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Jack Stilborn
Il semble y avoir un vaste consensus, sinon une unanimité, chez les parlementaires
et les observateurs parlementaires quant à la nécessité que le Parlement
et ses comités deviennent plus efficaces dans lexamen des dépenses publiques.
Rares sont les observateurs de la scène parlementaire qui nont pas exprimé
ce point de vue récemment. On a toutefois moins entendu parler de ce que
les comités parlementaires et les parlementaires doivent faire, précisément,
pour devenir plus efficaces. Le présent article traite des initiatives
qui ont récemment été mises en uvre par des comités parlementaires et
la Bibliothèque du Parlement dans le but daccroître lefficacité, ainsi
que de la vision qui sen dégage. Il donne également un aperçu des initiatives
à venir qui sont prometteuses, ainsi que des défis auxquels il faudra sattaquer.
Le principe selon lequel le Parlement, en tant que représentant des citoyens
et des contribuables, doit imposer les taxes et approuver la manière dont
sont dépensés les revenus quon en tire fait partie de lhéritage constitutionnel
que le Canada a reçu du Royaume-Uni, et remonte au Moyen Âge1. Revêtant
une importance secondaire tant que les monarques absolus réussissaient
à financer la cour, le clergé et larmée grâce à leurs revenus personnels,
ce principe est devenu progressivement plus important lorsque les contribuables
ont dû régulièrement compenser le manque de revenus royaux.
Le principe qui veut que le Parlement consente à limposition de taxes
et approuve les dépenses est relativement clair, et il revêt une importance
cruciale parce quil constitue la base du pouvoir du Parlement. Toutefois,
les mécanismes imaginés pour appliquer ce principe ont varié considérablement
pendant les 700 ans au cours desquels a évolué linstitution, et ils continuent
encore dévoluer. Au Canada, aussi récemment quil y a 100 ans, le laxisme
des contrôles internes des dépenses publiques entraînait de sérieuses difficultés,
même pour une éventuelle surveillance parlementaire et le consentement
éclairé. Par exemple, les ministères avaient adopté des usages qui, pour
lessentiel, échappaient au contrôle du Parlement, notamment lemprunt
aux banques commerciales lorsque leur budget annuel était épuisé et le
recours fréquent aux mandats du gouverneur général (ce dont le Parlement
était saisi uniquement après le fait). Qui plus est, le nombre de prévisions
budgétaires présentées au Parlement a commencé à se multiplier dans les
années 1890 pour atteindre quatre, ou même cinq ou six, par exercice. Au
cours de la session de 1904 et de celle de 1910-1911, sept séries de prévisions
budgétaires ont été déposées2.
À cause de la taille et de lenvergure limitées du gouvernement à lépoque,
les parlementaires pouvaient examiner le budget des dépenses dassez près,
mais la chose est devenue progressivement plus difficile par la suite,
en raison de la croissance rapide de la taille du gouvernement après la
Première Guerre mondiale. En 1950, le Parlement avait encore recours à
une procédure qui était, à bien des égards, essentiellement la même quen
1867, alors que les décisions quil devait prendre à légard du budget
des dépenses portaient sur des dépenses publiques 300 fois supérieures à
celles des années 1860, les programmes et les activités étant devenus beaucoup
plus complexes.
Linsatisfaction des parlementaires à légard de la nature et de la portée
du rôle du Parlement concernant le budget des dépenses ne date pas dhier
et remonte presque à la Confédération. Une série de réformes a été entreprise
dans les années 1920. Ainsi, les débats ont été restreints pour mettre davantage
laccent sur lessentiel; le mode de présentation des renseignements soumis
au Parlement a été modifié afin que les députés puissent mieux les comprendre;
le budget des dépenses a pris de lampleur; à titre dessai, des comités
plus restreints ont été appelés à se pencher sur certains types de documents
budgétaires. Cependant, ces changements nont guère réussi à dissiper les
doutes émis au sujet de lefficacité du Parlement pour ce qui est de sacquitter
de son rôle fondamental de surveillant des dépenses publiques.
