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Henry E. McCandless
Les gouvernements minoritaires offrent aux parlementaires une meilleure
chance que les gouvernements majoritaires de demander des comptes à l’exécutif.
L’auteur du présent article fait valoir que le gouvernement ne pourra plus
compter sur sa majorité au Parlement pour éviter d’avoir à répondre clairement
de ses actes. Et il ne pourra plus soutenir que la reddition de comptes est une
affaire trop complexe pour les députés ou que les citoyens ne s’attendent à
rien de plus qu’aux pratiques conventionnelles en cours à la Chambre des
communes.
Dans leur étude de la reddition de comptes, Patricia Day et Rudolph Klein ont défini
cette notion comme « une tradition de pensée politique selon laquelle le
caractère déterminant de la démocratie ne tient pas seulement à l’élection de
ceux qui se voient déléguer le pouvoir de diriger les affaires de la société
[…], mais tient aussi à leur obligation constante d’expliquer et de justifier
leur conduite en public »1.
Il va de soi que les explications données doivent être justes et
complètes. Quand un gouvernement est minoritaire, la notion de
« gouvernement comptable » peut maintenant avoir un sens, à la
condition cependant que les parlementaires veuillent comprendre ce que la
reddition de comptes au public implique et n’implique pas et réalisent qu’il
est tout à fait possible de demander des comptes. Si les membres de
l’opposition se liguent pour exiger des explications valables de la part de
l’exécutif, celui-ci n’a pas le choix d’obtempérer, à moins que le premier
ministre ne soit disposé à déclencher d’autres élections, ce qui reviendrait à
dire : « Je désire la dissolution du Parlement et d’autres élections
parce que je ne vois pas la nécessité, pour les ministres, de satisfaire à la
norme de transparence que la population canadienne est en droit de voir
respectée. »
Devoir de demander des comptes
La reddition de comptes, en tant qu’obligation de se justifier, découle
automatiquement de la responsabilité, soit de l’obligation d’agir. La reddition
de comptes au public est l’obligation d’expliquer complètement et fidèlement au
public, avant et après le fait, comment sont exercées les responsabilités qui
ont sur lui un effet important2. Avant le fait, il s’agit
d’expliquer les intentions et le raisonnement qui les sous-tendent, ainsi que
le rendement visé dans l’exercice des responsabilités.
Après le fait, il s’agit d’expliquer les résultats tels qu’on les voit, les
enseignements qui en ont été tirés et comment ils ont été mis à profit.
Demander des comptes, c’est exiger les réponses nécessaires et les
valider. Cette action est cruciale pour deux raisons. Premièrement, elle
procure aux élus et aux citoyens une information qui les aide à prendre des
décisions judicieuses et qu’ils n’auraient pas obtenue autrement. George
Washington a bien résumé la situation il y a deux siècles : « Je suis
sûr que l’ensemble des citoyens des États-Unis sont animés de bonnes
intentions, et je crois fermement qu’ils agiront toujours bien, chaque fois
qu’ils pourront acquérir une bonne compréhension des choses […] » Demander
des comptes, ce n’est pas contrer les estocades de la politique ni fermer les
yeux sur la légitimité de desseins politiques contradictoires. C’est simplement
une discipline apolitique qui oblige les détenteurs d’importantes
responsabilités à expliquer publiquement et honnêtement leurs intentions et
leurs actes. Les demandes d’accès à l’information ne constituent pas une
solution de remplacement.
La deuxième raison qui fait que l’action de demander des comptes est
cruciale a tout autant de poids. Elle exerce une influence autorégulatrice sur
les personnes appelées légitimement à répondre de leurs actes. Tenues de rendre
compte adéquatement de leurs responsabilités au public, ces gens voudront se
montrer dignes d’éloges. Comme les explications données sur leurs intentions et
leurs résultats seront soumises à un processus d’examen et de validation
publique de la part d’élus et d’organismes spécialisés, elles paieront cher sur
le plan personnel les mensonges dévoilés au grand jour. Dans le contexte
parlementaire, comme ailleurs, le mensonge peut être défini assez justement
comme une affirmation faite dans l’intention de tromper3. En
demandant des comptes, on suscite la mise à nu des intentions qui causent des
torts ou des injustices. Une fois mises à nu, elles ont tendance à
s’autodétruire.
