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J. Patrick Boyer
Pour la première fois en 25 ans, les Canadiens ont élu à la Chambre des
communes une assemblée où aucun parti n’a assez de sièges à lui seul pour
former la majorité. L’arrivée d’un gouvernement minoritaire donne aux députés
l’occasion de surmonter des problèmes qui ont sapé la confiance dans
l’institution politique qu’est la Chambre. L’article qui suit fait valoir que,
dans une Chambre des communes qui occupe à nouveau le centre de l’arène
politique, les députés ont besoin d’une information de qualité sur les rouages
du gouvernement. C’est de cette façon qu’ils pourront devenir de véritables
intervenants dans l’évaluation de l’efficacité des programmes et de l’efficience
des opérations.
Permettez-moi d’abord de situer le contexte général où
évoluent maintenant les députés du nouveau Parlement. Premièrement, les
citoyens comme les politiciens sont devenus très insatisfaits de la situation
actuelle. Universitaires, organismes de recherche sur les politiques
gouvernementales, fonctionnaires et journalistes ont formulé tellement de
critiques et de propositions de réforme que le lecteur du présent article
connaît sans doute déjà par cœur la litanie de récriminations soulevées contre
les systèmes politiques non responsables et dysfonctionnels. Ce déluge de
critiques a cependant produit un flux croissant de mesures en faveur d’un
renouveau démocratique, dont certaines ont été mises en œuvre à l’échelon avant
les élections et d’autres, comme la réforme électorale, figurent dans les plans
d’action de la Colombie-Britannique, de l’Ontario, du Québec, du
Nouveau-Brunswick et de l’Île-du-Prince-Édouard.
Deuxièmement, les vérifications législatives de l’« optimisation
des ressources » font de plus en plus ressortir de sérieuses carences dans
la reddition de comptes sur les activités gouvernementales et dans les
structures institutionnelles de présentation de rapports au public. Face aux
conclusions du vérificateur général et à la succession de scandales
démoralisants dans le domaine des finances publiques, un nombre croissant de
Canadiens estiment maintenant qu’une dimension essentielle du « gouvernement
responsable » s’est dangereusement fragilisée.
Troisièmement, le rapport de 2003 de la commission royale parallèle (Underground
Royal Commission) du Canada a mis en évidence, à la suite d’entrevues
approfondies menées auprès d’actuels et d’anciens parlementaires et
fonctionnaires, le profond malaise qui existe à l’égard du mode de
fonctionnement des institutions censées rendre des comptes en démocratie1.
De cette étude originale de grande envergure sur la relation entre les citoyens
et le gouvernement se dégage, à point nommé, une vision nette et objective de
la conjoncture actuelle.
Quatrièmement, le fait qu’en 2003, la Fondation canadienne pour la
vérification intégrée (CCAF-FCVI)2 ait établi de nouveaux principes
pour guider la production de rapports plus rigoureux sur la performance des
opérations gouvernementales est un signe que la présentation d’informations au
public passe progressivement à un stade supérieur3. Bien qu’il
commence seulement à se concrétiser, l’établissement de rapports complets et
compréhensibles procure aux parlementaires des renseignements qui leur permettent
d’interpréter les faits tels qu’ils se sont produits et de saisir avec plus
d’acuité les mesures à prendre pour arriver à une meilleure gestion des
affaires publiques.
Cinquièmement, deux facteurs conjugués, le niveau de
scolarité élevé de la population et la vaste portée des différents médias
canadiens, font du Canada le pays le plus propice qui soit à l’édification d’un
véritable régime démocratique autonome. Cette combinaison d’intelligences
éclairées et d’informations interprétées génère une société où les citoyens
sont souvent aussi rigoureusement informés que les hommes et les femmes qui les
représentent, d’où l’opinion selon laquelle une nouvelle théorie de la
représentation en démocratie moderne tarde à s’implanter.
D’autres facteurs se joignent évidemment aux cinq premiers, aussi variés
que la dynamique du traitement de l’information sur le plan éthique, les
rivalités partisanes entre les partis politiques concurrents, l’évolution des
attentes envers le gouvernement et les nouvelles priorités amenées par la fin
de la guerre froide, le terrorisme, les pandémies et l’épuisement des
ressources naturelles et financières.
La fin du gouvernement responsable?
