PDF
Compte tenu du taux de roulement élevé causé par les élections, très peu de législateurs qui étaient en
fonction lorsque la Revue parlementaire canadienne est née en 1978 le sont
encore. Pour marquer le 20e anniversaire
de la Revue, nous avons interviewé quatre anciens. Élu pour la première fois en
1975, Sean Conway est le député libéral de Renfrew North à l’Assemblée
législative de l’Ontario. Devenu député en 1968, le néo-démocrate Lorne Nystrom
représente la circonscription de Qu’Appelle aux Communes. Député péquiste
d’Arthabaska à l’Assemblée nationale du Québec, Jacques Baril a été élu pour la
première fois en 1976. John Reynolds, du Parti réformiste, est le député fédéral
de West Vancouver—Sunshine Coast. D’abord élu à la Chambre des communes en 1972
comme député progressiste-conservateur, il a ensuite représenté la
circonscription de West Vancouver—Howe Sound à l’Assemblée législative de la
Colombie-Britannique. Les entrevues ont été réalisées en février et mars 1998
par Gary Levy, en collaboration avec Christian Comeau dans le cas de
Jacques Baril.
Pourquoi avez-vous décidé
de faire de la politique et quelles ont été vos premières impressions du
Parlement?
Sean Conway : J’ai grandi dans un
milieu où la politique active faisait partie de la tradition familiale. Mon
grand-père, Thomas Patrick Murray, a été député de South Renfrew à l’Assemblée
législative de l’Ontario de 1929 à 1945. Je me suis beaucoup amusé à parcourir
la circonscription avec lui. J’ai également travaillé à la campagne de notre
député fédéral, Len Hopkins. En 1975, alors que je terminais mes études à
l’Université Queen’s, un ami de la famille m’a suggéré de briguer l’investiture
libérale. Le député sortant, un conservateur, avait pris sa retraite et le
gouvernement de William Davis était en difficulté. La réunion d’investiture
s’est tenue en mai; jamais je n’aurais été candidat si elle avait eu lieu deux
mois plus tôt, en plein milieu des examens de fin d’année. Mais le moment était
propice, et quelques mois plus tard, je me suis retrouvé député provincial à
Toronto. À 24 ans, on se pose moins de questions qu’on ne le ferait dix ans plus
tard.
J’étais sans doute mieux
préparé que la plupart des gens de mon âge pour avoir entendu bien des histoires
de mon grand-père. À 95 ans, au moment de mon élection, il se plaisait encore à
raconter des histoires au sujet de Mitchell Hepburn, George Drew,
Howard Fergusson et d’autres personnalités bien connues de l’Assemblée
législative. Mes premières impressions m’ont remis tout à fait les pieds sur
terre. Il y avait, au sein de chaque parti, quelques députés talentueux et de
grande expérience. Bob Nixon était notre chef, et Robert Welch et Darcy McKeough
étaient des ministres très impressionnants. Le NPD comptait dans ses rangs
Donald C. MacDonald et James Renwick. L’un de mes premiers souvenirs est d’avoir
entendu un discours de Stephen Lewis, du NPD. C’était un excellent orateur, et
je me suis rendu compte en l’écoutant que j’avais encore bien du chemin à faire
avant de pouvoir me comparer à l’un ou l’autre de ces poids lourds.
Jacques Baril : Je suis entré en
politique pour deux raisons. D’abord pour défendre la classe agricole parce que,
en tant que producteur laitier, je militais au sein de l’Union des producteurs
agricoles. Au début des années 1970, il y avait des problèmes énormes en
agriculture. Les gens creusaient des trous pour enterrer leurs veaux, y jeter
des œufs et du lait, et ainsi de suite. La deuxième raison est très simple. Je
suis un indépendantiste convaincu et je voulais réaliser la souveraineté du
Québec. Je n’avais aucune idée de la façon dont l’Assemblée fonctionnait ou
pourrait fonctionner. J’ai appris sur le tas.
Lorne Nystrom : À la fin des années 1960,
j’étais président des jeunes néo-démocrates. La politique m’avait toujours
attiré, et je projetais de me présenter aux élections un jour. Lors de
l’élection fédérale de 1968, j’avais 21 ans et le siège de Yorkton-Melville
était considéré comme un fief conservateur. Trois autres personnes m’ont
contesté l’investiture néo-démocrate lors d’une réunion qui a attiré une foule
de gens, surtout parce que le conférencier invité était Laurier Lapierre.
Candidat néo-démocrate dans une circonscription de Montréal, celui-ci venait
d’être limogé par la CBC comme animateur de l’émission This Hour has Seven
Days. Je l’ai remporté au troisième tour de scrutin. L’élection, dominée par
la « Trudeaumanie », a porté au pouvoir un gouvernement libéral majoritaire. Le
partage du vote en trois dans ma circonscription m’a cependant permis de
l’emporter avec 38 p. 100 des voix.
Je n’avais pas beaucoup
d’idées préconçues. Je n’avais été à Ottawa qu’une fois, en 1967; en traversant
le Canada en auto-stop pour me rendre à Expo 67, je m’y suis arrêté le temps de
prendre une photo devant la tour de la Paix. Le Parlement m’a d’abord fait
l’impression d’une énorme masse aussi lourde que lente. Les idées à la mode chez
les gens de ma génération ne suscitaient guère d’intérêt ou de débats. C’était,
à mes yeux, un milieu très conservateur. Nombre de mes collègues néo-démocrates
me paraissaient même plus conservateurs et traditionalistes que je ne l’aurais
imaginé.
John Reynolds : Sous Pierre Trudeau, les
Libéraux ont été élus avec une assez forte majorité en 1968. Leur popularité
auprès des petits entrepreneurs n’a cependant guère duré, surtout dans l’Ouest.
Lors d’une fête de Noël, en 1971, je discutais politique avec le député libéral
de Burnaby—Richmond, Tom Goode. Nous étions plusieurs à nous inquiéter de
l’orientation que prenait le gouvernement. De là à nous demander ce que nous
pouvions y faire, il n’y avait qu’un pas. Déjà membre du Parti
progessiste-conservateur, j’ai décidé de voir ce que je pourrais faire pour
gonfler nos rangs en vue de la prochaine élection.
