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L'hon.
Edward Roberts
Pour bien des gens, le gouverneur général et les
lieutenants-gouverneurs constituent des personnalités protocolaires.
C’est en grande partie vrai. Ils détiennent toutefois des pouvoirs
constitutionnels importants qu’ils utilisent très peu, car ils ont
rarement besoin de le faire. Il est cependant déjà arrivé que la
Couronne ait été appelée à prendre des décisions qui ont
profondément marqué l’échiquier politique. C’est ce qui s’est
produit en décembre 2008 lorsque la gouverneure générale
Michaëlle Jean a accédé à la demande du premier ministre Stephen
Harper de proroger le Parlement quelques jours seulement après son
inauguration et au moment où le gouvernement devait faire face à une
motion de censure présentée par l’opposition officielle. Dans le
présent article, un ancien lieutenant-gouverneur de
Terre-Neuve-et-Labrador se penche sur le rôle vice-royal et présente
quelques observations sur ce qui s’est passé récemment à Ottawa.
En raison des bouffonneries incroyables, pour ne pas dire
complètement inusitées, des parlementaires et des dirigeants politiques en
décembre dernier, on s’est penché sur les pouvoirs constitutionnels de la
Couronne pour la première fois en une génération. Par conséquent, je veux faire
part de quelques réflexions et observations concernant les événements qui
pourraient fort bien dominer le discours politique et public de notre pays dans
les semaines et les mois à venir.
Description du poste de lieutenant-gouverneur
J’offre souvent quelques conseils sur le ton de la
plaisanterie à ceux qui envisagent de devenir lieutenant-gouverneur, poste que
j’ai eu énormément de plaisir à occuper pendant la durée de mon mandat.
Les trois règles essentielles sont les suivantes :
1) Soyez à l’heure, car l’événement ne peut pas commencer
sans vous.
2) Prononcez des discours brefs, parce que les gens ne
sont pas venus simplement pour vous entendre.
3) Ne manquez jamais une occasion de faire un tour à la
salle de bain, car, comme mon mentor de longue date et cher ami
Jack Pickersgill avait l’habitude de me dire, il n’y a pas de moment plus
long dans la vie publique que lorsqu’on doit aller au petit coin, mais qu’on
ne peut pas le faire.
Il y a toutefois un côté très sérieux au poste. Le Canada est
une monarchie constitutionnelle. La reine Elizabeth II est notre chef d’État.
Puisqu’elle assume aussi d’autres responsabilités, la plupart de ses fonctions
canadiennes ont été déléguées au gouverneur général et aux
lieutenants-gouverneurs.
On croit souvent à tort que les lieutenants-gouverneurs sont,
en quelque sorte, les subordonnés du gouverneur général sur le plan
constitutionnel. C’est faux. Chacun d’eux est le représentant personnel de Sa
Majesté et l’incarnation institutionnelle de la Couronne. Ils obéissent tous aux
mêmes règles et conventions, et assument les mêmes responsabilités. Tout ce que
je dis à propos des pouvoirs d’un lieutenant-gouverneur s’applique aussi à ceux
du gouverneur général. L’unique distinction entre eux, c’est que le gouverneur
général s’occupe de questions qui relèvent du Parlement et du gouvernement du
Canada, tandis qu’un lieutenant-gouverneur est limité par les règles
constitutionnelles qui définissent la portée des assemblées législatives
provinciales et, dans notre cas, de la Chambre d’assemblée. Cela dit,
j’utiliserai l’adjectif « vice-royal » pour qualifier l’ensemble des 11 postes
prévus par la Constitution du Canada.