Étant donné que la reddition de comptes est apolitique, elle ne peut pas
être ciblée comme une mesure politique à mettre en échec. Les députés ont
toujours eu pour fonction de demander des comptes au gouvernement, mais ils
doivent reconnaître que, dans le monde d’aujourd’hui, ils doivent eux-mêmes
répondre au public du sérieux avec lequel ils exercent leur rôle d’enquête et
de contrôle et de leurs intentions derrière les interventions qui se
répercutent sur la justice sociale. De plus, une fois que les citoyens ont
compris l’importance que présentent pour eux les explications satisfaisantes
des autorités, ils ne ménagent pas les gouvernements qui ne se plient pas à une
norme raisonnable de reddition de comptes au public.
Dans l’état actuel des choses, nous avons les rapports financiers
annuels gouvernementaux qui sont exigés par la loi et dont le législateur ne se
sert pas pour prendre des décisions parmi différentes possibilités et nous avons
aussi les énoncés généraux des intentions du gouvernement par le truchement des
processus relatifs au budget des dépenses. Nous ne pouvons toutefois pas nous
attendre à ce que les énoncés d’intention, les raisonnements et les
implications soient évalués attentivement si le gouvernement possède la
majorité des sièges à l’assemblée législative et contrôle le processus
décisionnel de tous les comités d’examen.
La tâche du législateur est de demander des comptes efficacement. Un
parti d’opposition qui a un seul député peut publiquement demander des comptes
aux ministres responsables et les talonner jusqu’à ce que les médias
s’intéressent à la question et les forcent à répondre d’une façon ou d’un
autre. À ce moment-là, les organismes qui se spécialisent dans le domaine
indiquent publiquement si les explications données sont justes et
satisfaisantes, ce qui enclenche le mécanisme d’autorégulation. Il faut tout de
même poser les bonnes questions. Si le gouvernement était majoritaire, un vote
de confiance sur le refus du gouvernement de répondre clairement de ses actes
n’aboutirait évidemment à aucun résultat.
Dans la mesure où le législateur permet au gouvernement de se dérober,
les vérificateurs généraux se voient forcés de faire un travail d’enquête à sa
place. Ils évaluent le travail du gouvernement et font rapport des manquements
et des faiblesses au législateur. Cependant, comme c’est le cas pour les
demandes d’accès à l’information, la vérification directe ne vise qu’une
fraction des responsabilités gouvernementales. Et si le gouvernement n’est pas
soumis à des normes raisonnables de reddition de comptes, les bienfaits du
mécanisme d’autorégulation ne se matérialisent pas.
Les représentants élus ne peuvent pas refiler la responsabilité de la
reddition de comptes à leurs vérificateurs législatifs. Les vérificateurs
généraux facilitent la relation entre le gouvernement et le législateur dans ce
domaine, mais se tiennent en dehors de la relation. Leur tâche fondamentale
consiste à servir le législateur en validant professionnellement l’information
communiquée par le gouvernement sur l’usage qu’il fait et entend faire des
deniers publics. Mais, comme la reddition de comptes au public est
politiquement neutre, leur tâche consiste également à proposer au législateur
les normes de justification avant et après le fait que les citoyens sont en
droit de voir respectées de la part du gouvernement. Il appartient ensuite au
législateur d’intégrer aux lois des normes raisonnables de reddition de comptes
juste et intégrale destinées au gouvernement et de faire en sorte qu’elles
soient appliquées.
Malgré les changements proposés, et apportés dans certains cas, aux
règles de procédure pour donner plus de pouvoirs aux simples députés, la
reddition de comptes n’a pas progressé. Lorsque le gouvernement est
minoritaire, au lieu de laisser les députés poser des questions pour la forme
et s’interpeller d’un bout à l’autre de la Chambre des communes, on s’emploie à
désigner des députés qui pourront travailler efficacement avec ceux des autres
partis et à leur donner des moyens d’action. Sauf que la collaboration
essentielle à la bonne marche du gouvernement ne doit pas se substituer à des
explications officielles et satisfaisantes données au public ni à la tâche qui
consiste à les exiger.
Reddition de comptes au Parlement
Des normes de reddition de comptes sont nécessaires dans trois grands
domaines de l’examen parlementaire : le contrôle de gestion au sein de
l’exécutif, les projets de politiques et de règlements gouvernementaux et l’adoption
des lois. Il existe évidemment d’autres secteurs où il faut répondre de ses
actes, par exemple la gestion des deux chambres du Parlement; ils pourraient
tous être visés par une loi fédérale sur l’obligation du gouvernement de rendre
des comptes.