À mesure que la mise en
candidature approchait, mon nom surgissait de plus en plus souvent comme
candidat éventuel. J’avais 29 ans, et je ne m’attendais guère à obtenir
l’investiture du parti et encore moins à remporter l’élection. J’ai cependant
décidé de me mettre sur les rangs croyant que ce serait, à tout le moins, une
bonne expérience et une façon de me familiariser avec le fonctionnement réel du
processus démocratique. Une fois les bulletins de vote dépouillés à l’élection
de 1972, la victoire m’était acquise par la faible marge de 1 500 voix. Comme il
arrive souvent en Colombie-Britannique, les voix se sont partagées en trois et
j’ai réussi à me faufiler entre le libéral et le néo-démocrate. Deux ans plus
tard, j’étais réélu avec la plus forte marge de toute la Colombie-Britannique.
Constatez-vous de grands
changements en Chambre par rapport à vos débuts? Lors de la période des
questions, par exemple?
John Reynolds : Le Président semblait
avoir plus d’autorité à l’époque, au moins pour ce qui est du choix des
intervenants durant la période des questions. Chaque parti lui communiquait la
liste des trois premiers députés qu’il privilégiait, mais le Président pouvait
ensuite donner la parole à qui il voulait.
De nos jours, le scénario
est davantage dicté par les partis. L’idée de limiter les questions et réponses
à 35 secondes, ce qui permet à plus de députés d’intervenir, me plaît cependant.
Le président me semblait entouré de plus de respect au début des années 1970,
peut-être parce que les séances n’étaient pas télévisées à l’époque. Quelle
qu’en soit la raison, lorsque le Président se levait pour rappeler la Chambre à
l’ordre, le silence se faisait en quelques secondes.
Les médias ont beaucoup
plus d’importance qu’autrefois. Il y avait moins de points de presse il y a
30 ans. De nos jours, tous les partis ont engagé des spécialistes des médias qui
exercent une très grande influence sur tout ce qui se passe à Ottawa. Une des
seules choses qui n’a pas changé, c’est la difficulté de porter les problèmes de
l’Ouest canadien à l’ordre du jour. Dans les années 1970, nous avions une
réunion quotidienne sur la période des questions. Je me souviens de ne pas avoir
réussi à convaincre mes collègues de la nécessité de poser des questions sur la
grève des manutentionnaires de grain dans l’Ouest canadien. Nous n’avons réussi
à soulever le sujet que lorsque le Globe and Mail en a parlé en
manchette. La présence du Parti réformiste, dont les racines se trouvent à
l’Ouest, a quelque peu modifié la situation. Mais il faut continuer de se battre
avec certains de nos conseillers politiques, qui se soucient davantage des
problèmes du Canada central.
Lorne Nystrom : La période des questions
est certainement plus rapide et plus vive aujourd’hui. Autrefois, il n’y avait
pas de limite de temps et les rappels au Règlement ou les questions de privilège
étaient permis pendant la période des questions. Ce n’est plus le cas.
La présence de la
télévision à la Chambre est sans doute ce qui a causé le changement le plus
profond. La télédiffusion, commencée en 1977, a eu un effet immédiat sur
l’habillement et les comportements. Je me souviens d’un député, Bob Brisco, qui
affectionnait un complet en ultrasuède. Assis à l’arrière, son complet était
exactement de la même couleur que les rideaux de la Chambre. Lorsqu’il se levait
pour prendre la parole, on ne voyait à la télévision qu’un visage rond qui se
dégageait des rideaux. Il n’a plus jamais porté ce complet en Chambre. Le
comportement des députés a aussi changé. Il y avait des séances du soir à
l’époque, et il arrivait que certains prennent un verre de trop. La télévision a
découragé ce genre de choses et les séances du soir ont fini par disparaître
entièrement.
La télévision a aussi
transformé davantage la Chambre en salle de spectacle, où les talents
dramatiques sont précieux. Elle l’a aussi ouverte davantage au grand public en
la rendant plus facile d’accès. Dans l’ensemble, je crois que l’influence de la
télévision a été positive. Il n’y a plus qu’une poignée de députés qui se
souviennent de ce à quoi les séances ressemblaient avant.
Sean Conway : À mon arrivée à Queen’s
Park, les conservateurs étaient au pouvoir depuis 32 ans. La culture politique
était imprégnée de cette domination. Au fond, l’opposition n’imaginait vraiment
pas qu’elle prendrait un jour les rênes. La période des questions, qui reprenait
chaque jour un numéro bien rodé, manquait absolument de spontanéité.
Aujourd’hui, chaque parti compte dans ses rangs des députés qui ont été
ministres; leur expérience a bien changé le climat de la période des questions.
L’arrivée de la télévision n’a pas eu que des bienfaits. Il y a plus de frime et
de cinéma, et les députés s’adressent davantage au grand public qu’à leurs
collègues en Chambre.
Jacques Baril : De petites choses ont
changé, mais rien de fondamental. Lorsque je suis arrivé, les députés
manifestaient bruyamment leurs opinions, cognaient sur leur bureau, faisaient
claquer le couvercle de leur bureau, et ainsi de suite. Aujourd’hui, les gens
applaudissent et tapent des mains pour manifester leur appui.
Comment le travail en
comité a-t-il évolué?
Lorne Nystrom : Il a un peu changé, mais
moins vite que je ne voudrais. Les comités n’ont pas tout à fait assez de
pouvoirs à mon goût. Il faut que leur président soit vraiment décidé à se servir
du système des comités pour s’en prendre au gouvernement. George Baker l’a fait
au Comité des pêches depuis le début de la présente législature, et je crois que
bien d’autres comités pourraient travailler de façon plus indépendante s’ils le
voulaient. Mon expérience des comités a été plutôt positive. J’ai trouvé
particulièrement gratifiante ma participation à divers comités constitutionnels
au cours des ans. Je crois que ces travaux ont contribué à faire progresser les
idées dans ce domaine, qui m’a toujours beaucoup intéressé. Il n’est plus rare
que les séances de comité soient télévisées, mais je crois qu’on pourrait faire
encore plus sur ce plan. J’aimerais, par exemple, que les médias s’intéressent
davantage aux travaux des comités et moins aux coups de théâtre de la période
des questions. La représentation de chacun des cinq partis au sein de chaque
comité dans la législature actuelle me fruste un peu. Le temps accordé pour
poser des questions est limité et notre parti n’est représenté à chaque comité
que par un député, ce qui rend les choses difficiles. Les comités posent aussi
des difficultés au gouvernement dans l’actuelle législature. Le parti
ministériel n’a qu’une faible majorité et doit prendre soin de ne pas se faire
surprendre en comité.