Il y a quelques années, l’Assemblée des citoyens sur la
réforme électorale de la Colombie-Britannique a élaboré une définition de la
charge vice-royale d’aujourd’hui. Il s’agit d’une définition moderne et bien
formulée faisant autorité :
On donne le titre de « chef d’État » au dirigeant qui
exerce officiellement le pouvoir exécutif du gouvernement et qui, à des
événements officiels, représente l’ensemble de la communauté politique. Bien
que la Colombie-Britannique soit en principe monarchique du point de vue de
la forme, les pouvoirs de la Couronne comme chef d’État sont exercés par le
lieutenant-gouverneur de la province. Le chef d’État dans les régimes
parlementaires est un dirigeant qui est perçu comme étant au-dessus des
considérations politiques, contrairement au chef du gouvernement, qui est le
premier ministre.
Remplacez « Colombie-Britannique » par « Canada » et vous
avez là une description des pouvoirs du gouverneur général qui est précise et
fait autorité. Les fonctions et responsabilités vice-royales se divisent en deux
grandes catégories : représentatives et constitutionnelles. Je n’ai que quelques
mots à dire concernant la première catégorie. Une très grande partie, voire la
totalité, du travail de la plupart des lieutenants-gouverneurs les campe dans le
rôle de représentant de la Couronne. C’est inévitablement et logiquement
l’aspect le mieux connu d’un poste vice-royal, et c’est ainsi que leurs
concitoyens en viennent à les percevoir. Dans chaque province, le
lieutenant-gouverneur représente personnellement la reine du Canada, tandis que
le gouverneur général parle au nom de tous les Canadiens.
Les lieutenants-gouverneurs ont pour mandat de refléter le
mieux possible leur communauté — et j’utilise ce terme au sens très large pour
inclure, dans notre cas, tous les résidants de Terre-Neuve-et-Labrador. Ils
permettent à la communauté de se faire entendre : ils soulignent les
réalisations dignes de mention et honorent ceux parmi nous qui méritent qu’on
reconnaisse leurs contributions.
Pouvoirs constitutionnels
On confie aussi aux lieutenants-gouverneurs des pouvoirs
constitutionnels considérables et des responsabilités tout aussi importantes.
Quelqu’un qui ne manquait pas de perspicacité les a déjà comparés à des
extincteurs d’incendie : on n’a pas besoin d’eux très souvent, mais ils sont
d’une importance cruciale lorsque le besoin se présente. Ils ne sont pas moins
essentiels parce qu’on s’en sert rarement. Les pouvoirs découlent de doctrines
constitutionnelles obscures et sont établis en grande partie dans des
conventions et des précédents plutôt que dans des lois ou des règlements.
Puisqu’on en a besoin et qu’on les voit si rarement, les pouvoirs vice-royaux
sont, pour la plupart, méconnus. Ils sont néanmoins réels, disponibles et
puissants pour cette raison.
Permettez-moi de vous prouver que les pouvoirs vice-royaux
sont établis dans notre théorie constitutionnelle canadienne. L’article 9 de l’Acte
de l’Amérique du Nord britannique de 1867, que nous appelons maintenant
Loi constitutionnelle, stipule :
9. À la Reine continueront d’être et sont par la présente
attribués le gouvernement et le pouvoir exécutifs du Canada.
L’article 10 énonce que le gouverneur général administre « le
gouvernement du Canada au nom de la Reine ». Ces deux énoncés, auxquels
s’ajoutent des siècles de pratique constitutionnelle britannique et canadienne,
constituent le fondement sur lequel repose l’ensemble de notre régime de
gouvernement exécutif. Ces quelques mots font du Canada et de ses provinces une
démocratie parlementaire gouvernée au nom d’un monarque constitutionnel.
(Permettez-moi d’ajouter que les articles suivants confèrent des pouvoirs
comparables à chacun des lieutenants-gouverneurs.)
La définition traditionnelle des pouvoirs vice-royaux a été
formulée par Walter Bagehot il y a 150 ans :
Dans une monarchie constitutionnelle comme la nôtre, le
souverain possède trois droits : le droit d’être consulté, le droit
d’encourager et le droit de mettre en garde. Et un roi doté d’un esprit très
avisé et sagace n’en voudrait pas d’autres.
