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Ancienne journaliste, Pamela Wallin est consule générale du Canada à New
York. Elle était de passage à Ottawa pour donner la conférence « Ruth and
Dick Bell » à lUniversité Carleton. Pendant son séjour, elle a été interviewée
par Andrew Cohen de lécole de journalisme de cette université. Voici la
version abrégée de cette entrevue qui a eu lieu le 21 octobre 2004.
Avez-vous trouvé difficile sur le plan personnel de faire la transition
de journaliste à diplomate puisque ces deux carrières semblent exiger des
qualités et des instincts tout à fait différents?
Pas vraiment. La mission dun journaliste est de renseigner, de donner
aux gens de linformation et de la situer dans son contexte pour quils
puissent prendre des décisions éclairées sur le fonctionnement de la démocratie.
Le diplomate doit faire exactement la même chose : fournir des renseignements
exacts et convaincants sur son pays daccueil à son pays dorigine et vice
versa. À mon avis, réunir les bonnes personnes à ma table pour discuter
de cette relation nest pas très différent de les réunir dans un studio
de télévision pour une interview.
La seule différence qui vaut la peine dêtre mentionnée est quen tant
que diplomate, je dois souvent me mordre la langue et faire preuve de discrétion.
Les conversations privées que jai avec mes convives ont tendance à être
très franches, et plus nous sommes honnêtes les uns avec les autres, plus
nous accomplirons de choses et meilleure sera la relation entre nous. Cela
étant dit, il serait probablement contre-productif de révéler le contenu
de ces conversations au public.
Par ailleurs, on minvite souvent à participer à des émissions américaines
et jaccepte volontiers parce que je trouve que cest important de le faire.
Je sais par expérience que les paroles optimistes, les bonnes nouvelles
et les communiqués nintéressent pas les journalistes. Si lon nest pas
prêt à parler franchement avec les médias américains, il vaut mieux rester
chez soi.
Comment sy prend-on pour sensibiliser les New-Yorkais à la réalité canadienne?
Cest un défi énorme parce quau moins 192 pays sont représentés à New York
en plus des pays membres des Nations Unies. La concurrence est donc forte
pour lattention des New-Yorkais et il ne faut pas nous imaginer quils
doivent nous prêter attention parce que nous sommes un pays voisin et que
nous entretenons des relations de longue date avec les États-Unis. Les
New-Yorkais recherchent avant tout ce quil y a de meilleur, de plus intéressant
ou de plus original et, sils le trouvent, ils ladoptent sans hésiter.
Par conséquent, il faut surmonter notre image de paradis de la neige et
le faire très concrètement. Jusqu à un certain point, nous sommes responsables
de limage que nous véhiculons lorsque nous faisons la promotion de notre
pays sauvage avec ses montagnes et son sirop dérable. Un de mes collègues
a suggéré que nous devrions utiliser une photo dun policier de la Gendarmerie
royale tenant un Blackberry pour indiquer aux New-Yorkais que nous sommes
des spécialistes de la haute technologie et que nous pouvons les aider.
Il faut saisir toutes les occasions de leur dire : « Nous avons la réponse
à vos besoins. »
Il faut que nous reconnaissions aussi que nous ne sommes pas une superpuissance.
Nous ne serons jamais les plus forts sur le plan militaire. Ce que nous
avons à offrir, cest que nous sommes intelligents, intéressants et créatifs.
Par conséquent, jessaie de faire en sorte que mes invitations au consulat
du Canada soient des occasions à ne pas manquer, quil sagisse dun dîner
ou dune réunion. Par exemple, jai fait venir quelquun pour quil explique
à des investisseurs américains pourquoi ils devraient faire des placements
au Canada. Quand les gens viennent à un événement du consulat du Canada,
je veux quils sachent quils en auront pour leur argent.
À votre avis, comment les États-Unis sont-ils perçus par les Canadiens?
Je suis très préoccupée de lantiaméricanisme qui se manifeste un peu partout
au Canada. Nous vivons une période très délicate. Je ne saurais vous dire
trop clairement ou trop fort que les attaques terroristes du 11 septembre
ont changé tous nos repères. Beaucoup de gens semblent penser quil est
temps pour les Américains de tourner la page : dautres pays ont été victimes
de terrorisme ou confrontés à des problèmes sur leur territoire et ils
sont parvenus à oublier. Un tel raisonnement est dangereux à bien des points
de vue.
Il ne faut pas vivre dans lillusion quil sélève au 49e parallèle une
espèce de barrière magique qui fait en sorte que rien ne peut nous arriver.