Sean Conway : Il ne faut pas oublier,
encore une fois, qu’une toute autre culture politique règne en Ontario. À mes
débuts, le système des comités permanents était plus actif. Des comités se
lançaient dans de grandes études sur le droit des sociétés, l’assurance, le
nationalisme économique, et ainsi de suite. Il n’était pas rare que des comités
se rendent aux États-Unis ou même outre-mer. Cela ne se voit plus aujourd’hui.
En réalité, les comités se déplacent même très peu à l’intérieur de l’Ontario.
La composition des comités
a aussi changé. Le député moyen avait sans doute une dizaine d’années
d’expérience lorsque j’ai commencé. La mémoire institutionnelle était
considérable. De nos jours, un député qui a cinq ans d’expérience est perçu
comme un vétéran. Il n’y a pratiquement plus de mémoire institutionnelle chez
les députés. Davantage polarisés, les débats sont plus agressifs. C’est vrai
autant à l’Assemblée qu’en comité.
John Reynolds : La façon de travailler
des comités n’a pas beaucoup changé à mon avis. J’ai fait partie d’un comité qui
a produit un excellent rapport sur le régime pénitentiaire. Plusieurs comités se
livrent actuellement à des études importantes. De manière générale, il était
plus facile de faire démarrer un comité dans les années 1970 et son travail se
faisait de façon beaucoup moins partisane. L’indépendance des comités, pour ce
qui est d’entreprendre des études, n’a pas réellement progressé. Le gouvernement
régit encore trop leur fonctionnement. Il reste encore trop difficile pour les
députés de l’opposition de faire entendre leurs témoins.
Jacques Baril : Oui, les commissions ont
changé. Il y a eu une réforme importante des commissions parlementaires en 1989
lorsque les comités ont obtenu, en plus des mandats d’initiative et des mandats
de surveillance d’organismes, le pouvoir de convoquer le sous-ministre pour le
questionner sur son ministère. C’était un pas important, parce que, jusque-là,
c’était toujours le ministre qui répondait pour son ministère. Maintenant, c’est
le sous-ministre ou le président-directeur général d’une société ou d’un
organisme d’État. Cela donne plus de latitude aux députés.
Le Règlement de
l’Assemblée nationale permet à une commission de déposer son rapport à
l’Assemblée et prévoit deux heures de débat lorsque le rapport renferme des
recommandations. C’est important, parce que les députés font, en commission
parlementaire, beaucoup de travail dont le public n’entend jamais parler. C’est
un aspect méconnu du travail des députés. Connaissant un peu le Règlement pour
avoir travaillé à sa réforme avec Denis Vaugeois en 1984, j’ai su me servir des
pouvoirs qu’il accorde lorsque je suis devenu président d’une commission
parlementaire. Mais cela ne fait pas toujours l’affaire du gouvernement, qui est
agacé lorsqu’on fait des recommandations. Au sujet de la loi 188 sur les
intermédiaires de marché, nous avions formulé 12 recommandations à partir de ce
que nous avions entendu lors des audiences publiques. Les recommandations
constituent un aide-mémoire pour les députés, de sorte que, lorsque le
gouvernement présente sa loi, six mois ou un an plus tard, les députés se
rappellent ce que les gens sont venus leur dire un an auparavant.
Une autre réforme
importante, il y a un an, a entraîné la création d’une nouvelle commission de
l’administration publique, qui ressemble à ce qui existe ailleurs pour les
comptes publics. On ne procédait pas de cette façon à Québec. C’était surtout la
Commission du budget et de l’administration qui vérifiait le fonctionnement des
ministères. Il y a maintenant une commission dont la principale tâche est de
vérifier tous les engagements financiers, en étroite collaboration avec le
vérificateur général. Le Rapport du vérificateur général ressemble assez à ce
que font les comités des comptes publics dans les autres provinces canadiennes
et même à Ottawa. J’ai travaillé fort pour obtenir cette commission car, même si
un président de commission doit planifier les travaux, lorsqu’une mesure
législative arrive, elle devient prioritaire. Tous les travaux planifiés doivent
être mis de côté pour ne s’occuper que de cette mesure. La Commission de
l’administration publique n’examine aucune mesure législative cependant. Elle
peut se consacrer à surveiller et questionner le gouvernement sur tout ce qui
touche l’administration. C’est un important pas en avant, un outil important que
les députés se sont donné.
Les services de soutien
fournis aux députés ont-ils changé?
Jacques Baril : En 1976, quand je suis
arrivé, l’enveloppe budgétaire pour le personnel du bureau de circonscription
était de 11 000 $. Cela n’avait pas de sens. Le nouveau député devait en outre
courir pour se trouver des locaux, faire brancher le téléphone, acheter crayons
et papier, et ainsi de suite. Il devait voir à tout parce qu’il n’y avait rien
et aucune aide, bien entendu. Aujourd’hui, l’Assemblée nationale avance 2 000 $
ou 3 000 $ aux députés pour s’acheter de quoi démarrer.
Chaque député dispose
aussi d’un budget pour engager du personnel, et c’est lui qui décide de leur
salaire. Chacun peut, selon la densité de population et l’étendue du territoire,
avoir un ou deux bureaux de circonscription. Mon comté est populeux, mais pas
très grand, et je n’ai donc droit qu’à un bureau. Mais les énormes comtés comme
celui de Duplessis ont droit à au moins deux bureaux.
Lorsque vous êtes dans
l’opposition, toute une équipe de recherchistes est à votre disposition et vous
obtenez beaucoup de soutien technique du Service de recherches. Lorsque vous
êtes au pouvoir, vous n’avez plus droit à ces services. On se dit que les
députés n’en ont pas besoin puisqu’ils ont l’appui de chacun des ministères.
Mais ce n’est pas toujours le cas. Il y avait autrefois, à la Bibliothèque de
l’Assemblée nationale, un service qui comptait une dizaine de recherchistes. On
me dit qu’il n’y en a plus que deux ou trois. C’est déplorable. Nous pouvions
leur demander de recueillir différentes choses, d’effectuer différentes
recherches. Je ne saurais commencer à faire de la recherche. Je peux dire que
j’aimerais avoir telle ou telle chose, mais je n’ai pas le temps de faire la
recherche. Nous avons, sur ce plan, moins de services.