La description de M. Bagehot est bien connue et souvent
citée. Les lieutenants-gouverneurs (dont moi-même!) se plaisent beaucoup à la
citer. Je ne prétends pas posséder de connaissances particulières en matière
constitutionnelle, mais je m’intéresse à ces questions depuis de nombreuses
années. Ayant agi à titre de ministre pendant huit ans et de
lieutenant-gouverneur pendant cinq ans, j’ai acquis une certaine expérience,
tant pour offrir que pour recevoir des conseils. À mon avis, la manière dont un
vice-roi tente d’exercer les « droits » qui lui sont attribués par Bagehot est,
en très grande partie, déterminée par la relation entre le gouverneur général ou
le lieutenant-gouverneur, d’une part, et le premier ministre, d’autre part.
Les deux premiers ministres avec lesquels j’ai travaillé
quand j’étais lieutenant-gouverneur — Roger Grimes et son successeur,
Danny Williams — respectaient énormément la Couronne et la charge de
lieutenant-gouverneur, et agissaient dans cet esprit. Je sais d’expérience que
cela n’a pas toujours été le cas partout au Canada. Les pratiques ont évolué
différemment, parfois à cause des personnalités de ceux qui ont été au pouvoir
et, d’autres fois, à cause des événements. La définition de Bagehot est
intéressante, mais elle ne devrait plus être considérée comme définitive.
Néanmoins, les pouvoirs conférés au vice-roi n’en sont pas
réduits ni détruits pour autant. Ils existent encore, tout comme les
responsabilités correspondantes.
Le choix du premier ministre
La principale fonction constitutionnelle vice-royale — on
pourrait effectivement la qualifier, à bon droit, de responsabilité première de
tout lieutenant-gouverneur ou du gouverneur général — consiste à veiller à ce
que le gouvernement de la reine continue de fonctionner. Dans une démocratie
parlementaire comme la nôtre, cela signifie traiter avec grand respect les
hommes et les femmes élus par les citoyens de notre pays, aux assemblées
législatives provinciales ou nationale. Le lien entre le gouvernement exécutif
et l’assemblée législative constitue le fondement d’un gouvernement responsable,
c’est-à-dire qui doit rendre des comptes aux représentants élus. Le droit de
gouverner, le droit d’être le pouvoir exécutif appartient à ceux qui obtiennent
l’appui de l’assemblée législative. Il s’agit là du principe fondamental de
toute notre structure gouvernementale — la manière dont nous menons nos affaires
en tant que « société libre et démocratique », pour reprendre la terminologie de
la Charte canadienne des droits et libertés.
Le vice-roi doit s’assurer que ceux qui bénéficient de
l’appui de l’assemblée législative se voient confier les pouvoirs du
gouvernement exécutif. Le principe est si fondamental et occupe une si grande
place dans notre quotidien au Canada que nous y pensons très rarement. Nous
reconnaissons que nous devons agir ensemble, comme peuple, pour nous occuper de
nos intérêts communs. Nous élisons des hommes et des femmes à nos assemblées
législatives et à notre parlement pour créer les lois qui rendent cela possible.
Mais les assemblées législatives ne peuvent pas faire le travail du pouvoir
exécutif. Cette tâche est confiée aux hommes et aux femmes qui obtiennent
l’appui de l’assemblée législative. Ils exercent leurs fonctions parce qu’ils
disposent de cet appui, et ce, pour la période qu’ils le conservent.
C’est ce qui rend notre régime fondamentalement différent de
celui en place aux États-Unis d’Amérique, entre autres pays. Les citoyens
élisent le président séparément de leurs assemblées législatives — le Congrès,
sur le plan national. Le président peut bénéficier ou non de l’appui du Congrès
sur une question particulière. Cette pratique serait impossible au Canada ou
dans l’une ou l’autre de nos provinces.