Reddition de comptes sur le contrôle de gestion au
gouvernement. Résumée à sa
plus simple expression, la notion de contrôle de gestion consiste à faire en
sorte que ce qui doit arriver arrive et que ce qui ne doit pas arriver ne se
concrétise pas. Au début des années 1990, une équipe du Bureau du vérificateur
général chargée d’une étude sur le contrôle de gestion dans l’administration
fédérale s’est fait dire par un député aguerri qu’on ne pourrait pas s’attendre
à ce que les députés d’arrière-ban attachent de l’importance au contrôle de
gestion tant qu’ils se sentiraient impuissants. Depuis, il s’est produit
beaucoup de choses qui devraient amener les députés à comprendre ce que
constituent des normes raisonnables en matière de contrôle de gestion aux échelons
des ministres et des sous-ministres. Au cours des dernières années, les
carences observées dans le contrôle de gestion aux paliers tant fédéral que
provincial ont été une source de honte nationale.
Au début des années 1980, l’hépatite C et le VIH/sida ont enlevé,
raccourci ou gâché la vie de dizaines de milliers de Canadiens parce que le
gouvernement fédéral n’avait pas réglementé (c’est-à-dire soumis à un contrôle
de sécurité) l’action de la Société canadienne de la Croix-Rouge, qui
distribuait du sang et des produits sanguins contaminés. Le gouvernement
fédéral avait à la fois l’obligation et le pouvoir légal d’imposer des règles
de sécurité à la Croix-Rouge. Même si, dès la fin de 1983, il était évident que
des tests pouvaient être administrés pour le dépistage de l’hépatite C dans le
sang transfusé, chacun des députés ministériels présents à la Chambre des
communes a voté en 1998 contre l’indemnisation des victimes de l’hépatite C
contaminées avant 1986, et ce, bien que le juge Horace Krever
ait recommandé leur indemnisation dans son rapport d’enquête. Lorsqu’il a voulu
créer une agence crédible en remplacement de la Croix-Rouge, le gouvernement
n’a pas prévu de normes l’obligeant à répondre au public de l’innocuité des
produits sanguins.
En 1992, 26 mineurs néo-écossais ont été tués dans la mine de charbon Westray, qualifiée de « honte totalement
inimaginable » par un expert-conseil britannique désigné aux fins de
l’enquête. Les ministres responsables ne s’étaient pas acquittés de leur
obligation légale de contrôler la sécurité en milieu de travail. Puis est
arrivée l’affaire Walkerton en Ontario.
Dans les programmes fédéraux d’aide à la création d’emplois, où
Développement des ressources humaines Canada avait dépensé un milliard de
dollars et provoqué une crise qualifiée de scandale en 1999-2000, les ministres
et sous-ministres responsables avaient négligé d’établir les mesures de
contrôle permettant de dépenser les fonds à bon escient et d’optimiser les
ressources. L’absence de reddition de comptes au public de la part des
ministres fédéraux a aussi donné lieu au scandale des commandites, qui est
devenu un des enjeux fondamentaux de la campagne électorale fédérale de 2004 à
la suite de la publication, en février 2004, du rapport de la vérificatrice générale
sur les dépenses.
Un dénominateur commun à tous ces cas est le fait que les ministres
responsables n’avaient pas informé le législateur de leurs normes de contrôle
de gestion ni des raisons pour lesquelles ils jugeaient leurs normes de
diligence adéquates. Les explications publiques qui s’imposaient auraient fait
notamment état de la mesure dans laquelle ils connaissaient leurs propres
obligations en matière de contrôle. Le public n’a pas été mis au fait des
risques (pour la vie et les fonds publics) suffisamment à temps pour agir et,
comme le législateur n’a pas obligé les ministres responsables à se justifier,
le mécanisme d’autorégulation de la reddition de comptes n’a pas fonctionné. Le
législateur a ensuite laissé les ministres apporter après coup des
« démentis plausibles » (du type « je ne savais pas »).
Les sous-ministres ont, à leur niveau, la même obligation de répondre de
leurs responsabilités en matière de contrôle de leur ministère, mais on ne leur
a pas demandé, à eux non plus, d’expliquer en quoi consistaient ces
responsabilités à leur avis et dans quelle mesure ils croyaient s’en acquitter.
Si les ministres ne savent pas quelles sont leurs responsabilités en matière de
contrôle de gestion, il revient aux sous-ministres de les en informer.
Si les sous-ministres ne le savent pas, ou s’ils ne connaissent pas
leurs propres responsabilités basées sur le bon sens, il leur appartient de
s’en informer. Si les responsabilités et la reddition de comptes en matière de
contrôle de gestion ont été négligées dans l’administration gouvernementale au
cours des dernières années, c’est en partie parce que les fonctionnaires
considèrent le contrôle comme « l’exercice du commandement », donc comme
une notion dépassée. En prêchant les « pratiques exemplaires », on ne
demande à personne de se conformer à une norme donnée.
