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Entrevue : Les présidents de séance de l’Ontario


Deux décennies se sont écoulées depuis que la Commission sur l'Assemblée législative de l'Ontario (mieux connue sous le nom de commission Camp, du nom de son président, Dalton Camp) signalait que le Président de l'Assemblée législative de l'Ontario donnait largement l'impression de servir le gouvernement du jour. Par conséquent, ce poste n'avait pas beaucoup de crédibilité aux yeux des députés. Camp soutenait que seul un président neutre et non partisan pouvait obtenir la confiance des deux camps à la Chambre et présider les travaux de l'Assemblée avec autorité. Depuis le rapport de la commission Camp, le poste de président de l'Assemblée législative de l'Ontario a acquis peu à peu une indépendance et une neutralité véritables. De nos jours, non seulement le président, mais aussi ses collègues à la présidence, sont de fidèles et loyaux serviteurs de l'Assemblée et non du gouvernement. Nous reproduisons ci-contre une entrevue avec David Warner, président de l'Assemblée législative de l'Ontario; Gilles Morin (libéral), vice-président et président du Comité plénier; Dennis Drainville (Indépendant), premier vice-président du comité plénier; et Noble Villeneuve (progressiste-conservateur), deuxième vice-président du comité plénier. Cette entrevue a été réalisée par David Pond du Service de recherche législative de la Bibliothèque de l'Assemblée législative de l'Ontario en juin 1993.

Vos fonctions à la présidence ont-elles une incidence sur les services que vous rendez à vos électeurs à titre de député?

David Warner : J'explique aux électeurs qui posent la question que les résultats sont identiques; seul le style varie. Je dois agir plus discrètement que par le passé. Je ne peux pas publier de communiqué. Je ne peux pas prononcer de discours à la Chambre. Mais je peux être le porte-parole de mes électeurs et si l'un d'entre eux m'écrit à propos d'une politique gouvernementale qui lui déplaît, je peux écrire en son nom au ministre et signaler que mon électeur s'inquiète de cette mesure et que, à mon avis, le ministre devrait peut-être se pencher sur la question. C'est tout simplement un style différent.

Je possède indiscutablement un avantage du fait que j'en suis à mon quatrième mandat. Les gens de ma région ont le plaisir ou le désagrément de me voir frapper à leur porte depuis 20 ans; ils ont donc appris à me connaître et je crois qu'ils me font confiance.

Certains de mes électeurs se disent ravis que leur député soit le président de l'Assemblée législative. Cela ne leur était jamais arrivé auparavant. En 200 ans, il y a eu très peu de présidents originaires de Toronto et aucun, de mémoire d'homme, de sorte qu'il s'agit d'un honneur unique dont un grand nombre de mes électeurs sont conscients.

J'ai l'impression, et mes électeurs se disent certainement de cet avis, de réussir tout aussi bien à leur être utile et à les aider à régler leurs problèmes. Je cherche des solutions à ceux-ci comme n'importe quel autre député. Peu importe le camp dans lequel on se trouve, quand un problème pratique se pose au sujet d'un accident du travail ou des prestations pharmaceutiques, par exemple, nous voulons tous le régler. Ce désir ne change pas, peu importe le rôle qu'on joue à la Chambre.

Gilles Morin : Je m'occupe encore activement des questions que je considère importantes comme député. Par exemple, j'ai déposé un projet de loi d'intérêt public et d'initiative parlementaire (projet de loi 154, Loi de 1993 sur l'encaissement des chèques du gouvernement), qui a été étudié à la Chambre et en comité. Ce projet de loi porte sur une question sociale très grave et a reçu l'appui des députés de tous les partis. Je savais, quand je l'ai déposé, que mes collègues ne le considéreraient pas comme une mesure partisane.

Il est important pour le député qui occupe le fauteuil d'éviter les activités partisanes susceptibles de nuire à l'image d'impartialité et de neutralité que doit dégager le Président aux yeux de l'Assemblée.