Des siècles de précédents constitutionnels décrètent que le
vice-roi nomme le premier ministre. Mais ils prescrivent aussi que le droit de
choisir le premier ministre appartient uniquement au Parlement, plus
particulièrement aux hommes et aux femmes du corps élu, de la Chambre des
communes. Nous n’élisons pas un premier ministre au Canada; nous élisons des
députés. Ils choisissent le premier ministre : le rôle de la Couronne est de le
nommer. Nous n’élisons pas un premier ministre à Terre-Neuve-et-Labrador, ni
dans n’importe quelle autre province : ici, nous élisons des députés à la
Chambre d’assemblée. La Couronne — le lieutenant-gouverneur — fait ensuite de
cette personne le premier ministre.
Le pouvoir de nommer s’accompagne du devoir de l’exercer et
de décider qui nommer. Presque sans exception, la réponse est simple : l’homme
ou la femme à la tête du parti majoritaire à l’assemblée législative a gagné le
droit de diriger le gouvernement. Et même quand aucun groupe ne compte une
majorité des députés élus, il est rare qu’on ait du mal à arriver à une
décision : le chef du groupe possédant le plus de députés à la Chambre est
nommé. Voilà qui explique comment et pourquoi M. Harper a été nommé premier
ministre à deux reprises. Le seul hic dans un tel cas, c’est que le premier
ministre doit se soumettre à un vote de confiance de l’assemblée législative le
plus tôt possible et qu’il doit quitter ses fonctions s’il n’obtient pas cette
confiance.
Voilà la règle qui détermine qui devient premier ministre. À
cela s’ajoute une règle complémentaire tout aussi profondément ancrée dans des
siècles de tradition. Le vice-roi, représentant de la Couronne, agit seulement
sur les avis formulés par les ministres, et plus particulièrement par le premier
ministre. Le parlement constitue l’autorité suprême. La Couronne doit toujours
céder la place à l’assemblée législative. C’est l’essence même d’une monarchie
constitutionnelle. N’oublions pas que Charles Ier a perdu la tête —
littéralement — parce qu’il avait oublié cette règle.
Quelques précédents terre-neuviens
Il est intéressant de noter que Terre-Neuve a fourni au monde
des parlementaires et des politicologues quelques exemples clairs des
conventions constitutionnelles d’un gouvernement responsable.
Aux élections générales de 1908, les partis ont obtenu le
même nombre de voix : Robert Bond et ses libéraux ont remporté 18 des 36 sièges
de la Chambre d’assemblée, tout comme Edward Morris et son People’s Party.
Robert Bond, en tant que premier ministre en exercice, a convoqué la Chambre
dans les délais prescrits. Il n’a pas réussi à faire élire un président et a
demandé, par la suite, une dissolution. Le lieutenant-gouverneur, sir William
Macgregor, la lui a refusée. Bond a aussitôt démissionné et Macgregor a alors
fait venir Morris, qui a entrepris de former un gouvernement. Morris a rencontré
les membres de la Chambre à son tour, mais n’a pas réussi, lui non plus, à faire
élire un président. Il a, à son tour, demandé une dissolution. Macgregor la lui
a accordée. Morris a remporté haut la main les élections suivantes. Bond n’a
jamais repris le pouvoir par après.
Plus tard, les spécialistes en la matière ont convenu que
Macgregor avait agi comme il se devait, conformément aux conventions
constitutionnelles de l’époque. Bond, en tant que premier ministre en poste,
avait le droit de convoquer la Chambre. Son incapacité de faire élire un
président a démontré qu’il avait perdu la confiance des députés. Sa demande de
dissolution a été refusée à bon droit, car un autre groupe parlementaire avait
d’aussi bonnes chances que lui d’obtenir l’appui de la Chambre. Ce groupe,
constitué de Morris et de ses collègues, avait le droit de solliciter ce
soutien. Puisqu’il n’a pas réussi à l’obtenir, le gouverneur général n’avait
d’autre choix que de dissoudre la Chambre.
J’ignore ce qui s’est passé à Ottawa entre le premier
ministre et la gouverneure générale en décembre dernier. Il lui a demandé de
proroger le Parlement jusqu’au 26 janvier 2009. Elle a accédé à sa demande, et à
juste titre à mon avis. Ses collègues et lui-même s’adresseront aux députés, qui
auront l’occasion d’exprimer leur confiance. Si une majorité des députés appuie
M. Harper et ses collègues, ils pourront continuer d’être les ministres de Sa
Majesté.