Une vaste réforme sest amorcée en 1968 avec ladoption de nouvelles procédures
prévoyant le renvoi de tous les budgets de dépenses à des comités permanents
qui, dans le cas du budget principal des dépenses, devaient en faire rapport
ou être réputés en avoir fait rapport à la Chambre au plus tard le 31 mai.
Cette réforme visait à améliorer lexamen en profondeur des dépenses publiques
par les comités et à rationaliser le débat sur les prévisions budgétaires
à la Chambre. Pour les comités, elle constituait le début dune transformation,
qui sest poursuivie avec laccroissement important des pouvoirs des comités
dans les années 1980 afin délargir le rôle du simple député et daugmenter
linfluence générale du Parlement sur lélaboration des politiques et la
gestion des finances.
À compter de 1996, la réforme sest élargie de façon à privilégier lamélioration
de la qualité des renseignements financiers fournis au Parlement. Le Projet
damélioration des rapports au Parlement vient alors parachever les changements
apportés antérieurement aux pouvoirs des comités, en modifiant considérablement
les renseignements transmis au Parlement. Des efforts sont ainsi déployés
afin que les rapports, au lieu de porter sur les résultats quantifiables
obtenus par le gouvernement (affaires entendues, brochures publiées, etc.),
portent plutôt sur des résultats de plus haut niveau et de nature à démontrer
limportance des activités des ministères pour les citoyens. De plus, les
rapports des ministères qui, jusque-là, constituaient la partie III du
Budget principal des dépenses, ont été scindés en deux :
-
le Rapport ministériel sur le rendement (RMR), publié en novembre de chaque
année, qui énonce les objectifs du ministère et les progrès réalisés à
légard de leur réalisation;
-
le Rapport sur les plans et les priorités (RPP) de chaque ministère, qui
est publié à la fin février ou en mars, après le dépôt du Budget principal
des dépenses, et qui énonce les objectifs futurs du ministère et son plan
daction pour les atteindre.
Jusquà présent, le moins quon puisse dire toutefois, cest que le succès
des récentes réformes sur le plan pratique ne fait pas lunanimité parmi
les universitaires et les parlementaires3. Différents rapports de comité
ont successivement fait mention de linsatisfaction constante des députés
eux-mêmes :
-
Le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre estime
que « les importantes sommes dépensées par le gouvernement sont assujetties
à un examen parlementaire quil faut bien qualifier de superficiel », et
formule 52 recommandations de changements exhaustifs (rapport Catterall-Williams4).
-
Dans un rapport de suivi publié en 2000, le même comité continue de réclamer
des changements, notamment en ce qui concerne la qualité de linformation
fournie et le soutien accru à offrir au personnel des comités (rapport
Szabo5).
-
En 2001, le Comité spécial sur la modernisation et lamélioration de la
procédure à la Chambre des communes propose, en guise de solution partielle
pour améliorer lexamen des budgets des dépenses qui, depuis longtemps
déjà, laisse à désirer, de demander chaque année au comité plénier dexaminer
les documents budgétaires de deux ministères (rapport Kilger6).
-
Au cours de la 37e
législature, un rapport du Comité permanent des opérations
gouvernementales et des prévisions budgétaires, publié en 2003, conclut
que, malgré les progrès réalisés dans les dernières années, la plupart
des comités parlementaires continuent à effectuer un examen relativement
sommaire des budgets principaux des dépenses, et quun travail plus rigoureux
simpose de toute urgence (rapport Valeri7).
Même s’il propose d’améliorer l’information transmise au Parlement, le Comité
insiste encore davantage sur la nécessité, pour le Parlement, de faire un
meilleur usage de l’information déjà disponible.
Lefficacité du Parlement et les possibilités qui soffrent à lui dans
le processus budgétaire ont également été examinées de manière détaillée
dans une étude commandée en 2002 par lInstitut de recherche en politiques
publiques8. Les auteurs font valoir quil reste encore beaucoup à accomplir,
que les comités parlementaires ne sont pas utilisés à leur pleine mesure
pour lexamen des prévisions budgétaires et quils sacquittent particulièrement
mal de lévaluation des résultats atteints dans le cadre des programmes.