Mes électeurs sont fiers de mes fonctions de vice-président de l'Assemblée. Ils connaissent le rôle que je dois jouer. Je suis toujours à leur disposition. Mes fonctions à la présidence ne m'empêchent certainement pas de servir les citoyens de ma circonscription. Par exemple, je n'hésite pas à m'adresser à un ministre en leur nom. De fait, je suppose que mes fonctions de vice-président me donnent un avantage sur les autres députés lorsque je m'adresse à un ministre. Aucun ministre n'a jamais refusé de me voir ni de m'aider.

Chaque fois que j'occupe le fauteuil, je sais que ma responsabilité consiste à m'assurer d'abord et avant tout que les députés peuvent s'exprimer. C'est l'essentiel. Quand j'occupe le fauteuil, j'oublie que je suis libéral, j'oublie que les autres sont conservateurs, néo-démocrates ou de quelque autre allégeance.

Noble Villeneuve : Quand j'occupe mon siège de député du Parti progressiste-conservateur, croyez-moi, je suis loin d'être neutre. Je suis très partisan. Cependant, je pense que la nature humaine est ainsi faite que, chaque fois qu'on occupe le fauteuil, on dépasse probablement la politique partisane et on tente de donner l'impression qu'on est objectif. J'espère ne pas avoir nui à mon propre parti. Je ne crois pas l'avoir fait.

Mais peu importe le parti dont il est issu, il arrive que le Président ait tendance à être un peu plus sévère pour ses propres collègues, simplement pour laisser l'impression qu'il fait vraiment de son mieux pour être impartial.

Je crois que nous prenons tous les décisions qui nous semblent les meilleures quand nous occupons le fauteuil, puis quand nous agissons à titre de député représentant une circonscription et un parti en particulier. Vous constaterez probablement que la plupart des présidents ont peut-être tendance à afficher des opinions un peu moins politisées que les attitudes les plus radicales et les plus politisées qu'adoptent parfois certains députés. Cela me paraît de bonne guerre. Nous ne cachons certainement pas que nous avons été élus pour représenter un parti et que cela crée des obligations. Nous pouvons nous en acquitter avec beaucoup de zèle, parfois à la grande joie de certains et au grand déplaisir d'autres personnes. Il arrive aussi qu'on fasse son travail purement et simplement, en affichant un certain sectarisme politique, mais toujours dans l'intérêt de ses électeurs. L'essentiel c'est de faire passer les électeurs avant tout le reste.

Dennis Drainville : Je crois que deux types de personnes viennent au Parlement. D'abord, des politiciens vraiment partisans qui jugent primordial, important et urgent de défendre le point de vue de leur parti. Ces gens sont rarement de bons présidents de séance parce qu'ils ont du mal à occuper le fauteuil et à jouer un rôle non partisan.

J'appartiens à l'autre groupe. Je n'éprouve aucune difficulté à me dissocier des points de vue partisans de mes collègues. Je siège maintenant comme indépendant. Je pense que, jusqu'à un certain point, cela me rend plus capable de jouer le rôle qu'on m'a confié.

Arrive-t-il souvent que des députés discutent en privé d'une décision avec le Président?

David Warner : Pour être franc, je ne vois pas autant de députés dans mon bureau que je le souhaiterais. Des députés sont venus me voir pour discuter de questions qui les préoccupaient. Je crois que c'est bien et que cela vaut mieux que de simples critiques. On ne peut plus contester les décisions du Président. J'ai été député à un moment où c'était possible, et les critiques me mettaient toujours mal à l'aise, pour vous dire la vérité. C'était très embarrassant pour le Président. Les députés ne critiquaient pas le Président parce qu'ils ne l'aimaient pas ni parce qu'il avait pris une mauvaise décision; ils contestaient pour des raisons politiques.

Cette attitude n'a pas sa place dans un Parlement. Le Président doit rendre une décision en fonction du Règlement, des précédents, de la philosophie. Il se fonde donc sur les ouvrages de référence comme le Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usages of Parliament d'Erskine May et la Jurisprudence parlementaire de Beauchesne. Il se fonde sur la jurisprudence à Westminster et à Ottawa et en Australie, ainsi que sur son propre Règlement. Il soupèse tous les facteurs et prend une décision. Il ne sied pas de contester cette décision à la Chambre. Mais lorsqu'une décision déplaît à un député, qu'il aille voir le Président. Qu'il prenne le temps de discuter, de se faire expliquer les motifs de la décision. Voilà un comportement sain. J'ai rencontré peu de députés, mais j'aimerais certainement en voir davantage s'ils ne sont pas contents.