Nous ferons face à une question intéressante si les députés
déclarent qu’ils ne font pas suffisamment confiance à M. Harper et au
gouvernement actuel. La décision appartient au premier ministre de prime abord
et, ensuite, à la gouverneure générale. Si M. Harper lui demande de dissoudre la
Chambre et de tenir des élections générales, elle devra décider si elle accepte
ou non cet avis. Si elle le fait, des élections s’ensuivront. Cette décision lui
revient. Mais si elle refuse une dissolution, M. Harper n’aura d’autre choix que
de démissionner de son poste de premier ministre. Selon l’exigence
constitutionnelle impérative voulant que la Couronne agisse sur l’avis du
gouvernement, un premier ministre dont la demande est rejetée se doit de
démissionner. S’il quitte ses fonctions, la gouverneure générale devra demander
à un autre député de former un gouvernement, s’il y en a un qui peut être en
droit de s’attendre à gagner la confiance de la Chambre.
Il existe, là encore, un précédent terre-neuvien. Frank
Moores est devenu premier ministre au début de 1972, et il a presque
immédiatement demandé une dissolution, avant le début des travaux de la Chambre.
Deux raisons expliquent ce qu’il a fait. D’une part, il a senti que l’opinion
publique lui était favorable — « le moment est venu », pour reprendre le slogan
de l’époque. D’autre part, il craignait aussi de s’adresser à l’assemblée, car,
dans la turbulence du moment, l’opposition était constituée de 21 députés,
tandis que M. Moores dirigeait un groupe de 20 députés, dans une chambre qui en
comptait 42. (Un siège était vacant.)
Agissant, selon ce que je comprends, sur l’avis d’Eugene
Forsey, le plus grand constitutionnaliste de son temps, le
lieutenant-gouverneur, John Harnum, a refusé de dissoudre la Chambre et a
demandé plutôt à M. Moores de rencontrer les députés. Au lieu de démissionner,
il a accepté de le faire. Il savait très bien que l’opposition était prête à
former un gouvernement et avait l’appui déclaré d’une majorité des députés —
même si, à voir certains des membres qui avaient été élus en 1971, il y avait
lieu de s’inquiéter concernant plusieurs membres des deux partis de la Chambre.
S’il n’y avait pas eu de gouvernement substitut, M. Harnum n’aurait eu d’autre
choix sur le plan constitutionnel que d’accéder à la demande — présentée sous
forme d’avis — du premier ministre en poste. Autrement, il se serait retrouvé
sans premier ministre, ce qui aurait été une situation totalement insoutenable.
Dans les circonstances, il a eu tout à fait raison de refuser. Il en a été de
même lorsqu’il a ordonné à M. Moores de convoquer la Chambre.
Tout s’est passé pour le mieux. L’un des libéraux élus a
démissionné le jour même où la Chambre a repris ses travaux, et ce, pour des
motifs qui n’ont jamais été rendus publics et dans des circonstances qui n’ont
jamais été expliquées de manière satisfaisante. M. Moores, pour sa part, a
remporté une victoire écrasante aux élections de mars.
M. Harnum et lui m’ont rendu un énorme service, sans le
savoir, je m’empresse de l’ajouter. J’étais chef de l’opposition et je ne
souhaitais absolument pas qu’on me demande de former un gouvernement. Je savais
très bien que l’époque Smallwood était révolue et que les citoyens de
Terre-Neuve-et-Labrador voulaient un changement politique. Une défaite
électorale et plusieurs années à titre de chef de l’opposition constituaient un
faible prix à payer pour la possibilité de me présenter aux élections suivantes
sur la base de mes réalisations. Ces élections ont eu lieu en 1975. Tout ce que
je dirai pour l’instant, c’est que je n’ai jamais eu la chance de briguer les
suffrages sur la base de mes réalisations. Après avoir perdu contre moi à la
course à la direction du Parti libéral de 1974, M. Smallwood a créé son propre
parti en 1975. Ce faisant, il « a gaché » la victoire probable des libéraux, et
Frank Moores et les conservateurs ont remporté un deuxième mandat. Mais c’est
une autre histoire.