Plus récemment, le rapport de la phase 2 de la Commission Gomery recommande
daugmenter considérablement le financement accordé aux comités parlementaires,
en réponse aux préoccupations de longue date sur lefficacité des comités
quand vient le temps dexaminer les programmes et les prévisions de dépenses
du gouvernement9. Dans ce document, le juge Gomery indique que laugmentation
du personnel affecté au soutien des comités est essentiel à lamélioration
de lefficacité. Les députés sont membres de deux ou trois comités en même
temps et doivent par ailleurs assumer de multiples autres responsabilités,
dont beaucoup attirent davantage lattention du public et leur procurent
plus directement le sentiment de faire uvre utile. Ils nont pas suffisamment
de temps pour accomplir ce travail, et les budgets eux-mêmes sont parfois
difficiles à associer à des programmes concrets (par exemple, le Programme
de commandites na jamais été désigné comme une activité distincte dans
les budgets concernés). La Commission se dit encouragée par la ferme intention
du gouvernement de doter les comités de ressources additionnelles sur le
plan du personnel et note que les comités ont besoin de deux formes dassistance :
(1) davantage de personnel de recherche de la Bibliothèque du Parlement
(elle note à cet égard une première mesure avec satisfaction : lembauche,
par la Bibliothèque du Parlement, de trois nouveaux analystes bien au fait
des budgets) et (2) des ressources budgétaires accrues leur permettant
dembaucher des experts pour létude de la gestion des programmes et des
questions de reddition de comptes.
Ces conclusions et ces recommandations témoignent du fait que, pour lessentiel,
lexamen des budgets des dépenses par les comités na pas beaucoup changé,
malgré les réformes adoptées au cours des 30 dernières années. Lorsque
les comités consacrent un peu de temps aux budgets, leurs efforts (à quelques
exceptions près) continuent de refléter une façon de fonctionner qui était
déjà en place bien avant que les récentes réformes nentrent en vigueur.
La plupart des séances consacrées à lexamen du budget des dépenses durant
la dernière législature ont, encore une fois, donné lieu à des échanges
de portée générale et relativement partisans sur les priorités politiques
et les orientations stratégiques des ministères, et les questions de fond
relatives aux budgets ont reçu très peu dattention. De plus, les interrogations
éparpillées et non systématiques reflétaient lalternance rapide des interrogations
parmi les membres et, à quelques notables exceptions près, les résultats
des votes sur les budgets des dépenses proposés par le gouvernement étaient
prévisibles et presque toujours favorables.
Le Parlement exerce le « pouvoir de la bourse » en examinant, chaque année,
le Budget principal des dépenses du gouvernement (normalement déposé au
printemps) ainsi que deux (en règle générale) budgets supplémentaires des
dépenses. Ces budgets sont soumis à lexamen détaillé des comités permanents,
lesquels peuvent :
-
ne rien dire, auquel cas la Chambre procède à lexamen du budget proposé
par le président du Conseil du Trésor;
-
faire rapport sur le budget sans amendement, auquel cas la Chambre procède
comme il est indiqué ci-dessus;
-
réduire le budget ou le rejeter, auquel cas la Chambre examine les changements
et adopte le budget modifié ou rétablit les montants initiaux.
Ces « règles du jeu » fondamentales comportent peu de restrictions quant
à ce que le Parlement et ses comités peuvent faire en pratique, ce qui
laisse beaucoup de latitude pour lamélioration de lefficacité.