Une réunion du Comité des comptes publics tenue il y a vingt ans
illustre bien l’action de demander des comptes. Louis Desmarais,
vice-président du Comité, avait été le dirigeant d’une importante société
canadienne. Il a demandé au nouveau sous-ministre de l’Agence canadienne de
développement international quels étaient, selon lui, ses plus gros
problèmes de gestion et ce qu’il faisait pour les régler. La question
s’applique également au ministre responsable, car elle a trait au devoir de
s’informer soi-même (pour éviter les démentis plausibles), à la capacité de
repérer les problèmes et de leur attribuer une priorité et à l’exercice de la
diligence en contrôle de gestion. La question de M. Desmarais
n’avait pas pour seule valeur son habileté. Ceux qui connaissent
l’organisation, y compris le vérificateur général, peuvent vérifier si la
réponse d’un haut placé est juste et complète.
Si les citoyens n’ont pas confiance en leurs institutions, la société ne
peut pas bien fonctionner. À la lumière des récents contrôles inadéquats au
sein de l’administration fédérale, on peut raisonnablement s’attendre à ce que
les partis d’opposition représentés au Parlement enjoignent au gouvernement de
lui préciser les normes de contrôle et de reddition de comptes que le premier
ministre juge appropriées et à ce qu’ils les évaluent. Les normes qui résultent
de ce travail devraient être intégrées dans un projet de loi sur l’obligation
du gouvernement de rendre des comptes. Le processus d’examen de la loi
tiendrait compte de l’opinion du vérificateur général sur la pertinence des
normes proposées au Parlement, et leur inclusion dans une loi permettrait au
vérificateur général de déterminer si les normes du Parlement sont observées.
Reddition de comptes sur les projets de politique. Il
est seulement juste que les décideurs dont les projets risquent d’avoir
d’importants effets sur la population expliquent publiquement leurs intentions
et leur raisonnement avant de passer aux actes.
Les citoyens peuvent alors accepter, faire modifier ou stopper le
projet. Pour les projets de politique gouvernementale, les ministres
responsables devraient bien expliquer au Parlement quels groupes seraient
avantagés et lesquels ne le seraient pas. Il serait possible de le faire au
moyen d’une déclaration type énonçant le pour et le contre aux fins d’un débat.
Les ministres
devraient rendre compte de ce qui suit :
- qui
bénéficierait du projet, comment et pourquoi, et qui en supporterait les
coûts et les risques, et pourquoi, dans l’immédiat et à longue échéance
- dans
quelle mesure le projet correspond à leur mandat, à l’objet de la loi et,
s’il y a lieu, au principe de prudence
- dans
quelle mesure ils se sont informés des responsabilités qu’ils ont à
assumer et des décisions à prendre
- les normes
prévues de réalisation et de rendement
- qui
rendrait des comptes au public, et pour quelles responsabilités, si le
projet allait de l’avant.
Après coup, il est normal que les ministres responsables expliquent au
Parlement :
- les
résultats et les incidences de leurs actions, tels qu’ils les voient, et
pourquoi ils ne correspondent pas à ce qui était prévu, si tel est le cas
- les
enseignements qu’ils en ont tirés et comment ils les ont mis à profit.
Comme mentionné plus haut, il n’est pas difficile pour le législateur de
demander des comptes à un gouvernement minoritaire pour communiquer au public
les informations nécessaires et faire agir le mécanisme d’autorégulation. Si
les députés sont tenus d’unir leurs efforts autour d’une politique acceptable,
ils peuvent certainement le faire pour l’exercice de l’obligation de rendre des
comptes, qui est politiquement neutre. Les organismes d’intérêt public qui
s’occupent d’enjeux politiques peuvent alors faire plus qu’alerter les
citoyens, ce qu’ils font habituellement, et valider publiquement les
affirmations du gouvernement faites avant et après le fait.
Étant donné que la reddition de comptes est politiquement neutre, le
vérificateur général n’exprime pas d’opinion sur le bien-fondé d’une politique.
Mais il peut valider d’importantes affirmations du gouvernement pour autant que
le lui permet l’interprétation logique de son mandat conféré par la loi.
Comme pour les responsabilités en matière de contrôle, le devoir des
ministres de se plier à une norme raisonnable pour la justification de leurs
projets de politique devrait être intégré à une loi sur l’obligation de rendre
des comptes.