Même dans ce grand contexte de la reddition de comptes, réinventer ou,
du moins, améliorer radicalement le rôle des parlementaires demeure toute une
entreprise. En effet, les hommes et les femmes qui représentent les citoyens
doivent fonctionner dans un réseau de relations institutionnelles en train de
subir une évolution historique. En cette ère de l’information, nous en sommes
peut-être bien au stade final d’un processus de 350 ans qui a vu évoluer les
assemblées législatives et les gouvernements « représentatifs » tels que nous
les connaissons. Dans le fond, il est question de la viabilité du gouvernement
démocratique autonome, à une époque où les fondements mêmes du gouvernement
responsable sont remis en cause. C’est pourquoi le rôle des parlementaires,
symbole de tous les enjeux actuels qui touchent la performance du gouvernement
démocratique dans l’État moderne, revêt autant d’importance.
Le premier ministre Paul Martin, aux prises avec les sérieuses retombées
politiques d’un scandale qui couvait depuis longtemps au sein du programme des
commandites du gouvernement du Canada, a déclaré, quelques jours après avoir
pris le pouvoir, qu’un « changement de culture » s’imposait à Ottawa. Avant
même de devenir premier ministre, il faisait valoir qu’il fallait changer les
façons de faire à Ottawa. M. Martin s’est attaqué au scandale des
commandites par différents moyens, entre autres en commandant une enquête
judiciaire et en congédiant plusieurs hauts fonctionnaires, mais il a aussi
commencé à aplanir de plus gros problèmes d’ordre institutionnel en prenant des
mesures pour améliorer le Parlement et résorber ce qu’il a appelé le
« déficit démocratique » du Canada4.
Il faut accueillir favorablement ses différentes mesures (la nomination
d’un commissaire à l’éthique doté de pouvoirs accrus, l’amélioration du rôle
des comités parlementaires, la nouvelle catégorisation des votes au Parlement
de façon à atténuer la rigueur de la discipline de parti, etc.), qui
représentent un pas dans la bonne direction, mais elles ne suffisent pas à
réaliser le « changement de culture » que le premier ministre lui-même préconise.
On ne peut pas changer la culture sans changer la structure. Le
rafistolage ne suffit pas quand les circonstances exigent de porter une
attention aiguë à l’état de la démocratie et aux institutions de la démocratie
représentative.
En dépit de tous les bienfaits que même les changements de M. Martin
peuvent procurer au régime parlementaire, il faut aller encore plus loin. Pour
éliminer complètement le déficit démocratique, les parlementaires eux-mêmes
doivent devenir plus efficaces.
La dimension politique de l’information
Afin d’améliorer le rôle des parlementaires, il ne suffit pas de changer
les modalités du vote, si les votants gardent les yeux bandés; ni d’accroître
les ressources des comités parlementaires, si le résultat est qu’on affecte plus
de gens aux mêmes tâches traditionnelles; ni de prétendre que les élus auront
le pouvoir de rendre le gouvernement plus comptable de ses actes, s’ils
continuent de voir la performance du gouvernement selon la même grille
d’analyse.
Dans le contexte nouveau d’un gouvernement minoritaire où les positions
ont de l’importance et où rien ne peut être tenu pour acquis, la véritable
« efficacité » des députés – et la hausse de leur capital politique
et de la confiance du public – se mesurera à la supervision des normes de
conduite dans la gestion des affaires publiques, au choix des stratégies que
fera le gouvernement pour atteindre ses objectifs et au taux de réalisation de
ces objectifs.
La députée Marlene Catterall a dit à la commission royale parallèle, en
se fondant sur son expérience de l’administration municipale, où le moindre
détail du budget est scruté et débattu, qu’elle trouvait « très
préoccupante l’étude superficielle des prévisions de dépenses du
gouvernement fédéral ». Alors que certains députés considèrent les
vérificateurs internes comme « l’ennemi », elle a déclaré voir la fonction
de vérification « comme le meilleur appui qu’a le gouvernement pour
déterminer si tout va bien, si les ressources sont utilisées judicieusement et
s’il obtient les résultats qu’il devrait »5.
On entend plus souvent dire maintenant, à juste titre, que le rôle du
Parlement est d’amener le gouvernement à rendre des comptes. Or, la reddition
de comptes est directement liée à la production de rapports sur la
performance. Comment peut-il en être autrement? L’efficacité du parlementaire
est directement proportionnelle à l’actualité et à la qualité des
informations dont il dispose. Encore là, comment peut-il en être autrement? Le
législateur peut seulement être « investi de pouvoirs » dans la mesure où il
obtient des renseignements valables sur les opérations gouvernementales; et,
pour les parlementaires, des renseignements « valables » sont à la fois complets
et compréhensibles.
