Gary Levy
Just Trust Us : The
Erosion of Accountability in Canada, par J. Patrick Boyer, Breakout Educational Network, en
collaboration avec Dundurn Press, Toronto, 2003.
Les anciens députés
constituent une ressource exceptionnelle pour l’étude du régime parlementaire.
Ils ont à nous offrir une expérience pratique, plutôt que théorique.
Contrairement aux fonctionnaires de carrière, ils portent les marques des
batailles électorales et comprennent le rôle de la politique partisane. Même
ceux qui ont goûté à la défaite demeurent moins cyniques que le journaliste ou
le commentateur télé typique.
Patrick Boyer est cet ancien
député progressiste-conservateur qui a siégé à la Chambre des communes de 1984
à 1992, période au cours de laquelle il a été président de comité et il a
exercé les fonctions de secrétaire parlementaire. Avant son élection à la
Chambre, il avait beaucoup écrit, surtout sur la loi électorale. Depuis son
retour à la vie privée, il a poursuivi sa réflexion sur la politique
gouvernementale, en tant que consultant, professeur et auteur.
Le présent ouvrage fait suite
au travail qu’il a accompli pour le compte de la « commission royale
parallèle », groupe autoproclamé de citoyens inquiets à qui on doit 16
livres et plusieurs heures de productions documentaires pour la télévision sur
ce qui leur apparaît comme les principaux enjeux au Canada en ce début de
siècle.
Si le gouvernement responsable
constitue l’essence même du régime parlementaire, la reddition de comptes
représente le ciment qui tient en place tout le système. Au dire de l’auteur,
la « reddition de comptes est une quête éthique et un impératif social
avant même d’être une doctrine politique » (p. 151). Ce livre a pour but
d’amorcer une réflexion et d’amener les gens à repenser « à la façon dont
nos vénérables institutions et pratiques mises en place pour faire respecter
l’obligation de rendre compte ont d’abord perdu leur raison d’être, avant de
sombrer dans l’irresponsabilité » (p. 25).
On connaît bien les symptômes
du malaise qui se manifeste actuellement. Notons parmi eux la baisse de la
participation électorale, l’essor de l’économie clandestine, le sentiment
d’impuissance au sein de la population canadienne et, bien sûr, le
désenchantement de nombreux députés, qui s’aperçoivent qu’ils ne sont rien de
plus que des machines à voter pour le parti.
« J’ai trouvé qu’il
allait de soi que tout un groupe de citoyens envoie à Ottawa, pour les
représenter, quelqu’un qui éprouve les mêmes sentiments d’impuissance et
d’inefficacité qu’eux. Peut-être est-ce vraiment ce qu’on entend par démocratie
représentative! », d’indiquer M. Boyer (p.29).
Ce dernier ne se contente pas
de la litanie habituelle de plaintes et il évoque des facteurs institutionnels
et culturels pour expliquer la réticence de plus en plus vive au sein de la
population à donner son accord au gouvernement et l’abdication, par le
Parlement, du rôle important qui lui est dévolu de demander des comptes à ceux
qui détiennent les clés du pouvoir.
Le premier problème d’ordre
institutionnel auquel on se heurte est la façon dont les exigences de la
société moderne ont bouleversé la répartition traditionnelle des pouvoirs,
selon la Constitution. Étant donné qu’aucun gouvernement n’assume seul
l’entière responsabilité des soins de santé, de l’environnement, de
l’agriculture, de l’éducation, de l’infrastructure et d’autres secteurs, et vu
le nombre de mécanismes intergouvernementaux qui existent à l’heure actuelle,
il est devenu de plus en plus difficile d’identifier des responsables qui
pourraient rendre des comptes, et on ne doit pas s’étonner que beaucoup aient renoncé
à essayer de trouver justement des responsables.
Un autre problème
institutionnel, beaucoup moins grand mais quand même important, est le
changement apporté en 1969 aux procédures de la Chambre des communes, qui
faisait en sorte que le Parlement n’était plus tenu d’approuver les prévisions
de dépenses du gouvernement, celles-ci étant réputées adoptées en juin, même à
défaut d’un examen préalable par le Parlement. Cela apparaissait comme une
bonne idée au départ, puisqu’on avait ajouté d’autres mécanismes pour pallier
l’absence d’un examen attentif au Parlement. Mais même les plus ardents
défenseurs à l’origine de ce changement semblent maintenant généralement
d’accord pour dire que ce dernier aurait tourné en véritable farce la fonction
d’approbation parlementaire. On peut comprendre le gouvernement de ne pas
vouloir que le Parlement bloque les dépenses salariales, comme ce fut le cas
dans les années 1960, et les députés de ne pas vouloir passer l’été à Ottawa
pour débattre des prévisions de dépenses. Mais « personne ne semble avoir
pensé à changer l’exercice financier du gouvernement, de telle sorte que le
Parlement puisse débattre à loisir des dépenses pendant les longs mois d’hiver
plutôt que pendant les quelques mois de chaleur dont nous pouvons jouir dans
l’année » (p. 64). L’économie keynésienne, qui justifie un excédent
de dépenses en période de récession, figure au nombre des facteurs non
institutionnels responsables du dépérissement observé au chapitre de la
reddition de comptes. En l’absence de la discipline imposée par l’idée que le
gouvernement, comme tout citoyen, doit vivre selon ses moyens, il n’y a guère
de raison de se soucier d’avoir des budgets équilibrés, et le besoin de
reddition de comptes s’en trouve nettement atténué.