Des renseignements de meilleure qualité
Comme nous lavons déjà mentionné, les comités parlementaires reçoivent,
en plus des budgets de dépenses des ministères, deux rapports explicatifs
devant servir de base aux examens. Il sagit du Rapport sur les plans et
les priorités (soumis aux comités pour lexamen du Budget principal des
dépenses) et des Rapports ministériels sur le rendement (qui, à lautomne,
renseignent les comités sur les résultats atteints). Même si ces rapports
résultent dune longue évolution, de nombreux parlementaires continuent
de se déclarer mécontents de linformation quils contiennent, quils considèrent
comme excessivement bureaucratique et particulièrement vague quant aux
secteurs où le rendement laisse à désirer.
Le Secrétariat du Conseil du Trésor donne aux ministères des instructions
détaillées sur les meilleures pratiques à adopter pour létablissement
des rapports; il évalue également les rapports des ministères et leur fournit
de la rétroaction. Les ministères sont toutefois peu incités à réagir,
à moins que les parlementaires eux-mêmes nexpliquent clairement que les
exigences du Secrétariat du Conseil du Trésor sont étroitement liées aux
besoins du Parlement. Même si les rapports parlementaires sur le processus
dexamen des budgets ont constamment demandé des améliorations sur le plan
de laccessibilité, de la clarté et de la pertinence de linformation,
les différents comités nont toujours pas exercé leurs pouvoirs en vue
de favoriser la communication de meilleurs renseignements par les ministères
qui leur sont assignés. En plus de leur capacité de refuser ou de réduire
un budget lorsquils nobtiennent pas les renseignements requis pour lévaluer,
les comités pourraient exercer leur pouvoir général de faire rapport au
Parlement, afin de fournir de la rétroaction aux ministères sur leurs rapports
et de présenter des recommandations précises en vue de les peaufiner.
Importance des rapports des ministères
Les rapports des ministères présentent une importance immédiate, en ce
sens quils constituent une base dinformation que les parlementaires peuvent
utiliser pour évaluer les budgets des dépenses des ministères. Toutefois,
leur importance ne sarrête pas là. Les rapports sur le rendement et la
planification peuvent également se révéler utiles pour permettre aux comités
dévaluer les programmes ministériels et pour rédiger des rapports sur
le rendement des programmes, loptimisation des ressources ou les plans
de dépenses à venir en dehors du processus officiel dexamen budgétaire.
Ces rapports ne sont pas limités par le principe de la recommandation royale,
qui empêche les comités daccroître les budgets, ou de réaffecter de largent
dun crédit à un autre à lintérieur du processus officiel dexamen du
budget. Comme dautres rapports reflétant le mandat général denquête des
comités, ils ne comportent aucune contrainte procédurale quant au contenu
des recommandations, étant donné que les recommandations sont simplement
des propositions qui sont adressées au ministre et qui peuvent ou non être
intégrées au programme politique du gouvernement. Par conséquent, les rapports
sur le rendement des programmes ou les plans de dépenses à venir constituent
des moyens qui permettent aux comités de proposer des augmentations de
dépenses ou une nouvelle répartition des ressources existantes ou futures.
Si le gouvernement acceptait ces recommandations, elles se refléteraient
dans un budget futur.
Les rapports des comités sur le rendement des programmes ou sur les dépenses
à venir permettent non seulement de contourner les limites du processus
officiel dexamen du budget, mais ils fournissent également un moyen de
surmonter un gros obstacle politique qui empêche les comités dexaminer
efficacement les budgets. En effet, au moment où les budgets des ministères
arrivent dans lenceinte de la Chambre des communes, ils sont le fruit
dune planification détaillée des fonctionnaires des ministères, ils ont
été acceptés par les ministres en tant que composante du programme du gouvernement,
et le gouvernement les appuie de tout son poids. Par conséquent, les changements
sont perçus comme une menace pour la crédibilité du gouvernement, et ce
dernier est très réticent à les accepter. Cette réticence sobserve généralement
dans les comités, dans la manière prévisible dont les députés du gouvernement
soutiennent les budgets tels quils sont présentés par le gouvernement
et, lorsque le gouvernement est majoritaire du moins, dans la manière prévisible
dont les comités approuvent les budgets sans apporter de changements.