La façon de compiler les informations sur les opérations et les
programmes gouvernementaux, les critères appliqués pour évaluer ces
informations et leur mode de présentation sont tous des facteurs qui influent
directement sur notre perception du gouvernement et sur le jugement favorable
ou défavorable que nous portons sur son fonctionnement. Le terme
« nous » englobe les citoyens, les fonctionnaires, les journalistes,
les organisations de la société civile, les universitaires, les entreprises,
les syndicats, la communauté internationale et, tout spécialement, les
parlementaires.
Dans les scandales marquants qui ont secoué le secteur privé, d’Enron à
Parmalat, la communication de faux renseignements, conjuguée à une surveillance
très limitée, a joué un rôle capital : la réticence ou l’incapacité à obtenir
des informations justes et à jour ont causé la déconfiture d’entreprises, la
chute des cours de la bourse et la fuite des petits investisseurs. L’absence
d’informations fiables dans le secteur public a provoqué la même érosion de la
confiance et de la crédibilité. Les échecs monumentaux dus aux dépassements de
coûts, que ce soit dans une centrale nucléaire (en Ontario) ou le registre
national des armes à feu, sont le résultat d’un système qui marginalise les
élus (des assemblées législatives provinciales ou de la Chambre des communes)
parce qu’ils n’ont eu que des renseignements tardifs et limités. Il semble
banal de dire que l’efficacité des parlementaires dépend de la qualité de
l’information dont ils disposent. Et pourtant, c’est là que réside l’essence du
problème, qui fait que des gens qualifient le Parlement de
« dysfonctionnel ».
Les mécanismes institutionnels qui empêchaient auparavant les erreurs de
se perpétuer, par exemple l’examen parlementaire annuel des prévisions de
dépenses et le contrôle central exercé par le contrôleur général sur les
dépenses avant qu’elles soient engagées, ont été abolis ou réduits au
rang de symbole6. La communication d’informations valables en temps
opportun sur le fonctionnement des institutions gouvernementales est mise en
échec autant à dessein que par inadvertance. Le gros de ce que les députés
apprennent leur parvient après coup. En fait, plus de temps est passé à limiter
les dégâts qu’à corriger le tir. Nos efforts pour avoir accès à des systèmes
« d’alerte rapide » dans les secteurs de la défense, de la sécurité
nationale et de la santé publique doivent aussi aboutir dans le secteur des
opérations gouvernementales.
Comme la nature a horreur du vide, au moins une partie des lacunes
engendrées par le manque d’informations sur la performance a été comblée par
des évaluations indépendantes, comme le classement annuel des universités
canadiennes par le magazine Maclean’s ou la surveillance des principaux
aspects du système de santé canadien par le Conseil canadien de la santé. La
communication d’informations sur la gestion se fait plus fréquente, mais
le manque d’informations à jour sur la performance des organismes publics
demeure, même si ce type d’évaluation approfondie est essentiel pour donner aux
parlementaires la possibilité d’être aux commandes. Le gouvernement du Canada
lui-même présente chaque année au Parlement des rapports complexes ou sommaires
sur la progression à grande échelle du Canada vers les « objectifs
stratégiques » du pays7. Cette information est vraiment utile
pour situer le contexte et donner une idée générale des progrès réalisés vers
les objectifs nationaux, mais les députés, pour voir à travers le vernis, ont
besoin d’évaluations plus détaillées.
D’aucuns déplorent que la façon de produire certaines informations sur
la performance, par exemple les rapports au Parlement publiés par le
vérificateur général après coup, ne fait qu’accroître le cynisme de la
population, l’apathie de l’électorat, les évasions fiscales et l’état d’esprit
propice à la bonne marche de l’économie clandestine canadienne de plusieurs
milliards de dollars. En revanche, d’autres pensent exactement le
contraire : selon eux, ce n’est pas le choc ressenti par le public face
aux scandales intermittents, mais plutôt l’impression que le gaspillage, la
confusion et la mauvaise gestion sont la norme, qui a brisé le lien de
confiance entre les citoyens et le gouvernement. Si le remède aux maux de la
démocratie est le renforcement de celle-ci, alors la solution aux
« mauvaises nouvelles » que véhiculent les rapports est l’amélioration
radicale de la qualité de l’information et la production continuelle de
rapports d’évaluation exhaustifs. L’efficacité des parlementaires, la viabilité
des mesures de réforme parlementaire et la nature du traitement journalistique
des opérations gouvernementales en dépendent toutes.