Gilles Morin : Oui, des députés sont venus me voir, mais habituellement pour me faire des compliments à propos d'une décision. J'ai été critiqué à l'occasion. Toutefois, la présidence est un travail solitaire. De toute évidence, il est agréable d'être aimé, mais je ne suis pas là pour prendre parti ni pour essayer de favoriser un camp ou l'autre. J'ai le devoir d'être ferme, équitable et amical.

Noble Villeneuve : Des députés de tous les partis sont venus me dire qu'ils étaient d'accord avec une décision ou laisser entendre en blaguant que j'avais cédé trop facilement à propos de tel ou tel aspect. Cela donne au moins matière à réflexion. Le ton peut être blagueur ou sérieux, mais un président a tendance à se souvenir de ces remarques la prochaine fois qu'il doit prendre une décision, en toute impartialité, il l'espère.

Au début, je ne me rendais pas du tout compte que, même si je n'avais jamais présidé de périodes de questions, j'avais dirigé des débats plutôt controversés. J'ai tenté de maîtriser la situation et, d'après les remarques du public et de mes collègues, je fais du bon travail. C'est agréable à entendre de la part des gens dont on tente d'ordonner les débats. Cependant, en général, les présidents de séance sont beaucoup plus en vue que je ne l'aurais cru. Les députés d'un tiers parti ont tendance à être un peu éclipsés par bien d'autres personnes, et c'est de bonne guerre. Toutefois, quand j'occupe le fauteuil, les électeurs de ma circonscription peuvent me signaler qu'ils m'ont vu diriger une séance et que je semblais bien maîtriser la situation quand le ton a monté. J'en tire alors une très grande satisfaction.

On prend donc cette tâche pour ce qu'elle est et on tente d'être impartial sans voler la vedette. Il est tout simplement impensable de laisser le Président tenter de voler la vedette, peu importe ce qui le motive à agir ainsi. C'est un peu comme quand on regarde un match de hockey à la télé et qu'on se plaint sans cesse du travail de l'arbitre. Par contre, lors d'un autre match, l'arbitre travaille de manière si effacée qu'on le croirait absent. C'est ainsi que j'essaie d'être. Mais il faut parfois ramener les députés à l'ordre et leur rappeler que les remarques sont déplacées, qu'ils doivent attendre leur tour pour intervenir s'ils le veulent. Fondamentalement, c'est ce que le Président doit faire.

Dennis Drainville : Cent trente députés, c'est un petit groupe et on connaît tout le monde. Quand on prend une décision qui nuit à un député ou à un parti dans un débat en particulier, des gens viennent habituellement nous voir par la suite pour nous dire qu'on s'est trompé et pour demander des explications. Il arrive même parfois qu'on soit accusé d'être injuste.

Mais, règle générale, ces réactions sont immédiates parce que, au Parlement, qui est aussi un théâtre à grande échelle, les émotions sont toujours à fleur de peau. Les gens ont des opinions bien arrêtées et lorsqu'on dit ou fait quelque chose ou qu'on prend une décision contre un député ou un parti, certains ont l'impression qu'on leur veut du mal.

Avec un peu de recul, des jours plus tard, les gens qui n'y sont pas allés de main morte ou qui ont haussé le ton à votre endroit reviennent généralement s'excuser, conscients qu'ils ont agi sous l'effet de la colère. Ils se rendent compte que la décision du Président n'était pas partisane mais plutôt une décision qui devait être prise pour maintenir l'ordre à la Chambre.

Avez-vous une opinion sur l'efficacité de la période de questions ici en Ontario?