Les rapports qui ne sont pas réalisés dans le cadre du processus officiel
dexamen du budget et qui sont plutôt axés sur les plans de dépenses pour
les années à venir échappent à ces limites pratiques des activités des
comités. Les fonctionnaires sont plus susceptibles dêtre réceptifs aux
recommandations qui ne menacent pas leur planification détaillée qui est
sur le point daboutir, et cette plus grande réceptivité est susceptible
de se répercuter dans les conseils donnés aux ministres. Les ministres,
quant à eux, ne sont pas exposés à des situations politiques embarrassantes
avec de telles recommandations et sont susceptibles dêtre mieux disposés
à les examiner. À leur tour, ces circonstances augmentent les chances que
les membres des comités provenant du gouvernement et de lopposition soient
en mesure de trouver un terrain dentente lorsquils se penchent sur des
questions de fond soulevées dans les budgets des ministères. Les rapports
qui ne sont pas réalisés dans le cadre du processus officiel dexamen du
budget et qui se concentrent sur des recommandations qui touchent les années
à venir pourraient donc permettre aux comités dexercer une influence potentiellement
importante sur les budgets des ministères.
Établir un équilibre entre le général et le détaillé
Lexpérience accumulée par les comités au fil des ans montre que les ministères
sont souvent trop gros et trop complexes pour se prêter à un examen détaillé.
Un examen détaillé de toute la panoplie de programmes offerts par un vaste
ministère obligerait les comités à ne rien faire dautre. En revanche,
les comités voudraient sans doute soumettre tous les ministères et organismes
qui relèvent deux à un examen minimal. Le fait de choisir un programme
et de létudier en profondeur tout en ne tenant pas compte dautres programmes
présenterait le danger que des problèmes importants passent inaperçus,
et ferait également en sorte quun comité ne disposerait daucun fondement
pour approuver ou rejeter des crédits précis qui sont contenus dans le
budget (sauf les parties dun crédit liées à un programme qui a reçu une
attention particulière).
Les comités devront donc peut-être envisager une procédure à deux voies
comportant :
-
des séances régulières (au moins annuelles) de reddition de comptes avec
les ministres, où il serait question à la fois de leur ministère et des
responsabilités de leur portefeuille; ET
-
lassujettissement dun programme ou dune activité à un examen détaillé
et, éventuellement, à un suivi pluriannuel. Cette procédure permettrait
de recommander des changements aux plans de dépenses pour les années à
venir avant que le gouvernement ne les inclue dans les budgets annuels.
Ces deux approches se complètent lune lautre. Les séances de reddition
de comptes générales peuvent aider à repérer les programmes ou les activités
quun comité voudra peut-être explorer en détail. Les suites données aux
recommandations de changements à apporter aux plans de dépenses futures
pourraient être examinées lors des séances de reddition de comptes avec
les ministres. Les examens de programme détaillés peuvent également servir
de base à lexamen (et à léventuelle modification) des budgets renvoyés
au comité.
En quoi consiste un examen détaillé?
Pour procéder à un examen détaillé, les comités doivent dabord choisir
une initiative ou un programme ministériel qui est suffisamment limité
pour pouvoir être étudié en profondeur dans les délais prévus. Même si
les renseignements et les conseils fournis par le personnel de recherche
du comité peuvent aider, la décision de consacrer une part importante du
temps dun comité à un programme ministériel donné est nécessairement fondée
sur des priorités politiques. Le défi auquel les comités sont confrontés
pour ce faire est semblable au défi plus vaste qui est associé à létablissement
dun programme de travail, où la tentation déviter les conflits en sengageant
dans de multiples études (parfois simultanément) impose, fréquemment, de
sérieuses limites à lefficacité du comité, et réduit également la crédibilité
des enquêtes parlementaires chez les intervenants spécialisés et les gens
qui influencent les politiques. Les comités doivent trouver des manières
de résister à cette tentation, notamment en sentendant sur une série détudes
spécialisées qui pourraient être menées au cours de la durée de vie probable
du comité, ou encore en établissant, dès le départ, quil est nécessaire
de se concentrer sur une seule étude.