John Reynolds : Hier comme aujourd’hui, la
clé du succès, pour un député, est d’avoir un personnel fiable tant à Ottawa que
dans son bureau de circonscription. J’ai eu la chance, à mon retour à Ottawa
après l’élection de 1997, de retrouver certaines des personnes qui avaient
travaillé pour moi dans les années 1970. L’un de mes anciens employés d’Ottawa
travaille maintenant dans mon bureau de circonscription. J’ai été l’un des
premiers députés à ouvrir un bureau de circonscription à l’époque où le
Parlement ne payait pas pour ce genre de chose. C’est maintenant couvert par les
indemnités. Les services de base qu’un député doit fournir à ses électeurs n’ont
pas beaucoup changé, mais nous sommes davantage sollicités.
Sean Conway : Je crois que nos
législateurs ont toujours été bien appuyés sur le plan des services fournis tant
par le parti ou le caucus que par la Bibliothèque de l’Assemblée. J’ai parfois
l’impression que nous disposons de trop de ressources, en ce sens que les
députés semblent heureux de s’en remettre aux services de coupure de presse au
lieu de lire tout le journal. Fait encore plus important, je vois des députés
qui sentent le besoin d’avoir deux personnes pour produire un discours : l’une
pour la recherche, l’autre pour la rédaction. Le rôle du député se résume
pratiquement alors à prononcer un discours qu’il voit pour la première fois. La
qualité des débats et des discours est en baisse parce qu’on se fie trop au
personnel.
Les bureaux de
circonscription, qui n’existaient pas à mon arrivée, ont été créés peu de temps
après. Je crois que nous sommes maintenant bien appuyés. À mon avis, quelle que
soit la qualité du personnel et des ressources fournies, rien ne saurait
remplacer, pour le député, le fait de sortir et de rencontrer les gens. Il faut
analyser soi-même la situation.
Lorne Nystrom : Les choses ont bien
changé sur ce plan. À mon arrivée, en 1968, j’avais une secrétaire à Ottawa et
personne dans ma circonscription. Le personnel de bureau était centralisé. Avec
le temps, on nous a donné des fonds pour engager nos propres employés. Les
budgets actuels permettent à la plupart des députés d’engager quatre personnes.
À l’origine, la plupart des députés avaient trois employés à Ottawa et un dans
leur circonscription, mais, de nos jours, c’est plus souvent deux à l’un et deux
à l’autre. Certains engagent une personne de plus, ce qui signifie que chacune
gagne moins, alors que, même avec un effectif de quatre personnes, les salaires
ne justifient pas les longues heures de travail exigées dans bien des cas.
Les ressources du caucus
ont également changé. Le caucus dispose maintenant de bien meilleurs services
centraux de recherche et de communication. Il y a aussi eu d’énormes progrès
technologiques. Le télécopieur est pour moi le plus révolutionnaire.
Sur le plan de la
procédure ou autre, quelles réformes souhaiteriez-vous?
Jacques Baril : Premièrement, il y a la
question du temps. Il y a beaucoup de pertes de temps en Chambre. J’aimerais que
les choses aillent plus vite. Mais on se heurte à toutes sortes de procédures et
de processus. Il faut suivre le mouvement pour arriver à imposer ses solutions à
l’égard des budgets et des programmes. Cela demande beaucoup de temps.
Je ne connais pas la
solution. J’ai beaucoup de respect pour la démocratie, mais lorsque vous avez
20 députés de l’opposition qui parlent chacun pendant 10 ou 20 minutes, alors
que les trois quarts d’entre eux ne connaissent même pas ce dont ils vont
parler, je trouve que c’est une perte de temps. Je suis certain qu’il y aurait
moyen de respecter les partis de l’opposition, tout en empêchant le gouvernement
de faire tout ce qu’il veut. Je ne sais pas comment nous pourrions arriver à un
compromis, mais, pour un vieux parlementaire comme moi, cela devient agaçant.
John Reynolds : Le plus important, à mon
sens, serait d’avoir plus de votes libres. C’est l’un des éléments du programme
qui m’a attiré au Parti réformiste. Le rôle des législateurs ne devrait pas
être, à mon sens, d’approuver automatiquement sans discussion ce que propose la
bureaucratie. Beaucoup de Canadiens partagent cet avis, il me semble, et c’est
l’une des choses qui nous aideront un jour à prendre le pouvoir. J’aimerais
également que l’on réforme le Sénat en prenant comme point de départ la
perception du Canada qu’avait W.A.C. Bennett : un pays composé de cinq régions
qui ont toutes un caractère particulier. Même les Québécois conviendraient, je
crois, que ce serait plus conforme à la réalité canadienne que la fédération
actuelle ou la scission en deux pays distincts.
Lorne Nystrom : Deux changements profonds
ont déjà affaibli l’opposition depuis que je suis député. Le premier, qui
consistait à enlever à la Chambre l’étude des prévisions budgétaires, visait à y
consacrer plus de temps en en confiant l’examen aux comités. Sauf que, si, à une
date donnée, un comité n’en a pas terminé l’étude et ne les a pas adoptées, les
prévisions budgétaires sont « réputées » avoir été approuvées. Les députés sont
ainsi beaucoup moins incités à bien scruter les dépenses gouvernementales.
Le second changement
concerne le recours accru à l’attribution du temps ou à la clôture pour mettre
fin à un débat. À mon arrivée à Ottawa, le fameux débat sur le pipeline de 1956
remontait à guère plus d’une décennie et les gouvernements craignaient d’être
accusés de bâillonner l’opposition pour l’empêcher de débattre d’un projet de
loi. De nos jours, le recours à l’attribution du temps fait pratiquement partie
de la routine pour le gouvernement.
Il faudrait aussi, selon
moi, habiliter davantage les comités à entreprendre des travaux constructifs
d’orientation gouvernementale et à forcer le gouvernement à tenir compte de
leurs rapports. Je voudrais également plus de votes libres. Il faudrait trouver
moyen de rogner les ailes au Bureau du premier ministre. Il serait aussi bon de
changer la façon dont les juges et les chefs des grandes sociétés d’État sont
nommés. L’une des possibilités serait de donner aux provinces un mot à dire dans
le processus de nomination, comme le proposait l’Accord du lac Meech, ou
d’accroître le rôle des parlementaires à cet égard.