David Warner : D'abord, la période de questions est très importante parce qu'elle fournit à l'opposition la meilleure occasion qui soit d'attirer l'attention sur les questions d'actualité. Dans notre régime parlementaire, elle joue donc un rôle primordial et crucial. Cependant, les députés de l'opposition posent des questions dont ils connaissent déjà les réponses et les ministres répondent évasivement. C'est donc un jeu de part et d'autre. Les députés ont préparé leurs questions supplémentaires. Les ministres ont leurs cahiers d'information. C'est du théâtre, vraiment. Ce n'est pas Stratford, mais c'est tout de même du théâtre.

Selon moi, le nombre de personnes qui prennent la parole, le temps consacré à cette activité et le reste dépendent des députés. Le Président peut les rappeler à l'ordre, et je le fais, mais si un groupe, y compris le gouvernement, veut qu'on pose plus de questions, il lui suffit d'imposer à ses membres des règles quant à la durée des questions et des réponses.

Je peux arbitrer le débat, mais si les députés sont vraiment alertes, ils poseront des questions directes et succinctes. Le plus drôle, c'est que la même règle s'applique bien sûr à l'autre camp. Les ministres répondraient brièvement, parce que nous permettons aussi aux députés d'arrière-ban de poser des questions et que très peu d'entre eux ont le temps de le faire. Par conséquent, si le gouvernement veut rendre service à ses députés d'arrière-ban, il devrait miser sur la brièveté.

L'efficacité de la période de questions dépend donc dans une large mesure des députés plutôt que du Président. À eux d'en faire ce qu'ils veulent. Nous avons des chiffres et des statistiques que les députés demandent parfois. Je les leur fournis en indiquant combien de temps ils prennent et que je dois les rappeler à l'ordre. Le plus drôle c'est que tous les députés le savent bien lorsqu'ils sortent de la Chambre et sont interrogés par les journalistes. Ils savent qu'ils doivent faire passer leur message en 40 secondes.

Pourquoi ne peuvent-ils pas en faire autant à la Chambre? Ils y arrivent à l'extérieur, dans les couloirs. Les médias sont devenus encore plus stricts. Ils veulent qu'un député explique en 25 secondes une question complexe sur les moyens de redresser l'économie.

Les députés y parviennent devant les micros des journalistes alors que, pour une raison inconnue, ils en étaient incapables quelques minutes plus tôt à la Chambre.

Quelles sont les réformes parlementaires nécessaires, selon vous?

David Warner : Je pense que l'un des défis, quand on est élu à la présidence pour la première fois, c'est de cesser d'être un politicien pour devenir un parlementaire. Au bout du compte, étant donné tous les problèmes profondément enracinés et la volonté d'avoir une démocratie véritable, les solutions dépendent des parlements et non des gouvernements. Les parlements régleront ces problèmes. L'un des moyens d'y parvenir est de charger un comité du règlement, peu importe le nom qu'on lui donne, d'examiner de temps à autre les façons de se moderniser et, sans sectarisme politique, d'instaurer des règles qui répondent aux besoins du Parlement. Tous n'ont pas cet intérêt et c'est bien dommage.

Il existe des défis véritables. Notre système de comités est dépassé, lourd et pas très efficace. Il a vraiment besoin d'une réforme et, à mon avis, nous ne faisons pas grand-chose en ce sens. Les mesures qu'on pourrait prendre ne manquent pas. Westminster a déjà modifié profondément son système de comités, ce qui a donné quelques bons résultats. Ottawa a fait de même et obtient de bons résultats. Pour notre part, nous tournons en rond et c'est vraiment regrettable.

Pour que la réforme se réalise, il faut que des députés de tous les partis qui sont intéressés véritablement par le Parlement exercent des pressions afin de changer, pour le bien de l'institution, le mode de fonctionnement des comités, leur composition, leur mandat, tout, en un mot. Il faut une refonte complète. Comme il y a beaucoup de nouveaux députés à la Chambre, il est difficile de s'attendre à des miracles et difficile de s'attendre à de nombreux changements du jour au lendemain. Le fort roulement des 10 dernières années détruit la continuité. Il y a eu trois gouvernements différents depuis 10 ans. Je ne connais pas les chiffres exacts, mais je parierais que nous avons vu passer de 200 à 250 députés durant cette période. La stabilité en prend donc pour son rhume. Cela ne fait aucun doute.