Le Comité des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires,
dans son rapport de 2003 intitulé Pour un examen valable, a envisagé plusieurs
façons possibles de procéder à un examen détaillé, dont les suivantes :
-
inviter les fonctionnaires du ministère à donner des séances dinformation
informelles sur tel ou tel programme;
-
faire travailler le personnel de recherche du comité avec les fonctionnaires
du ministère à létablissement dune base de renseignements spécialisée;
-
interroger les fonctionnaires du Bureau du vérificateur général qui peuvent
avoir en leur possession des dossiers pertinents;
-
répartir le travail entre les membres du comité, afin de réduire au minimum
le double emploi (questions individuelles, sources dinformation, etc.);
-
inviter les clients ou les parties prenantes dun programme à venir commenter
le programme du point de vue des usagers;
-
inviter des universitaires et dautres experts qualifiés à fournir de linformation
(suivant la façon de procéder habituelle dans le cadre détudes de politique).
Au cours des dernières années, plusieurs comités de la Chambre des communes
ont tenté dutiliser certaines de ces approches, mais les charges de travail
des comités ont souvent entraîné des problèmes de planification, et ce,
même pour les modestes tentatives de séloigner de lunique réunion traditionnelle
où le ministre vient défendre le budget de son ministère. Cela montre que
les présidents et les membres des comités sont de plus en plus intéressés
à innover.
Récentes initiatives de la Bibliothèque du Parlement
En plus doffrir du soutien administratif, comme des ateliers destinés
aux parlementaires et à leur personnel, des équipes danalystes affectés
aux comités parlementaires par le Service dinformation et de recherche
parlementaires (SIRP) offrent actuellement des services de recherche et
danalyse aux comités qui prennent part aux travaux sur le budget des dépenses.
Parmi les principaux types de services offerts, il y a notamment :
-
des séances dinformation ou des recherches (pour les comités ou leurs
membres individuels) sur :
-
les budgets (y compris la provenance des chiffres, leur signification),
-
le processus budgétaire,
-
tel ou tel programme ou activité,
-
les sources dinformation clés;
-
des analyses de fond et des avis et conseils sur tel ou tel programme ou
budget qui mérite peut-être un examen détaillé;
-
des plans détude (y compris des propositions de témoins) conçus pour que
le comité obtienne les renseignements dont il a besoin au moment où le
budget lui sera renvoyé;
-
des notes dinformation contenant des analyses et un choix de questions
à poser lors des réunions sur le budget.
En 2004, en réponse aux changements décrits dans le présent article, la
Bibliothèque du Parlement a demandé et reçu des sommes supplémentaires
pour embaucher trois analystes possédant des compétences susceptibles de
contribuer à renforcer le soutien que le SIRP fournit aux comités qui procèdent
à des études de programmes liées aux budgets. Les trois analystes embauchés
ont permis au SIRP de bénéficier de lexpérience quils avaient acquise
au ministère des Finances, au Secrétariat du Conseil du Trésor et au Bureau
du vérificateur général. Ils sont devenus membres dun groupe de travail
interne créé dans le but daméliorer de façon générale le soutien des travaux
budgétaires fourni par les équipes danalystes du SIRP qui sont affectées
à des comités du Sénat et de la Chambre des communes.
Le groupe de travail, qui sest nommé l« équipe des prévisions budgétaires »,
compte les trois spécialistes des budgets, en plus dautres analystes qui
travaillent pour les comités parlementaires qui ont pour mandat précis
détudier des questions liées au rendement des programmes et aux dépenses
gouvernementales (le Comité sénatorial permanent des finances nationales,
le Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires
de la Chambre des communes et le Comité permanent des comptes publics de
la Chambre des communes).