La réforme électorale
mériterait aussi, à mon sens, un examen sérieux. D’après plusieurs études, notre
système actuel, le système uninominal majoritaire à un tour, ne produit pas de
bons résultats. Depuis un demi-siècle, seulement deux élections ont produit un
gouvernement qui avait l’appui de plus de la moitié de l’électorat. Bien
d’autres pays ont changé ou envisagent de changer de système électoral. L’un des
plus prisés est le modèle allemand actuel, qui conjugue des circonscriptions
uninominales à des députés élus par l’ensemble de la population en proportion du
vote populaire. Je crois que les Canadiens seraient beaucoup mieux servis par un
tel système que par notre système électoral actuel.
Sean Conway : Je ne suis pas certain
qu’une réforme de la procédure serait opportune en Ontario. L’Assemblée
législative et les orientations politiques des années 1970 étaient le reflet
d’une société prospère où le revenu de la classe moyenne augmentait au rythme de
l’expansion économique. Les débats politiques agressifs et polarisés des
années 1990 témoignent d’une population dont le revenu et le niveau de vie réel
sont en baisse. Trois décapitations électorales consécutives, chacune plus
remarquable que la précédente, en ont résulté.
D’où une rancœur sans
précédent à l’Assemblée législative. À mesure que leur ton montait, les députés
passaient moins de temps à analyser les problèmes et plus à lire des discours
dans une salle vide.
Pouvez-vous nous parler de
certaines personnalités dominantes que vous avez croisées dans votre vie
politique et de ce qui faisait leur force?
Lorne Nystrom : À mon arrivée au
Parlement, notre parti était dominé par trois colosses : Tommy Douglas,
David Lewis et Stanley Knowles. Les conservateurs avaient dans leurs rangs
John Diefenbaker et Robert Stanfield. Chez les libéraux, le premier ministre,
M. Pearson et Allan MacEachen tenaient le haut du pavé. Le Président de la
Chambre, Lucien Lamoureux, a réussi à devenir une force dominante dans cette
fonction.
MM. Douglas, Lewis,
MacEachen, Caouette et Diefenbaker étaient des orateurs remarquables qu’il
faisait plaisir à entendre, même pour ceux qui n’acceptaient pas leurs idées.
MM. Stanfield et Knowles avaient le don d’inspirer confiance. C’étaient des
hommes de principe. Pierre Trudeau apportait quelque chose de neuf en politique.
L’attrait de la nouveauté et son intelligence prodigieuse en faisaient une force
avec laquelle il fallait compter tant en Chambre qu’en campagne électorale.
Jacques Baril : René Lévesque était un
personnage remarquable. Je n’ai jamais rencontré personne qui ait autant de
charisme. Il était fascinant. Autant il pouvait se montrer gentil dans ses
réponses, autant il pouvait être cinglant lorsque l’opposition le poussait trop
loin. Il avait du respect pour l’Assemblée, et pour l’opposition. Il respectait
certainement le rôle de l’opposition, qui est l’essence même de la démocratie.
M. Lévesque était un grand
démocrate qui respectait profondément son caucus. Au début de chaque réunion du
caucus, il prenait la parole pendant 15 ou 20 minutes. Chaque député prenait des
notes, car il exposait essentiellement le paysage politique des semaines à
venir. Il arrivait à résumer toute la situation politique en quelques mots, tout
en indiquant clairement ses idées et ses orientations. Il arrivait à motiver les
gens et à faire l’union au sein du caucus parce que nous savions où il voulait
aller. Je ne veux pas dire que d’autres n’y arrivent pas, mais pas de la même
façon. Il prêtait l’oreille à ses troupes et avait beaucoup de respect pour ses
députés.
En 1976, notre parti
comptait une brochette de personnalités bien connues. Je me souviens de
Jacques-Yvan Morin, Robert Burns, Claude Charron, Lise Payette et
Jacques Parizeau. On aurait dit qu’une nouvelle génération de politiciens était
née.
Sean Conway : J’ai déjà mentionné
certaines des personnes qui m’ont impressionné à mon arrivée. Je ne suis pas
certain de ce qui rend une personnalité dominante. Un lien familial semble
exister dans bien des cas. Bob Nixon et Stephen Lewis étaient tous deux fils de
politiciens de grande renommée. Pat Reid est issu d’une famille de politiciens.
Son frère John a été député fédéral et ministre. M. Renwick, de son côté, a reçu
une formation en droit des sociétés avant d’embrasser la cause socialiste, qu’il
a défendue avec beaucoup d’éloquence. Pour d’autres, cela semble quelque chose
de purement intuitif. Ian Deans, qui n’avait guère son pareil comme
parlementaire, était pompier de profession. Albert Roy, maintenant juge, en est
un autre qui semblait avoir beaucoup d’intuition politique.
Il y en avait aussi
quelques-uns que j’appellerais des « personnages.» Eddie Sargent me vient à
l’esprit. D’affiliation libérale pour la forme, c’était vraiment un indépendant
en paroles comme en actes. C’était un populiste, un héros local dont
l’indépendance venait des succès remportés dans les sports et les affaires. Il
pouvait ainsi se montrer tantôt outrageant, tantôt divertissant. Il n’a pas eu
son pareil à l’Assemblée ces dernières années.
L’une des raisons qui
permettaitent à de tels personnages de perdurer c’est qu’il y avait beaucoup de
sièges gagnés d’avance en Ontario. Une forte personnalité locale pouvait alors
résister à un balayage provincial qui emportait le reste de son parti. Comme les
sièges « sûrs » n’existent plus, bon nombre de ceux qui se font élire le doivent
à la popularité de leur parti. Ils y pensent donc à deux fois avant de ruer dans
les brancards.
John Reynolds : Plusieurs personnes me
viennent à l’esprit, dont Tommy Douglas, Réal Caouette, Don Jamieson,
David Lewis et, bien sûr, John Diefenbaker, qui étaient tous de remarquables
orateurs. À l’époque, l’on pouvait tenir le crachoir pendant 45 minutes et
lorsque l’un d’eux prenait la parole chacun voulait être là pour l’entendre.
Pierre Trudeau pouvait faire une forte impression à la période des questions.
Quels ont été les grands
débats pendant votre carrière?