Dissolution anticipée
Il existe une autre convention constitutionnelle qui entre en
jeu dans ces circonstances. Une dissolution anticipée — peu après des
élections — ne devrait pas être accordée à moins qu’il y ait une question
importante de politique publique dont l’électorat devrait discuter sur-le-champ
ou qu’il n’y ait aucun gouvernement substitut à l’assemblée législative
existante. La pratique est bien établie dans les précédents constitutionnels. Il
ne fait aucun doute que la formation à Ottawa, avant Noël, de la coalition entre
les libéraux et les néo-démocrates, avec l’appui du Bloc Québécois, a vu le jour
pour cette raison. La lettre que MM. Dion et Layton ont envoyée à la gouverneure
générale le prouve clairement.
Dans les prochaines semaines, vous risquez d’entendre
beaucoup parler de la crise King-Byng de 1926. Elle n’offre aucune orientation
claire sur ces questions. Le chef libéral MacKenzie King n’a pas démissionné de
son poste de premier ministre après les élections générales de 1925, même si les
conservateurs avaient élu plus de députés — 116 contre 101 libéraux dans une
chambre de 245 sièges. Il est resté au pouvoir avec l’appui des tiers partis et
a gagné plusieurs votes de confiance à la Chambre. Toutefois, environ huit mois
après les élections, il a demandé sans succès une dissolution pour tenter
d’éviter un vote de censure qu’il était certain de perdre. Il a démissionné
sur-le-champ de son poste de premier ministre, et lord Byng, le gouverneur
général, a demandé à Arthur Meighen, chef du Parti conservateur, de former un
gouvernement. Il l’a fait, mais, moins d’une semaine plus tard, la Chambre a
déclaré ne pas avoir confiance en son administration, et ce, par une seule voix
d’écart — la célèbre « paire brisée ». Le gouverneur général, sur l’avis de
M. Meighen, a alors dissous le Parlement et ordonné la tenue d’élections
générales.
M. King a fait de la décision de lord Byng l’élément central
de la campagne électorale suivante. Sa victoire aux élections de 1926 vient
prouver l’idée selon laquelle aucun gouverneur général ne pourra jamais refuser
de demande de dissolution. Cette déclaration est incorrecte, à mon avis. Il
serait juste de dire qu’aucun titulaire de charge vice-royal ne peut refuser
d’agir sur l’avis du premier ministre, à moins que les représentants élus soient
prêts à appuyer un gouvernement substitut. Le principe directeur consiste à ce
que la décision revienne aux membres élus de la Chambre. La crise de 1926 n’est
pas survenue parce que lord Byng a rejeté la demande de M. King, mais plutôt
parce que M. Meighen n’a pas réussi à gagner un vote de confiance subséquent au
Parlement. Cet échec leur a coûté leur poste à tous les deux — Meighen, comme
premier ministre, et Byng, comme gouverneur général.
Je m’abstiendrai d’émettre des hypothèses sur ce qui se passera lorsque le
Parlement reprendra ses travaux, mais les options sont assez claires. M. Harper
se soumettra à un vote de confiance de la Chambre rapidement et à un moment
approprié. S’il obtient la confiance des députés, les affaires courantes
reprendront. Mais, dans le cas contraire, il devra soit demander une
dissolution, soit démissionner. La gouverneure générale décidera de son sort en
déclenchant des élections ou en demandant à un autre membre du Parlement de
former un gouvernement. Quoi qu’il en soit, les événements de décembre 2008 et
de janvier et de février 2009 trouveront à jamais une place dans la longue
histoire de l’évolution constitutionnelle de notre pays.
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