Dennis Drainville : Je m'inquiète que le Président manque de pouvoir discrétionnaire. Nous avons grandement réduit le rôle du Président dans notre Assemblée législative, au point que, en réalité, le Président a très peu de marge de manœuvre et que, malheureusement, la règle de la majorité finit très souvent par devenir la tyrannie de la majorité.

Ainsi, nous avons proposé de nouveaux règlements et les avons présenté comme des réformes. Ces règlements réduisaient fortement les possibilités pour les députés de défendre véritablement leur cause à la Chambre. Le gouvernement a déclaré à l'époque qu'il n'invoquerait pas toujours la nouvelle règle sur la répartition du temps. Néanmoins, nous avons constaté au cours de la dernière session que, de plus en plus, le temps était réparti selon cette règle. Nous le verrons de nouveau dans la session actuelle.

Le gouvernement se servira toujours des outils à sa disposition. C'est ainsi que fonctionne le système. Il faut donc s'assurer qu'il y a des espèces de freins pour empêcher les abus de pouvoir.

Il est beaucoup question de la nécessité de relâcher la discipline de parti. Qu'en pensez-vous?

David Warner : La discipline de parti a toujours été très stricte en Ontario, assez peu souple et, à vrai dire, elle est actuellement plus stricte que jamais. Vous avez peut-être constaté quelques dissensions chez les députés du gouvernement, mais les dissidents paient un prix très élevé. C'est vrai aussi chez les députés de l'opposition. Lorsque le gouvernement estime qu'il s'agit d'une question de confiance, le député de l'opposition se mettrait dans l'eau bouillante s'il votait avec le gouvernement. La discipline de parti sert donc très bien les deux camps.

Elle est plus stricte chez nous qu'en Grande-Bretagne. Selon moi, cela s'explique en partie par le fait que, en Grande-Bretagne, le gouvernement indique très clairement quelles questions sont des questions de confiance et quelles ne le sont pas. Nous n'agissons pas ainsi chez nous. Après avoir dégagé ce qui est important pour le gouvernement et ce qui l'est moins, il est plus facile de permettre les dissensions.

S'il ne s'agit pas d'une question de confiance, qu'arrive-t-il lorsque le gouvernement perd le vote? Ce n'est pas la fin du monde. Lorsque le gouvernement est majoritaire, il peut toujours se permettre de perdre certains députés. Il emportera tout de même le scrutin, pas par un compte de 72 à 51, par exemple, mais plutôt de 70 à 53. Qu'importe, puisqu'il gagne tout de même.

Sur une question de conscience ou un sujet qui intéresse fortement ses électeurs, le député peut exprimer son opinion. Cela me paraît sain pour le système, mais la discipline de parti qui règne en Ontario donne l'impression qu'il faut être tout à fait d'accord avec le parti, sinon on est déloyal. Cela me semble déplacé. Je crois que c'est mauvais. Je pense que notre régime serait beaucoup plus sain à long terme si nous permettions simplement aux députés de s'exprimer, au Parlement de s'exprimer et aux caucus de déterminer ce qui est réellement important et ce qui l'est moins, afin que les députés puissent ensuite voter comme ils le veulent. Nous n'en sommes pas là actuellement. Nous ne permettons pas aux députés de s'abstenir.

Nous permettons aux électeurs de le faire. Comme citoyen, je peux me rendre au bureau de scrutin et déclarer au directeur de scrutin que je veux m'abstenir. Je peux lui demander de rayer mon nom. Mon bulletin de scrutin est alors compté comme une abstention parce qu'aucun des candidats ne me plaît.

Pourquoi un député ne pourrait-il pas se lever et déclarer qu'il n'aime pas la position du gouvernement, ni celle de l'opposition et que, par conséquent, il ne veut pas voter sur la question. Il est présent, il a assisté au débat, il a participé, mais il ne veut pas voter et voudrait s'abstenir. Nous ne lui permettons pas de le faire. Je ne dis pas que nous devrions donner cette permission, mais je crois que nous devrions étudier la question et que nous ne le faisons pas.