Lorne Nystrom : La guerre civile au
Nigéria est le premier sujet qui a réellement capté mon attention. J’étais parmi
les Canadiens qui se sont rendus au Biafra en 1969 pour voir d’eux-mêmes ce qui
se passait. Pris dans un feu croisé, nous avons assisté à des scènes incroyables
qui dépassent l’entendement de la plupart des Canadiens. Parmi les autres
moments mémorables, je mentionnerais l’invocation de la Loi sur les mesures
de guerre en 1970 et l’apparition des forces armées sur la Colline du
Parlement. La crise pétrolière du milieu des années 1970 et le débat sur le
tarif ferroviaire de la Passe du Nid-de-Corbeau viennent aussi à l’esprit. La
législature de 1972-1974 a été palpitante d’un bout à l’autre. À la charnière
des partis, le NPD peut se glorifier d’une bonne part de ce qui a été réalisé
pendant ces années.
La question de l’unité
nationale était et demeure le débat le plus important. Les deux référendums
tenus au Québec, les comités constitutionnels, le rapatriement de la
Constitution, le débat sur « Les gens de l’air » et bien d’autres sujets
connexes me viennent à l’esprit. Mon parti n’a pas toujours brillé sur ce plan
et c’est notre manque de réplique persuasive à ce sujet qui nous a empêchés de
prendre le pouvoir. Je suis convaincu que la majorité des Canadiens, ou peu s’en
faut, sont favorables à la social-démocratie, mais la question de l’unité
nationale continue de dominer les élections.
Jacques Baril : Il y a eu beaucoup de
débats importants. La Loi sur le financement des partis politiques a été
très importante, de même que celle sur le référendum. Les lois sur
l’assurance-automobile, sur la langue française et sur le zonage agricole me
viennent à l’esprit. Ce fut une époque de réformes. Il est extraordinaire à quel
point il y en a eu, mais il reste encore beaucoup de choses à faire.
John Reynolds : Les problèmes des
années 1970 n’étaient pas tellement différents de ce qu’ils sont aujourd’hui.
Nous discutions du rôle de la Commission du blé, de la fermeture de voies
ferrées, de l’immigration illégale, de l’unité nationale et de la fiscalité.
Même la peine capitale, un débat de grande importance dans lequel j’ai joué un
rôle de premier plan pour les conservateurs pendant mon premier mandat, revient
sur le tapis lorsque nous parlons de criminalité ou d’ordre public.
C’est au sujet de l’unité
nationale que les choses ont vraiment changé. Nous avions autrefois d’un côté de
farouches nationalistes québécois comme Réal Caouette et, de l’autre, des
adversaires du bilinguisme, comme Jack Horner de l’Alberta, qui ne mâchaient pas
leurs mots. Mais le débat prenait toujours pour acquis que le Canada resterait
uni. Nous avons maintenant parmi nous un grand groupe de parlementaires qui ne
cessent de réclamer la séparation du Québec. À la longue, il est un peu
frustrant de l’entendre répéter jour après jour.
Sean Conway : L’économie demeure le
sujet dominant en Ontario. Pratiquement tout le reste peut se mesurer par son
incidence sur l’économie. Le grand débat des années 1980 sur l’énergie, par
exemple, avait comme thème sous-jacent l’impact éventuel de la pénurie sur
l’économie. Même lorsque le NPD était au pouvoir et s’efforçait de rendre la
société plus équitable, il le faisait en grande partie parce qu’il croyait que
ce serait bon pour l’économie ontarienne.
D’autres questions ont
tendance à revenir périodiquement; la réforme municipale, la réforme de
l’enseignement et même les fermetures d’hôpitaux font de nouveau l’objet de
débats après avoir soulevé les passions dans les années 1970. L’unité nationale
peut devenir un enjeu. Je faisais partie d’un gouvernement qui n’a pas bien
compris que, le plus important pour des ententes constitutionnelles comme
l’Accord du lac Meech, c’était qu’elles soient acceptables pour la population de
sa province. Notre erreur nous a coûté cher. Mike Harris, et c’est tout à son
honneur, semble en avoir tiré des leçons.
Le moment le plus
émouvant, pour moi, a sans aucun doute été la défaite du gouvernement
conservateur en juin 1985, après 42 ans au pouvoir. Nous savions tous que, en
théorie, en démocratie, aucun gouvernement ne reste au pouvoir indéfiniment.
Mais la situation s’était ankylosée au point que, pour beaucoup de gens, il
était impossible de concevoir que l’Ontario, que certains avaient baptisé
l’Albanie du monde libre, puisse échapper aux conservateurs. Puis, tout a changé
d’un coup et la vie politique n’a toujours pas retrouvé son calme en Ontario.
Un autre événement
dramatique s’est produit en 1997, lorsque des manifestants en colère ont assiégé
l’Assemblée législative pendant plusieurs semaines. Les manifestations n’avaient
rien de nouveau, mais je n’avais jamais vu une telle colère envers un
gouvernement.
Un moment beaucoup plus
agréable s’est produit à la fin de 1978, le soir où, après avoir prononcé son
dernier discours, Stephen Lewis a quitté l’Assemblée pour la dernière fois. Je
me souviens qu’il est sorti accompagné de Bill Davis. Ce tableau illustrait pour
moi la confraternité qu’on voyait autrefois dans les milieux politiques
ontariens. Malgré leurs débats amers et leurs profonds désaccords au sujet de la
direction qu’il fallait imprimer à l’Ontario, le chef du parti socialiste et le
chef des conservateurs centristes pouvaient rester en bons termes.
Avez-vous occupé d’autres
fonctions que celles de député au cours des 20 dernières années?
Lorne Nystrom : Après 25 ans au Parlement,
je me suis retrouvé, à 47 ans, éconduit par les électeurs en 1993. Au cours des
quatre années suivantes, j’ai graduellement monté une firme de consultants en
affaires publiques. La Crown Life et l’Alliance Pipeline comptaient parmi mes
principaux clients. J’ai aussi travaillé pour des groupes autochtones et fait
partie d’une mission des Nations Unies en Afrique du Sud. En tant que
conférencier invité, j’ai aussi souvent fait des discours sur l’unité nationale,
notamment sur le circuit du Canadian Club.