À la fin de 1998, le Comité permanent de la procédure et des affaires de
la Chambre a, fait agréablement nouveau, cherché à recentrer le Parlement sur
son rôle essentiel. Dans un rapport qui est un classique inconnu, L’étude des
crédits : Boucler la boucle du contrôle, le Comité s’est penché sur ce
que Mme Catterall voyait comme la cause d’« une insatisfaction continuelle
de la part des députés », la nécessité d’un examen parlementaire du
processus d’établissement des prévisions de dépenses de manière à ce que « les
députés occupent la place qui leur revient »8. Le message et
les recommandations de Boucler la boucle du contrôle étaient que les députés
devaient s’occuper des dépenses avant qu’elles ne soient engagées,
plutôt qu’après, comme c’était le cas pour le Comité des comptes publics
et le vérificateur général. L’objet premier du rapport était de
« sensibiliser les députés à l’éventail d’outils à leur disposition pour
infléchir non seulement les budgets et les plans de dépenses immédiats, mais
aussi les priorités à long terme du gouvernement ». Mme Catterall a décrit
certains de ces outils, tels que les rapports sur les plans et les priorités
produits au printemps (« qui montrent non seulement l’activité en cours du
ministère, mais aussi les défis qu’il aura à relever dans les trois prochaines
années ») et les rapports sur le rendement publiés à l’automne (« pour que
les ministères et les ministres rendent compte des résultats qu’ils s’étaient
engagés à obtenir »), ajoutant que beaucoup de députés ne connaissaient
pas ces rapports. « Je pense que personne n’est satisfait du travail que
les comités font actuellement avec les prévisions de dépenses. Il faut de
meilleures informations, des informations plus concises et plus
complètes. »
Nous avons besoin d’un meilleur processus de communication ainsi que
d’informations sur la performance financière qui soient plus compréhensibles. La
plupart des rapports financiers sur les opérations gouvernementales au Canada
défient l’analyse, et les prévisions de dépenses sont établies d’une manière
que « même les comptables ne comprennent pas », selon l’honorable
Paul Dick. Procureur adjoint de la Couronne avant de siéger pendant 21 ans
comme député fédéral, M. Dick a dit à la commission d’enquête parallèle :
« Franchement, le système de comptabilité du gouvernement serait jugé
illégal, je pense, dans une entreprise du secteur privé : il ne serait pas
permis de faire des déclarations de la façon dont le gouvernement fait sa
comptabilité9. »
Tous les propos qui s’échangent au gouvernement sur la
« transparence » ne sont que des discours creux : les fenêtres
sont tellement teintées qu’elles donnent seulement une vue embrouillée d’une
vague représentation d’une pratique incertaine.
Les Canadiens, y compris les fonctionnaires et les élus tout comme les
citoyens et les journalistes, trouvent la façon de gouverner actuelle
déroutante et incompréhensible, et c’est exactement ce qu’elle est.
« Nos députés ne savent pas ce qui se passe », a indiqué
l’ancien député et ministre Paul Hellyer à la commission royale
parallèle. « Ils n’ont pas assez d’informations, ils ne passent pas
assez de temps à étudier la situation, alors comment peuvent-ils critiquer à
bon escient? » La plupart des députés savent qu’ils sont inondés
d’informations, qu’ils en ont plus qu’ils pourront jamais en assimiler dans le
temps dont ils disposent, mais l’argument de M. Hellyer porte sur la qualité
de ces informations. Il y a 40 ans, lorsqu’il était porte-parole libéral en
matière de défense, les informations que les députés possédaient à Ottawa sur
les questions de défense étaient d’un niveau assez faible, comme c’est encore
généralement le cas aujourd’hui. « J’allais chercher presque toute mon
information dans les procès-verbaux des comités du Sénat et de la Chambre de
Washington », a-t-il expliqué. « C’était étonnant de voir
l’information qu’ils avaient sur le Canada, beaucoup plus que ce que nos
propres gens pouvaient obtenir. Je me levais à la Chambre des communes et je
posais des questions d’après les renseignements que le Congrès avaient obtenus
des forces armées américaines10. » Comme l’a fait remarquer
M. Hellyer : « Comment peut-on avoir un débat éclairé sans des
députés informés? »
La dimension politique de l’information exige, pour l’analyse, un
nouveau repère solide qui viendrait modifier le cadre de référence. Pour porter
les informations sur la performance gouvernementale à un niveau aussi élevé qui
permette une analyse véritable, il faut faire entrer en ligne de compte les
nouveaux principes régissant les informations sur la performance, établis par
la CCAF-FCVI au terme de vastes consultations. Ces principes, au nombre de
neuf, ont pour but d’améliorer la production d’informations sur la
performance :
- se
concentrer sur les principaux aspects de la performance
- s’intéresser
à la fois à l’avenir et au passé
- expliquer les risques clés
- expliquer
les principaux facteurs qui touchent les capacités
- expliquer
d’autres facteurs essentiels à la performance
- intégrer
l’information financière et l’information non financière
- présenter une information comparative
- présenter
une information crédible, interprétée fidèlement
- préciser
les fondements des jugements portés.