Dispositions législatives sur la reddition de comptes. Les
lois existantes énoncent généralement les pouvoirs, les responsabilités et les
contraintes de certaines personnes et catégories de personnes. Tout cela a à
voir avec l’obligation d’agir. Ce qui est absent des lois, c’est l’obligation
de répondre publiquement de ses responsabilités et d’une norme. Les exigences
déjà prévues dans les lois se limitent en général aux états financiers ou à
d’autres rapports d’activités (et non de réalisations) qui sont publiés après
coup et qui ne disent rien sur les intentions et les résultats.
Une loi-cadre sur l’obligation du gouvernement de rendre des comptes
pourrait exiger que chaque projet de loi qui est présenté au Parlement et qui a
d’importants effets sur le public, peu importe s’il vise des questions de
sécurité, de politique, de justice, de gérance de l’environnement ou
d’administration, contienne une section type sur la production de rapports.
La section pourrait porter un titre aussi simple que « Reddition de
comptes au public ». Elle préciserait qui rendrait des comptes au public
pour l’exercice de responsabilités prévues expressément ou implicitement dans
le projet de loi, comment et quand. La même section type serait intégrée aux
règlements d’application.
Par exemple, les détenteurs d’importantes responsabilités prévues par la
loi devraient régulièrement produire un rapport indiquant si, à leurs yeux, ils
ont répondu à des normes de rendement raisonnables. Il faudrait pour cela
qu’ils s’informent par eux-mêmes des décisions à prendre, jusqu’à concurrence d’un
niveau raisonnable d’auto-information. Ils devraient
aussi faire connaître les normes de rendement des personnes qu’ils supervisent
et indiquer si ces normes ont été atteintes.
La loi sur la protection des dénonciateurs sera inefficace si elle
n’oblige pas les ministres et les sous-ministres responsables à déclarer
publiquement dans quelle mesure leurs mécanismes de prévention des représailles
et de protection contre elles fonctionnent vraiment, et pourquoi, et si elle
n’exige pas que ce type de déclaration soit validé par une tierce partie.
Il est raisonnable de croire que le Sénat du Canada pourrait se charger
d’évaluer la pertinence des sections sur la reddition de comptes qui
figureraient dans les projets de loi à l’étude. La reddition de comptes en tant
qu’impératif social a un bon côté : elle est politiquement neutre et ne
montre pas aux gens comment faire leur travail. À mon avis, le gouverneur
général pourrait refuser un projet de loi qui aurait nettement des incidences
considérables sur le public, mais qui ne contiendrait pas de disposition
précisant qui rendrait des comptes au public, et en fonction de quelle norme,
pour l’exercice des attributions prévues par la loi.
Résumé
Au cours de la nouvelle législature, les députés peuvent travailler main
dans la main à l’importante question de la reddition de comptes et adopter une
loi générale sur l’obligation du gouvernement de rendre des comptes, de manière
à soutenir les normes de reddition de comptes au public dont ils auront
convenu. L’obligation, pour le législateur, de rendre lui-même des comptes au
public déborde le cadre du présent article, mais il s’agit d’une question qu’il
faudra aussi examiner.
La reddition de comptes au public de la part des autorités, sous forme
de rapports vérifiés et satisfaisants, fait partie des droits fondamentaux de
la personne. Elle relève de la Constitution canadienne et de la Déclaration
universelle des droits de l’homme de l’ONU. Pour concrétiser cette notion, nos
propres représentants élus de toutes les assemblées législatives pourraient,
dans un premier temps, intégrer dans la loi l’obligation des autorités de
rendre des comptes au public et les normes de base qui s’y rattachent. Il n’y a
pas de raison pour que le Canada ne serve pas de modèle sur ce plan dans le
monde entier. En outre, le Canada pourrait mettre en évidence le rôle majeur
que l’ONU pourrait assumer dans l’établissement de normes sur la production de
rapports où les différentes nations s’expliqueraient mutuellement leurs
intentions et leur raisonnement. L’ONU pourrait aussi se charger de valider les
rapports dans la mesure du possible. De la sorte, on implanterait un mécanisme
d’autorégulation propice à un meilleur équilibre à l’échelle de la planète.
Notes
1. Patricia Day et Rudolf Klein, Accountabilities: Five
Public Services, Londres, Tavistock, 1987, p. 6
et 7.
2. Le rapport du comité indépendant d’examen du mandat du vérificateur
général du Canada publié en 1975 définissait la reddition de comptes comme
l’obligation de répondre d’une responsabilité accordée. Il s’agit donc de faire
rapport sur l’exercice de responsabilités; pour que le processus soit utile
dans le contexte parlementaire, il faut expliquer à la fois les intentions et
les résultats.
3. Sissella
Bok, Lying: Moral Choice in Public and Private
Life, Vintage Books, 1989 (Pantheon, 1978).
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