission
royale était, de loin, une meilleure tribune pour leur examen qu'un comité
parlementaire ou le Parlement. Cela était et demeure vrai. Si nous voulons
avoir un débat politique sérieux ou un examen approfondi d'idées, le Parlement
est la pire tribune et les parlementaires sont les derniers à qui nous
pouvons faire confiance pour cette mission. Cette évidence devrait nous
faire réfléchir. Je crois aussi que c'est extrêmement injuste pour les
parlementaires.
Il n'existe certes pas de solution facile pour ce qui est, après tout,
une série de contraintes systémiques héritées au fil des décennies. Le
Parlement est, une entité antagoniste qui est le reflet des électeurs qui
ont élu le gouvernement et de tous ceux qui ont voté contre. La nature
compétitive du débat et de l'engagement, entre deux élections, est l'expression
de la démocratie parlementaire, après le scrutin. Il ne faut pas tenter
de diminuer artificiellement la nature essentielle de cet engagement.
Demandons-nous s'il est possible ou non de modifier les pratiques, les
conventions et les procédures actuelles ou d'en adopter de nouvelles pour
que le Parlement joue un rôle plus actif dans les débats politiques et
pour renforcer son rôle d'examen déjà en place dans cette structure? Je
crois que c'est possible. L'examen ouvert par le Parlement d'un plus grand
nombre de livres verts et blancs serait une bonne manière d'y arriver.
La tenue de réunions de circonscription et d'assemblées publiques locales
sur ces documents contribuerait à élargir le rôle du Parlement dans le
domaine des politiques.
Dans le cadre de travaux effectués pour l'Institut de recherche en politiques
publiques sur les désaccords entre les décisions législatives du Parlement
et les décisions judiciaires fondées sur la Charte des droits sur des sujets
aussi divers que la publicité des compagnies de tabac, la loi sur la protection
des victimes de viol et les droits des homosexuels, Mme Janet Hiebert,
professeure à l'Université Queen's, a laissé entendre que les parlementaires
pourraient éviter certains désaccords potentiels s'ils demandaient à des
comités de la Chambre directement responsables de la Charte d'examiner
les conséquences de chaque projet de loi en fonction de celle-ci, avant
l'étape de la troisième lecture. Mis à part le fait que les parlementaires
préfèrent peut-être, pour des motifs politiques, éviter de jouer un rôle
aussi explicite, il y a lieu de réfléchir à ce principe dans le contexte
d'un vaste débat politique. Si les comités permanents ne disposent pas
de marge de manuvre en raison de leur composition partisane ou de leur
calendrier déjà chargé étude des crédits et d'autres questions , un
bon moyen de stimuler, de rafraîchir et d'encourager le débat et la discussion
politiques serait peut-être de créer des comités législatifs dont le mandat
serait de proposer des « idées pour l'avenir » ou de « nouvelles politiques
pour une nouvelle ère ». La plupart des gouvernements ont créé un comité
permanent des politiques et des priorités; pourquoi ne demanderions-nous
pas à notre parlement d'en créer un lui aussi un comité capable de réfléchir
sur de nombreux sujets, d'en débattre ouvertement et de véritablement anticiper
l'avenir. Nous souhaitons évidemment un système qui reconnaisse que la
valeur d'une idée, l'efficacité d'une politique et la nécessité d'une nouvelle
approche peuvent être débattues en fonction de leurs propres mérites, indépendamment
des intérêts du parti, du gouvernement ou du groupe d'intérêt qui les a
proposées.
Nous devons reconnaître, en toute franchise, que le processus parlementaire
n'a presque jamais ce genre de préoccupation. Nous devons également reconnaître
de façon brutale que ce genre de discussion n'a lieu qu'au sein des bureaucraties
gouvernementales ou des groupes de réflexion. Enfin, nous devons reconnaître,
en toute franchise, que les médias ne sont pas encouragés à pousser le
journalisme politique au-delà des questions comme « Quel incident s'est
produit à tel endroit? » et « Qui est à blâmer ».
Nous connaissons tous des parlementaires et des journalistes, quel que soit leur
parti ou leur média, qui échappent au cadre structurel antagoniste qui limite le
Parlement et, d'une certaine façon, la couverture de ses activités. C'est
justement là le hic. La réflexion politique sérieuse et l'élaboration créative
de politiques ne devraient pas être l'exception. Nous devons trouver des moyens
pour que cela devienne la norme.
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