Un rapport qui tient compte de ces neuf principes devrait – toute une
nouveauté – être à la fois complet et compréhensible. C’est le genre de rapport
qu’un député a toutes les chances de dévorer dans ses efforts pour accroître
son pouvoir d’action.
Au Canada, les gouvernements commencent à adopter les principes de la
CCAF-FCVI pour la production de rapports, processus qui s’accélérera à mesure
que les gens apprendront à connaître ces principes et exigeront les
informations de qualité sur les opérations et les programmes gouvernementaux
qui découlent de leur application.
De concert avec des principes sur la présentation d’informations, la
CCAF-FCVI a défini les cinq « clés » de la meilleure production
d’informations sur la performance, et donc d’une meilleure performance, de la
part du gouvernement. La première consiste à créer et à entretenir des
relations de confiance. La deuxième, très importante pour la motivation, est
d’harmoniser les mesures incitatives et les résultats et de faire rapport des
résultats. Les trois autres clés ont trait au mode de fonctionnement :
développer la capacité de produire et d’utiliser des informations sur la
performance; établir des attentes raisonnables quant à la production
d’informations sur la performance; favoriser l’apprentissage et le
perfectionnement continus11.
Il est clair que ce genre d’informations diffère des révélations
sensationnelles et scandaleuses qui sont venues à être associées, dans la
dimension politique de l’information, à beaucoup des rapports du vérificateur
général. Ces nouveaux principes annoncés l’année dernière pour la production
d’informations sur la performance par les ministères, les sociétés d’État et
les autres organismes gouvernementaux sont déjà bien accueillis à l’étranger, y
compris aux États-Unis. Quiconque fera affaire avec le gouvernement du Canada
tirera profit de normes et de critères appliqués uniformément dans l’ensemble
du secteur public, de la même façon que les principes comptables généralement
reconnus en sont venus à normaliser la production d’informations de qualité
dans le secteur privé.
Au Canada, les principes seront mis en application plus rapidement si
les parlementaires exigent une meilleure information. Les pressions des
citoyens seront utiles. Le sénateur George Baker a dit à la commission
royale parallèle, quand il était encore député, que la réforme du Parlement
canadien ne sera pas le fait des politiciens ou des partis politiques. « Pour
changer les façons de procéder, il faut que les recommandations viennent de
l’extérieur. Formez un comité qui rassemble des universitaires, des
politologues, des journalistes et des membres du public et demandez-lui de
recommander des changements, comme on le fait en Grande-Bretagne et en
Australie. Si vous confiez cela à des politiciens, il n’y aura pas de
changements12. »
Les citoyens ont assurément intérêt à ce que ces changements
s’effectuent. Plus nos élus sont efficaces, plus les assises politiques sont
saines. Comme Guy Breton, alors vérificateur général du Québec, l’a indiqué à
la commission royale parallèle, « notre importante participation
aux affaires de l’État, sous forme d’impôts, nous donne droit à la satisfaction
intellectuelle de savoir que notre argent est bien dépensé et qu’il n’est pas
gaspillé »13.
Cette vérité est au cœur d’un rapport d’actualité publié en septembre
2003 sur les améliorations concrètes à apporter au processus budgétaire. Rédigé
par des parlementaires pour des parlementaires, Pour un examen valable
met en lumière les moyens de mieux utiliser les nouveaux documents
d’information qui viennent du gouvernement14.
La modernisation des relations et des structures institutionnelles est
importante parce qu’elle agit sur les raisons du comportement humain, mais il
est tout aussi important de changer notre façon de voir le gouvernement (la
question de la « transparence »). Les parlementaires et les citoyens
qui les élisent ont besoin non pas de nouveaux yeux, mais bien d’une perception
nouvelle des réalités qui caractérisent les opérations gouvernementales
canadiennes. Ce changement vient généralement de pair avec de meilleures
informations. La méthode de collecte des informations, la nature des
informations et leur mode de communication peuvent avoir pour effet de changer
la culture. Tant que ce ne sera pas fait, le déficit démocratique que l’on
déplore au Canada se maintiendra.