Je comprends l'importance de la discipline de parti, mais nous sommes allés trop loin. Si j'avais un souhait à exprimer ce serait d'envoyer tous les députés, pas tous ensemble mais en petits groupes, à Westminster pour qu'ils voient comment on s'y prend là-bas, parce que les Britanniques ont trouvé une meilleure solution. Ils ont bien sûr une longueur d'avance sur nous. Le Parlement britannique existe depuis 700 ans. Nous sommes plus jeunes. N'empêche que j'enverrais tous les députés siéger à la Chambre des communes, siéger à la Chambre des lords, rencontrer le Président, rencontrer les greffiers, les membres des comités, observer les travaux des comités. Ils reviendraient mieux informés, je crois, et avec une vision plus souple de la façon dont le Parlement devrait fonctionner.

Dennis Drainville : Je crois que la discipline de parti constitue un important problème. Nous avons une vision très outrancière de la discipline de parti au Canada, et sans aucun doute en Ontario. Il faut la changer. Je pense que nous devons donner plus de liberté aux députés d'exprimer leur désaccord avec leur propre parti ou avec le gouvernement, si leur parti est au pouvoir. Il devrait y avoir moyen de s'assurer que, lorsqu'un projet de loi d'initiative ministérielle est défait, on n'en fait pas une question de confiance. Je pense qu'il y a bien des façons d'y arriver.

Quand je demande aux ministres à qui ils s'adressent lorsqu'ils mettent la dernière main à un projet de loi pour s'assurer que rien n'a été oublié, ils me répondent rarement – en réalité, aucun ne m'a jamais affirmé – qu'ils écoutent les débats à la Chambre et dans les comités. La vérité est que nous participons constamment à des débats qui n'ont aucun effet réel sur l'orientation du gouvernement. Il en est ainsi non pas à cause du Règlement, mais plutôt à cause de la façon dont la structure gouvernementale fonctionne en Ontario. Au cours des 30 dernières années, le pouvoir s'est déplacé de l'Assemblée législative vers le cabinet du premier ministre. C'est là que se prennent les décisions – peu importe qui est premier ministre, qu'il s'agisse du premier ministre actuel ou de tous ceux qui l'ont précédé. C'est vrai non seulement en Ontario, mais partout ailleurs au Canada.

Par conséquent, ce déplacement du pouvoir au sein de la structure gouvernementale a eu des répercussions sur les députés, parce que nous ne sommes plus considérés comme des gens qui participent réellement à la formulation des politiques ou à l'adoption de lois. Nous sommes plutôt – et je déteste employer ce terme très négatif – des pions dans un jeu politique où nous devons voter selon les ordres du Premier ministre ou de notre chef. Cette façon d'agir a une incidence extrêmement négative sur le fonctionnement du Parlement.

Il existe diverses solutions. On pourrait avoir un système où des motions de confiance suivent toujours la défaite d'un projet de loi d'initiative ministérielle. Dans ce cas, on ne s'attendrait jamais à ce que le gouvernement tombe, à moins qu'il y ait eu une motion.

Je pense que les audiences publiques après l'acceptation du principe d'un projet de loi, après la deuxième lecture, n'ont aucun sens. Je crois que nous devons d'abord nous doter de commissions de l'Assemblée législative, inspirées peut-être du modèle suédois ou du modèle québécois. Un ou deux députés se penchent alors sur une question en particulier, consultent le plus possible la population pour connaître son opinion, rédigent ensuite un livre blanc, voient comment il est accueilli et l'améliorent. Ce document finit par énoncer les principes et indiquer la voie à suivre.

On permet ainsi davantage à la population de s'exprimer sur une question, mais aussi aux députés d'avoir vraiment leur mot à dire sur l'orientation finale du projet de loi. Cela me paraît important.