Si nous ne comprenons pas à quel point la sécurité est importante pour
les Américains, nous ne comprendrons jamais ce qui se produira à notre
frontière si jamais il y a un autre attentat.
Je veux que les Américains comprennent que nous formons un pays souverain
ayant ses propres besoins, que notre culture est différente de la leur
et que nous ne participerons pas nécessairement à tous leurs projets, mais,
inversement, il faut que nous comprenions nous aussi leurs besoins. La
clé dune relation, peu importe sil sagit des membres dune famille ou
de deux pays, cest de comprendre ce qui motive lautre partie et, si nous
ne le comprenons pas, il nest pas vraiment possible détablir une relation
avec elle. Il faut que nous reconnaissions que les Américains ont été très
marqués par les évènements du 11 septembre et que nous en tenions compte.
Lantiaméricanisme a-t-il un effet sur votre travail?
Eh bien, jai tendance à en accepter la responsabilité. Nous ne sommes
plus à lépoque où New York nentendait jamais parler de ce qui se disait
à Ottawa. Aujourdhui, tout est instantané, alors, quand quelquun fait
une déclaration provocante injustifiée je ne nie pas que tous ont droit
à leur opinion, mais il y a des conséquences et quon me demande daller
à la télévision et dexpliquer par exemple pourquoi le président a été
traité de crétin, jy vais et jessaie dexpliquer le contexte et de dissiper
les malentendus avant que les choses aillent trop loin. Les enjeux sont
tellement élevés.
La sécurité a-t-elle maintenant supplanté le commerce comme dossier le
plus important des relations canado-américaines?
Rien nest aussi important que la relation commerciale entre nos deux pays.
Environ 87 p. 100 de toutes nos exportations sont destinées aux États-Unis
et environ 25 p. 100 des leurs prennent le chemin du Canada. Toutefois,
on ne peut pas parler de commerce sans parler de sécurité. Un camion rempli
de marchandises franchit la frontière toutes les deux secondes et demie.
Les papiers, les documents, les idées, les personnes et la propriété intellectuelle
le font tout aussi facilement.
Cependant, nous devons comprendre que les Américains sont convaincus quils
ne peuvent pas protéger leur territoire sans que nous soyons leurs partenaires
dans ce processus. Nous partageons non seulement cette frontière terrestre
non protégée de plus de 8000 kilomètres, mais aussi près de 15 000 kilomètres
de côtes. Il faut nous en occuper ensemble, sinon nous nous battons contre
des moulins à vent.
Partagez-vous lavis de certains milieux qui naiment pas que les provinces
se mêlent de relations internationales?
De mon point de vue, cela ne présente aucun problème. Nous trouvons que
cest très important que les provinces passent par notre consulat. Elles
sont des spécialistes dans leur domaine et une des questions les plus importantes
qui touchent nos deux pays est celle de lénergie. Je ne cesse de répéter
que cest le Canada, et non lIraq et lArabie Saoudite, qui fournit le
plus dénergie pétrole, gaz et électricité aux États-Unis. Les provinces
sont aux premières lignes dans ce domaine et dans bien dautres liés à
des considérations commerciales et sécuritaires.
Récemment, jai organisé une réunion de fonctionnaires de lÉtat de New York,
de lOntario et des villes de New York et de Toronto. Ils ont tellement
de dossiers en commun, allant des systèmes de transport en commun aux problèmes
que connaissent les ports. Plus nombreux sont les liens entre les personnes
de tous les ordres de gouvernement, meilleures seront les relations entre
nos deux pays.
Quel est votre plus grand défi à New York?
Gérer la relation économique, je crois. Si notre ambassadeur à Washington
est le représentant des intérêts canadiens au Capitole, le consul général
à New York est une sorte dambassadeur à Wall Street. À ce titre, je tente
daider le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et territoriaux
ainsi que le secteur privé quand ils font des affaires aux États-Unis.
Le consulat participe activement à bien des activités culturelles aussi.
Autrefois, celles-ci étaient distinctes des activités liées à la relation
commerciale, mais, à mon avis, elles forment un tout. Nous sommes toutes
des personnes multidimensionnelles et nous fonctionnons à bien des niveaux
différents. Il ne faut pas penser que le Canada est uniquement un endroit
où lon peut faire des affaires ou passer des vacances. Nous avons aussi
à notre actif le Cirque du Soleil et nombre décrivains et dartistes.
Cela fait partie de notre identité et je tiens à présenter tous les aspects
du Canada aux Américains.
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