Ma vie de consultant ne
différait pas tellement de celle d’un député. Je passais beaucoup de temps à
voyager et à parler des grands enjeux politiques. Lorsque le moment est venu de
décider soit de poursuivre cette carrière, soit de tenter un retour en politique
active, je n’ai pas hésité, même si le retour à la Chambre signifiait une baisse
sensible de revenu. Comme bien des politiciens, le Parlement est devenu une
drogue pour moi.
Il me semblait extrêmement
important que le NPD retrouve son statut de parti officiel à la Chambre des
communes. Je suis heureux d’avoir pu contribuer à ce résultat. Une plus forte
présence du NPD s’imposait selon moi pour équilibrer les idées de droite prônées
à des degrés divers par les réformistes, les conservateurs et les libéraux. Je
suis heureux d’être de retour après un congé sabbatique forcé.
Jacques Baril : En 1985, j’ai décidé de
quitter la politique. Je n’étais pas d’accord avec le nouveau chef du Parti
québécois, Pierre-Marc Johnson. Je n’étais pas d’accord avec l’orientation qu’il
donnait au parti. Avec Pierre-Marc Johnson, on ne parlait plus de souveraineté,
mais d’affirmation nationale. Cela ne mène nulle part. Ce qu’il faut, c’est la
souveraineté.
La deuxième raison pour
laquelle j’ai quitté, c’est que j’ai une ferme. J’étais parti depuis neuf ans et
mon salaire de député ne suffisait plus à combler le déficit. Mon fils avait
terminé ses études en agriculture et était intéressé à la reprendre, mais la
ferme était en mauvais état et peu rentable. J’avais aussi deux filles que je
n’avais pas beaucoup connues. Il y avait donc un aspect économique et un aspect
familial. J’étais aussi fatigué, épuisé, et j’ai donc décidé de partir avant
d’avoir des problèmes familiaux. J’ai toujours eu un esprit de famille assez
fort.
J’ai eu à peu près quatre
ou cinq mois de tranquillité, après quoi toutes sortes d’organismes sont venus
me proposer de siéger à leur conseil d’administration. À l’automne de 1987, on
m’a proposé de me porter candidat à la mairie de la municipalité. J’ai été maire
de 1987 jusqu’à l’élection de 1989 qui m’a ramené à l’Assemblée nationale. Alors
je n’ai jamais vraiment décroché, mais, au moins, j’étais chez moi tous les
soirs, entouré de ma famille. Nous avons réussi à remonter la ferme, et j’ai
formé une compagnie avec mon fils et ma femme. Mon fils représente la cinquième
génération à exploiter cette ferme. Il est assez rare qu’une famille garde une
ferme pendant cinq générations.
Pourquoi suis-je revenu en
1989? Je ne voulais pas, parce que je considérais que j’avais fait ma part.
J’étais bien chez moi, mais on a fait pression pour que je revienne. L’idée de
l’indépendance du Québec me trottait toujours dans la tête. Quand j’ai quitté,
c’est un député libéral qui a été élu. Il ne faisait pas l’affaire de tous. Même
des libéraux de la circonscription m’ont poussé à me représenter parce qu’ils
étaient certains d’une chose, que j’obtiendrais plus et les défendrais mieux
dans l’opposition que l’autre qui était au pouvoir. J’ai été élu avec près de
5 000 voix de majorité. J’ai toujours eu du mal à refuser lorsqu’on me
sollicite.
John Reynolds : J’ai appuyé Claude Wagner
lors de la course à la chefferie du Parti progressiste-conservateur en 1976.
Lorsque Joe Clark l’a emporté, j’ai décidé que le moment était venu de quitter
la scène politique fédérale. Je suis retourné en Colombie-Britannique, pour me
présenter à l’élection provinciale quelques années plus tard.
Pendant mes huit années à
l’Assemblée provinciale, de 1983 à 1991, j’ai été président de l’Assemblée
pendant plusieurs années, puis ministre. Ces deux postes m’ont apporté beaucoup
de satisfaction.
Je ne suis pas expert en
procédure, mais, lorsque j’ai sollicité le poste de président, je me suis assis
avec le greffier, qui m’a donné de bons conseils et des ouvrages à lire sur la
question. J’ai aussi essayé de suivre l’exemple des présidents que j’avais
connus au Parlement fédéral, Lucien Lamoureux et James Jerome, dont la
réputation d’impartialité était impeccable. J’avais de très bons rapports avec
les leaders en Chambre des deux principaux partis, Mark Rose, du NPD, que
j’avais connu à Ottawa, et Garde Gardom, du Crédit Social. J’ai aussi constaté
que, peut-être à cause de ma taille, lorsque je me levais du fauteuil j’avais
l’attention des députés.
Le fait d’être président
présente aussi un grand avantage pour vos électeurs. Si j’avais besoin de
quelque chose pour ma circonscription, je pouvais aller directement chez le
ministre et obtenir habituellement ce que je demandais, car personne ne veut se
mettre le président à dos.
Je suis entré au conseil
des ministres à la demande du chef, parce que le gouvernement était en
difficulté. Et j’ai été défait avec les autres à l’élection suivante. Je
persiste à croire que si j’étais resté président, j’aurais été réélu, car mes
électeurs appréciaient le bon travail que j’étais en mesure de faire pour eux.
Le grand avantage d’être
ministre c’est qu’il est possible d’arriver à ses fins. Les questions
environnementales m’avaient toujours intéressé et j’ai eu l’occasion, lorsqu’on
m’a confié ce portefeuille, de mettre en pratique certaines de mes idées. Le
problème, c’est que j’ai parfois dû prendre des mesures qui m’ont nui sur le
plan politique. L’un de ceux qui cotisaient le plus généreusement à ma campagne
électorale, par exemple, était propriétaire d’une usine de pâte à papier dans ma
circonscription. Comme l’usine ne répondait pas aux normes environnementales,
nous avons dû ordonner sa fermeture. En tant que ministre responsable, j’ai
perdu un bon partisan.
Sean Conway : J’ai occupé plusieurs
postes, tant au gouvernement que dans l’opposition. Il est certain qu’on s’amuse
davantage dans l’opposition. On est plus indépendant. Il est cependant très
difficile d’être un bon député de l’opposition si l’on n’a jamais été au
pouvoir. Vous ne comprenez vraiment les rouages du gouvernement qu’une fois que
vous avez fait partie du conseil des ministres. Vous pouvez faire la distinction
entre un ministre qui cherche à s’esquiver et celui qui vous entretient
simplement des possibilités et des contraintes du pouvoir.