Le recours aux
« mécanismes de régie déléguée » pour constituer des organismes
exerçant le pouvoir discrétionnaire de redistribuer les fonds publics est
également préjudiciable au concept de reddition de comptes. Les gouvernements
sont passés maîtres dans l’art de la comptabilité créative, minant ainsi le
sentiment de confiance à la base de l’obligation de rendre compte. En
effet, les comptes publics et les prévisions de dépenses, que pouvait
facilement comprendre dans les années 40 et 50 toute personne capable de
lire un budget familial, sont souvent aujourd’hui indéchiffrables même pour des
comptables agréés chevronnés (p. 65).
M. Boyer nous présente dans
son livre une analyse réfléchie et troublante de la situation dans laquelle se
trouve actuellement le gouvernement canadien. Il serait facile d’y voir une
attaque voilée des conservateurs à l’endroit du gouvernement libéral de
Jean Chrétien, mais ce ne serait pas juste. L’auteur s’en prend évidemment à de
nombreuses politiques du présent gouvernement, mais ses critiques portent
sur les administrations tant conservatrices que libérales qui se sont succédé
au cours des 50 dernières années.
Il est un peu frustrant de
constater qu’il évite d’aborder les conséquences logiques de son analyse.
Ainsi, après avoir démontré à quel point les chevauchements
intergouvernementaux nuisent à la reddition de comptes, ne conviendrait-il pas
de remettre en question le fédéralisme? Combien de temps encore devra-t-on
garder foi en une constitution datant du XIXe siècle et des institutions
conçues à une époque bien différente?
M. Boyer réclame plus de
pouvoirs pour les provinces, ce qui constituerait certainement une option à
envisager. Mais si on cherche vraiment à accentuer la reddition de comptes, une
autre solution serait d’instaurer un seul ordre de gouvernement. Voilà qui
réglerait assurément le problème de la confusion au chapitre des
responsabilités que l’auteur a exposé de façon si éloquente. On pourrait aussi
songer à adopter un système simplifié, composé uniquement d’un gouvernement
national et d’administrations municipales, ou reposant sur des arrangements
confédéraux comme le proposent de temps en temps les gouvernements du Québec.
M. Boyer n’insiste pas
suffisamment sur la mondialisation comme raison possible de la diminution de la
reddition de comptes. S’il y a fléchissement de la participation électorale, si
les jeunes se désintéressent de la politique, si les fraudes fiscales sont à la
hausse, si l’image de nos politiciens a atteint un creux historique, c’est
peut-être que les gens ont l’impression que les décisions qui touchent leurs
vies ne sont plus du ressort des gouvernements ou des parlementaires qu’ils
élisent.
Il faudra étudier la question
de l’interdépendance et de l’intégration continentales si on veut trouver des
explications à la dégradation de la reddition de comptes. M. Boyer s’attaque à
ce qu’il appelle la « fausse interdépendance », en donnant pour
exemples les subventions accordées à des industries inefficientes et les
indemnités illimitées offertes aux pêcheurs. Il présente des arguments
convaincants pour dénoncer le préjudice causé par ces mesures au concept de
reddition de comptes. Cependant, rien n’indique qu’il veuille reconsidérer
notre engagement à l’égard du libre-échange et de l’intégration qui, comme le
fédéralisme, a été élevé au rang de dogme.
Si on veut persister dans la
voie de l’intégration économique à l’échelle continentale, on aura certainement
besoin d’institutions politiques où l’on observe un certain degré de reddition
de comptes. Autrement, on devrait envisager de promouvoir l’autonomie
plutôt que l’intégration dans le cadre de nos politiques gouvernementales, en
gardant à l’esprit que l’autonomie totale, tout comme l’intégration totale,
n’est ni possible ni souhaitable.
La réflexion de M. Boyer sur
la politique gouvernementale ne se termine pas avec ce livre, et nous espérons
que certaines questions plus vastes qui en découlent seront examinées dans des
ouvrages subséquents.
Gary Levy
Directeur
Revue parlementaire canadienne
Autres livres reçus
La Procédure parlementaire,
2e édition,
sous la direction de François Côté, Québec, Assemblée nationale du Québec,
2003, 715 pages.
Protége la démocratie
canadienne : le Sénat en vérité, par le sénateur Serge Joyal, Centre canadien de gestion,
McGill-Queen’s University Press, Montréal et Kingston, 2003, 391p.
The Canadian Senate in
Bicameral Perspective,
David E. Smith, University of Toronto Press, Toronto, Buffalo, London, 2003,
263p.
New Trends in Canadian
Federalism, Second Edition,
par François Rocher et Miriam Smith, Broadview Press, Toronto, 2003, 399p.
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