Lune des principales tâches de léquipe est de faciliter laffectation
flexible danalystes possédant les compétences requises auprès des comités
entreprenant des études sur les budgets. De plus, les membres de léquipe
fournissent des renseignements sur les pratiques exemplaires et des documents
de référence, et donnent des conseils à leurs collègues travaillant pour
les équipes dautres comités. Les comités peuvent ainsi profiter, au besoin,
de compétences et de connaissances particulières sur les budgets, en plus
des connaissances spécialisées que les équipes des comités possèdent déjà,
tant au sujet des programmes ministériels relevant du mandat du comité
quà propos des enjeux stratégiques et opérationnels qui touchent le rendement,
loptimisation des ressources et les dépenses. Finalement, les membres
de léquipe ont découvert que le partage régulier de renseignements, de
même que les discussions sur les meilleures pratiques, sont utiles dans
le contexte de leur propre travail pour les comités. Léquipe peut ainsi
tirer profit dun des atouts du SIRP : la capacité de déployer une équipe
de soutien multidisciplinaire et de créer des synergies professionnelles
pour servir le Parlement et ses comités.
Perspectives immédiates
Lenvironnement parlementaire actuel comporte à la fois des défis et des
possibilités en ce qui a trait à lamélioration de lefficacité du Parlement
pour ce qui est de lexamen minutieux des programmes gouvernementaux et
de létude des propositions de dépenses.
Jusquà maintenant, la présence de gouvernements minoritaires à la Chambre
des communes a semblé comporter à la fois des avantages et des inconvénients
au chapitre de lefficacité. Du côté des inconvénients, la crainte dune
élection immédiate constitue pratiquement une caractéristique des gouvernements
minoritaires. Cette situation contribue à mettre laccent sur les tactiques
à court terme au Parlement, plutôt que sur des études systématiques et
à moyen ou long terme sur les programmes et le rendement qui sont pourtant
nécessaires pour que le Parlement puisse examiner de manière constructive
les dépenses gouvernementales. Du côté des avantages, le fait que les membres
du gouvernement soient minoritaires au Parlement (et dans les comités)
diminue considérablement un obstacle politique majeur qui atténue généralement
limpact que le Parlement a sur les budgets (quil soit effectif ou non).
Le Parlement se trouve dans une position où il peut influer sur les plans
de dépenses du gouvernement directement ou en recourant à la persuasion
pour ce qui est du plus long terme, si cest ce quil souhaite.
En ce qui concerne le personnel de soutien, le projet de loi C-2 (Loi fédérale
sur la responsabilité) a été adopté par la Chambre des communes. Il était
étudié par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles
au moment décrire ces lignes (octobre 2006). Ce projet de loi prévoit quun
poste de directeur parlementaire du budget sera créé à la Bibliothèque
du Parlement, avec un large mandat pour soutenir le Parlement dans ses
travaux relatifs aux différentes dimensions de la budgétisation et des
dépenses gouvernementales (ainsi que celles concernant les répercussions
financières des projets de loi émanant des députés et des propositions
des comités). Dans le cadre des travaux du Parlement sur les prévisions
des dépenses, le futur directeur parlementaire du budget aura pour mandat
de fournir des analyses budgétaires au Sénat et à la Chambre des communes
et, sur demande, à tout comité chargé détudier le budget. Même si limpact
réel du projet de loi dépendra en partie des ressources qui seront mises
à la disposition de ce nouveau fonctionnaire, la loi prévoit bien une amélioration
considérable du soutien technique offert au Parlement pour accomplir son
travail sur le budget.
Conclusion
Au cours des dernières années, on sest beaucoup intéressé à lefficacité
du Parlement dans lexercice de ses responsabilités relatives à la capacité
fiscale et aux dépenses, plusieurs comités ont expérimenté des approches
novatrices dans leur travail, et le personnel de soutien participant aux
travaux des comités parlementaires sur les budgets compte maintenant quelques
employés de plus.