Beaucoup de pressions
s’exercent sur les ministres. Je n’avais que 33 ans lorsque je le suis devenu,
et pourtant j’étais toujours crevé. Il faut apprendre à gérer son temps. Mais ce
n’est sans doute pas tellement plus exigeant que le rôle d’un simple député qui
se doit de participer à toutes sortes d’activités locales et de s’occuper des
problèmes de ses électeurs.
Avez-vous participé aux
activités de l’Association parlementaire du Commonwealth ou d’autres
associations parlementaires?
Lorne Nystrom : Je n’ai guère participé
aux réunions de l’APC, mais j’ai trouvé ces associations utiles. J’ai assisté à
quelques réunions de l’AIPLF et de l’Association parlementaire Canada-France.
Mais il n’y a que tant d’heures dans une journée.
Sean Conway : Je l’ai fait au début,
mais pas récemment. Je crois que ces associations sont utiles pour les nouveaux
députés.
Jacques Baril : Je n’ai pas beaucoup
participé aux activités de l’APC parce que j’ai du mal à m’exprimer en anglais.
J’aimerais cela, mais, à défaut de pouvoir communiquer comme je veux avec
d’autres, j’aime autant ne pas y aller.
Par contre, j’ai souvent
participé aux activités de l’AIPLF et établi des liens d’amitié avec divers
parlementaires, ce qui était intéressant. Les échanges avec des parlementaires
d’autres pays sont fort intéressants. La dernière fois que j’ai assisté à une
réunion, c’était à Bruxelles.
John Reynolds : J’ai participé à beaucoup
d’activités de l’APC comme simple député et pendant mon mandat de Président à
l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique. Sur le plan international,
je crois que la participation à l’APC nous aide à surmonter notre régionalisme.
Selon moi, le sentiment dominant de tout délégué à une réunion internationale,
si intéressante soit-elle, est le bonheur de revenir au pays. Un séjour dans
certains pays en développement nous permet de relativiser nos problèmes. Je
crois qu’il nous incombe également, en tant que Canadiens, de venir en aide aux
pays qui nous demandent des conseils sur la façon d’établir des formes
démocratiques de gouvernement. Même s’il est loin d’être parfait, notre système
fait l’envie de bien des pays du monde.
L’APC contribue aussi, par
ses activités régionales, à resserrer les liens entre législateurs canadiens et
à mieux faire comprendre le processus législatif. Le Parti réformiste refuse,
depuis le début, de participer à ces activités interparlementaires, y voyant
surtout des parties de plaisir et un gaspillage de deniers publics. Il y aurait
lieu, selon moi, d’examiner certaines de ces activités de plus près, au lieu de
les rejeter d’emblée.
Recommanderiez-vous à
quiconque y songe de se lancer dans la vie politique?
Jacques Baril : Pour se lancer en
politique, il faut aimer les gens. Sinon, et si vous le faites juste pour les
honneurs, il vaut mieux rester chez soi. Vous allez pleurer, et vous ennuyer. Il
faut aussi accepter d’être disponible. Il faut que ce soit une décision
familiale; l’appui du conjoint est fondamental, car les choses ne vont pas
toujours bien en politique. Même avec des paquets d’amis, quand les choses vont
mal, vous vous retrouvez souvent seul avec votre épouse et vos enfants. C’est
dur. Il faut avoir la carapace et le courage nécessaires pour passer au travers.
Il faut avoir des objectifs et des convictions, et être capable de les défendre.
À chaque élection, je me redemande si je veux me représenter. Est-ce que j’en ai
encore le goût? Est-ce que j’ai des objectifs à atteindre? Suis-je certain de ne
pas en avoir assez?
Le plus gratifiant, c’est
de sentir l’appréciation des gens. Je considère que j’ai réussi à faire beaucoup
pour ma circonscription. J’ai beaucoup travaillé pour aider les pauvres, les
gens ordinaires. C’est ce qui m’a toujours motivé à travailler, de voir qu’il y
a des gens sans défense.
John Reynolds : Dans l’ensemble, je me
suis fait beaucoup plus d’amis que d’ennemis en politique. Lorsque je me suis
présenté comme chef du Parti progressiste-conservateur dans les années 1980, je
me suis retrouvé avec passablement de dettes. Mon épouse m’a suggéré d’organiser
une soirée de « mise en boîte » pour aider à les éponger. Nous avons réussi à
attirer des politiciens bien connus de tous les partis. Même Jean Chrétien, qui
pratiquait alors le droit à Toronto, a accepté de venir. Ce fut l’un des plus
grands dîners politiques jamais organisés en Colombie-Britannique jusqu’alors,
avec environ 1 400 invités. Les amitiés liées en politique ont tendance à durer
et à faire fi de l’esprit de parti.
Sean Conway : Je serais moins porté à
encourager quiconque à se lancer en politique aujourd’hui, que je ne l’aurais
été il y a dix ans. Il y a maintenant moins de place pour les modérés en
Ontario. Nous semblons infectés par certains des pires aspects de la vie
politique américaine. Le financement pose toujours un problème en politique,
mais la prolifération des lobbyistes et l’idée que, pour traiter avec le
gouvernement, il faut engager quelqu’un qui plaide en votre faveur est encore
pire.
Par contre, il est très
gratifiant de travailler pour ses électeurs. Profondément enracinée dans les
vieilles traditions politiques, la vallée de l’Outaouais garde un cachet
spécial. Cela me plaît.
Le rôle du gouvernement,
l’à-propos du fédéralisme, l’enseignement gratuit et le rôle du Canada dans le
monde peuvent encore susciter des débats et des désaccords. J’espère, inutile de
le dire, que nous reviendrons à des politiques plus modérées en Ontario après la
prochaine élection.
Lorne Nystrom : Pour moi, il y a trois
grandes raisons de faire de la politique. C’est d’abord l’occasion d’avoir un
mot à dire, même minime, dans les grandes orientations du pays. Cela permet
ensuite de venir en aide à ses électeurs, surtout lorsque la bureaucratie
gouvernementale leur donne du fil à retordre. J’y vois enfin, je suppose, la
meilleure façon de faire de notre pays un lieu plus progressiste où il fait
encore mieux vivre.
|