Je pense aussi qu'il devrait y avoir plus de projets de loi d'initiative parlementaire. Le gouvernement ne devrait pas toujours mettre des bâtons dans les roues pour empêcher le dépôt de projets de loi de ce genre. C'est ce qui arrive en Ontario; c'est une pratique odieuse et, selon moi, elle sape les droits des députés.

Quelle a été, s'il y a lieu, l'incidence de la télévision sur le comportement des députés?

David Warner : Tout compte fait, je crois qu'elle a eu un effet positif. Les députés ont au moins tendance à mieux se vêtir. Ils sont moins enclins à afficher un comportement asocial. Quelques-uns font leur petit numéro devant la caméra, mais ils ne sont vraiment pas nombreux. Je pense que nous sommes responsables des effets négatifs, en ce sens que nous n'vons pas préparé le public à ce qui l'attendait.

Ce n'est pas de sa faute. Nous ne lui avons pas dit d'avance à quoi il devait s'attendre lorsqu'il nous regarde à la télévision. Le Parlement n'est pas une église et pas une école non plus. C'est un Parlement où nous avons lutté pendant des siècles pour avoir le droit de nous exprimer sans représailles, sans crainte de mourir, sans crainte d'être battus, pour avoir le droit de donner notre opinion au nom des gens que nous représentons. La liberté de parole absolue est un principe démocratique très profondément enraciné. C'est ce qu'on voit au Parlement.

On manque souvent de civilité, c'est sûr, et certains propos sont déplacés. Il incombe donc au Président de rappeler les gens à l'ordre. Les députés ne devraient pas agir ainsi, mais je suis bien conscient qu'ils doivent aussi débattre des questions d'une manière vivante et animée. Notre Parlement le veut ainsi, c'est ainsi qu'il fonctionne. C'est l'essence même du régime parlementaire britannique. Nous voulons donc que ces aspects demeurent.

Cependant, nous n'avons rien expliqué de tout cela au public. Les gens ont commencé à nous voir à la télé en 1986 ou en 1987 et certains ont été tout simplement horrifiés par ce qu'ils ont vu. Ce qu'ils voient maintenant n'est pas pire que par le passé. En fait, la situation est meilleure à certains égards. Au début, il y avait même des batailles. Les députés en venaient aux poings ou sortaient leurs épées. Des gens étaient tués ou battus. Tout cela, c'est du passé. Les députés se sont assagis. En réalité, le comportement des députés est plus civilisé aujourd'hui qu'il ne l'était il y a 100 ans. Mais nous n'avons tout simplement pas préparé le public. Personne ne savait ce qui se passait ici il y a 100 ans.

Tout compte fait, la télévision a donc été une bonne chose. J'exhorte cependant de nombreux députés à mieux se comporter. Je pense qu'être poli et civilisé et écouter les autres est très important dans n'importe quel milieu, y compris au Parlement.

Que pensez-vous de la qualité des débats et de la conduite des députés à l'Assemblée?

Gilles Morin : Je me souviens de ma visite à la Chambre des communes britannique il n'y a pas très longtemps. J'ai trouvé les Britanniques tellement corrects. Ils le sont par tempérament et ils arrivent à vous envoyer au diable avec beaucoup d'élégance. C'est parce qu'ils maîtrisent parfaitement la langue. Je souhaiterais que certains de nos députés les imitent.

Dans quelle mesure les présidents de séance collaborent-ils ensemble?

David Warner : Je rencontre le greffier tous les jours, et notre équipe composée du vice-président et des deux vice-présidents du Comité plénier, de moi-même, du greffier, des deux greffiers au Bureau et du sergent d'armes se réunit une fois par semaine. Nous discutons des événements des derniers jours et de ceux qui sont susceptibles de se produire bientôt, échangeons des renseignements, passons en revue les difficultés que nous avons rencontrées et demandons conseil.

La discussion se déroule toujours à bâtons rompus. J'essaie, quand la Chambre siège, de voir très régulièrement les personnes avec qui je partage la présidence. Nous nous voyons tous les jours, nous causons. Il y a donc une communication constante, un échange d'information et un but commun. Parce que notre équipe de huit personnes se rencontre périodiquement, nous pouvons avoir une vision commune de la façon dont la Chambre devrait fonctionner et ça fonctionne.