Notes
1. La commission royale parallèle (Underground Royal Commission), groupe
de citoyens qui enquête sur les institutions dirigeantes du Canada et leur apport
à la population, a publié en 2003 son rapport en 16 livres et 14 heures de
documentaires télévisés diffusés sur ichannel. Pour plus de renseignements sur
les livres et les vidéos des documentaires, rendez-vous à l’adresse
www.theurc.com.
2. La CCAF-FCVI Inc. est une fondation nationale de recherche sans but
lucratif constituée en 1980. Son nom initial, Canadian Comprehensive Auditing
Foundation—La Fondation canadienne pour la vérification intégrée, a été
remplacé par CCAF-FCVI lorsque la Fondation a constaté qu’elle devait jouer un
rôle qui ne se limitait pas à la vérification mais visait aussi la gouvernance
et la gestion, par exemple une solide reddition de comptes, une saine gestion
et la bonne performance des organisations.
3. Voir Information sur la performance— Principes visant le passage à
un nouveau stade, à l’adresse www.ccaf-fcvi.com.
4. Le 21 octobre 2002, Paul Martin a prononcé une allocution à la
faculté de droit Osgoode Hall de l’Université York, à Toronto, où il a parlé du
« déficit démocratique » (terme emprunté à la Communauté européenne)
et de six propositions qu’il avançait pour remédier à ce déficit. Concises,
quoique relativement modestes, ces propositions sont les suivantes : 1) la
classification des votes en trois catégories pour les députés; 2) le renvoi
après la première lecture; 3) un nouveau système pour les projets de loi
émanant des députés; 4) des comités parlementaires plus indépendants; 5)
l’examen, par des comités des Communes, des nominations de hauts responsables au
gouvernement; 6) un commissaire à l’éthique indépendant. Après avoir remporté
le congrès à la direction du Parti libéral du Canada au congrès tenu à Toronto
en novembre 2003, M. Martin avait souligné qu’il fallait changer la façon de
faire les choses à Ottawa. Après être devenu premier ministre en janvier 2004,
il a indiqué, tant à Ottawa qu’à Québec, la nécessité d’un « changement de
culture » à Ottawa, tout particulièrement à la lumière des attitudes et
des pratiques qui ont donné lieu au scandale des commandites.
5. Criss Hajek, dir., A
Call to Account, Toronto, Breakout Educational Network/Dundurn Press, 2003,
p. 124.
6. Voir, par exemple, le
chapitre 2, « The Case of the Missing Tripwires », dans J. Patrick
Boyer, « Just Trust Us »: The Erosion of Accountability in Canada,
Toronto, Breakout Educational Network/Dundurn Press, 2003, p. 35-39.
7. Le rendement du Canada, publié chaque année par le président
du Conseil du Trésor et accessible sous différentes formes. Voir le site Web du
Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, à l’adresse tbs-sct.gc.ca.
8. Criss Hajek, dir., op.
cit., p. 124.
9. Anthony Hall, dir., Guardians
on Trial, Toronto, Breakout Educational Network/ Dundurn Press, 2003, p.
199.
10. John Wood, dir., Talking
Heads Talking Arms: Playing the Ostrich, Toronto, Breakout Educational
Network/Dundurn Press, 2003, p. 178.
11. Ibid. Aussi, pour plus de détails concernant les
progrès de la publication de rapports sur la performance dans le secteur public
sous la forme d’initiatives nationales en cours, voir : Ouvrir le dialogue
entre l’État et les citoyens : Un programme de recherche et de
développement des capacités de la CCAF-FCVI – Information destinée aux parties
intéressées (Ottawa, CCAF-FCVI, février 2004).
12. Criss Hajek, dir., op.
cit., p. 84.
13. Tim Chorney, avec Jay
Innes, On the Money Trail: Investigating How Government Decisions are Made,
Toronto, Breakout Educational Network/Dundurn Press, 2003, p. 171-172.
14. Pour un examen valable (septembre 2003), rapport du Comité
permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires, Reg
Alcock, député, président; rapport du Sous-comité du processus budgétaire, Tony
Valeri, député, et Gerry Ritz, député, coprésidents.
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