Jusquà maintenant, les progrès réalisés ont toutefois eu peu dimpact
sur le problème des motivations politiques, qui demeure un défi majeur
dans ce secteur. Même sil est toujours possible que des scandales ou des
activités inutiles soient découverts et que lon y remédie, la plus grande
partie des travaux sur le budget continueront à passer inaperçus. Les questions
administratives et les progrès graduels nattirent pas lattention des
médias (qui sintéressent davantage aux questions déthique ou de principe,
qui sont plus spectaculaires), ne sont pas facilement compréhensibles ou
intéressantes pour les électeurs, et nincitent donc pas les parlementaires
à leur consacrer du temps. De plus, pour les membres des comités appartenant
au parti au pouvoir, il est presque certain que les actions des comités
qui dépasseront ces limites mettront les ministres dans lembarras, ce
qui fait que la participation à ces travaux nest pas utile pour aider
ces députés à faire avancer leur carrière politique.
La possibilité dinfluer sur les budgets des années à venir, encouragée
par la structure actuelle des rapports au Parlement, ne permet pas réellement
de régler ce problème. Au contraire, elle est le résultat dune conception
bureaucratique et rationnelle du rôle du Parlement qui demeure passablement
déconnectée des réalités de lunivers politique. Même si les directives
actuelles du Secrétariat du Conseil du Trésor demandent détablir des rapports
qui précisent comment les plans des ministères répondent aux recommandations
du Parlement, on ne sait pas avec certitude comment les ministères peuvent
persuader les comités quils font quelque chose quils ne prévoyaient pas
faire, ou que les ministres seront prêts à partager le mérite de changements
importants avec les comités parlementaires. De plus, étant donné que plusieurs
mois ou même plusieurs années peuvent sécouler entre le moment où un comité
déploie des efforts sur un dossier et le moment où lon observe un effet
tangible sur les dépenses du ministère, il faut que les parlementaires
acceptent dattendre avant de récolter le fruit de leur labeur, ce qui
peut savérer irréaliste, compte tenu des pressions politiques.
Les défis sont considérables, mais ils ne sont peut-être pas insurmontables.
Bon nombre dentre eux sont, en effet, semblables à ceux qui se posent
dans dautres domaines, notamment létude des politiques par les comités.
De manière plus générale, ils reflètent la nécessité dadapter le Parlement
à son environnement, qui est en constante évolution. Cest pourquoi les
partisans de la gouvernance parlementaire nont pas dautre choix que de
continuer à essayer de trouver des moyens de sassurer que les responsabilités
du Parlement en matière de fiscalité et de dépenses ne deviennent pas de
simples formalités.
Notes
1. Robert Marleau et Camille Montpetit, La procédure et les usages de la
Chambre des communes, Ottawa, Chambre des communes, 2000, chapitre 18, surtout
p. 701 et suiv.
2. Norman Ward, The Public Purse A Study in Canadian Democracy, Toronto,
University of Toronto Press, 1951, p. 230 et suiv.
3. Pour avoir un excellent aperçu de lévolution des procédures parlementaires
relatives au budget des dépenses et connaître le point de vue des universitaires
et des parlementaires à ce sujet, voir le rapport du Comité permanent de
la procédure et des affaires de la Chambre qui sintitule L'étude des crédits
: boucler la boucle du contrôle, décembre 1998, p. 7-16.
4. Ibidem, p. 3.
5. Chambre des communes, Comité permanent de la procédure et des affaires
de la Chambre, Projet damélioration des rapports financiers au Parlement
Phase 2 : Continuons en avant, juin 2000.
6. Chambre des communes, Comité spécial sur la modernisation et lamélioration
de la procédure à la Chambre des communes, Rapport, juin 2001.
7. Chambre des communes, Comité permanent des opérations gouvernementales
et des prévisions budgétaires, Pour un examen valable : Améliorations à
apporter au processus budgétaire, septembre 2003.
8. Peter Dobell et Martin Ulrich, « Lefficacité parlementaire dans le processus
budgétaire : une étude de cas », Enjeux publics, vol. 3, no 5, Institut de
recherche en politiques publiques (mai 2002).
9. Commission denquête sur le programme de commandites et les activités
publicitaires (Commission Gomery), Rétablir limputabilité: Recommandations,
Ottawa, 2006, p. 69. Rapport de la phase 2.
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