Ça fonctionne parce que Noble, Gilles et Dennis sont tous disposés à laisser de côté leurs sentiments partisans pour atteindre un objectif commun au Parlement et pour faire fonctionner le Parlement. Je ne pourrais tout simplement pas y parvenir tout seul. C'est impossible. Leur collaboration est absolument fantastique. Ce sont des professionnels. J'ai vu Noble occuper le fauteuil et résister au feu nourri des collègues de son parti. Il répond qu'il y a des règles, pas les siennes, mais celles de la Chambre. Il faut vraiment lever son chapeau devant ces types, parce qu'ils font fonctionner notre Assemblée.

Gilles Morin : Je connais M. Warner depuis 1985. Quand il est revenu après l'élection de 1990, il a été facile pour nous de ranimer notre amitié. Il y a des liens d'amitié et un respect mutuel entre les quatre personnes qui occupent le fauteuil. Nous travaillons ensemble et nous nous entendons bien. Nous savons que nous sommes là pour servir les députés.

Je trouve qu'il existe un bel esprit d'équipe entre nous, une belle entente. Ce que nous avons en Ontario est unique. Le Président y est pour beaucoup. Il a le genre de personnalité qui rassemble les gens et c'est extrêmement important.

Noble Villeneuve : Nous nous rencontrons régulièrement. Une fois par semaine, tous les présidents de séance ainsi que les hauts fonctionnaires de la Chambre discutent de quelques-unes des situations qui se sont produites pendant la semaine précédente, de la façon dont on y a fait face ou dont on pourrait y faire face. Nous prévoyons un peu à l'avance ce qui va se produire, sans dévoiler de secrets politiques ni de surprises éventuelles, et nous tentons de prévoir les décisions difficiles que devrait prendre alors la personne qui occuperait le fauteuil en tenant compte du Règlement et des règles de la Chambre.

Il y a des consultations avec le greffier et les hauts fonctionnaires de la Chambre qui connaissent le Règlement sur le bout des doigts. J'ai été contesté au comité plénier et le Président a dû intervenir. Il a alors appuyé ma décision. Nous avions discuté de ces possibilités lors de notre réunion précédente. Je trouve donc ces rencontres fort utiles dans de telles circonstances.

L'Assemblée législative de l'Ontario a créé un précédent en 1990 en élisant son Président au scrutin secret. Comment a-t-on procédé? S'agit-il d'une innovation positive?

David Warner : En 1989, l'Assemblée législative a modifié son Règlement afin que le Président soit désormais élu officiellement par les députés au scrutin secret. Auparavant, le gouvernement proposait à la présidence un candidat (habituellement après avoir consulté officieusement l'opposition) que la Chambre confirmait. Le nouveau Règlement s'inspire d'un règlement semblable adopté à la Chambre des communes canadienne en 1985. Cette façon de procéder vise à s'assurer que le Président est un député qui jouit de l'appui de ses collègues.

J'ai été le premier Président élu conformément au nouveau Règlement. Le 19 novembre 1990, au début de la 35e législature, j'ai remporté l'élection au second tour et défait trois autres candidats.

Je pense que l'élection du Président atteint deux ou trois buts. On peut espérer qu'elle crée un terrain neutre pour les députés. Ceux-ci peuvent se dire qu'ils ont élu le Président et donc que la décision leur revient, qu'ils participent au fonctionnement de la Chambre. Quant à moi, parce que le Président ne sait jamais qui a voté pour lui et qui a voté contre lui, je traite tous les députés sur un pied d'égalité.

Il n'y a pas de favoris. Aux yeux du Président, le plus récent député du tiers parti est tout aussi important que le premier ministre. Je crois que cette attitude résulte en partie du processus électoral, parce qu'il est impossible de savoir qui a voté pour soi. Ma candidature a été proposée par un député du parti au pouvoir et appuyée par un député de l'opposition. On commence son travail en se disant qu'on a obtenu une allégeance égale et que tout le monde est important.


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 16 no 3
1993






Dernière mise à jour : 2020-09-14