Heath Macquarrie
Richard
Hatfield : un dernier train pour Hartland, par Michel Cormier et
Achille Michaud, Libre Expression, 315 pp.
J'ai
rencontré Richard Hatfield pour la première fois à l'été de 1957. Il était l'un
des adjoints du nouveau ministre du Commerce, Gordon Churchill, dont le bureau
se trouvait voisin du mien sur la colline. À cette époque, je ne voyais pas
souvent ce charmant jeune homme du Nouveau- Brunswick, sauf lorsqu'il sortait
l'argenterie ayant servi à son thé de l'après-midi pour qu'on la retourne au
restaurant parlementaire (peut-être une indication précoce de l'esthète en
lui). Il n'était pas rempli de cette joie mêlée de surprise dont débordaient de
nombreux conservateurs d'Ottawa après la grande percée des élections de juin
1957.
Dans les
derniers mois de sa vie, celui qui avait été Premier ministre pendant
longtemps, homme d'État d'envergure nationale et iconoclaste énigmatique, était
redevenu mon voisin à l'étage des sénateurs de l'édifice de l'Est. Comme le
font souvent les vétérans de la scène politique, nous parlions parfois des
batailles perdues et gagnées. Nous avons également échangé des recettes de «
fèves au lard ». Un jour, il est revenu de Fredericton avec tous les
ingrédients de sa recette, que j'ai essayée et que j'ai trouvée presque aussi
bonne que la mienne. Ces petits gestes attentionnés faisaient partie de son
charme.
Au fil
des ans, je l'ai souvent rencontré dans des assemblées politiques, publiques et
universitaires. Lors des élections de 1970 et de 1982 au Nouveau-Brunswick,
j'ai accepté son invitation à participer à la campagne dans cette province,
même si je trouvais cela un peu présomptueux de la part d'un résidant de
l'Île-du-Prince-Édouard. Néanmoins, j'ai pris un immense plaisir à cette
activité, en particulier les réunions de la côte nord.
Après
l'avoir fréquenté pendant de nombreuses années, je ne puis prétendre l'avoir
bien connu. Richard Hatfield était un homme intéressant (même si parfois ses
discours ne l'étaient pas), voire fascinant à l'occasion, mais toujours
difficile à saisir. On avait beau être très près de lui, on conservait
l'impression de ne pas le percevoir distinctement.
Dans cet
ouvrage d'accès facile, les auteurs, les correspondants Michel Cormier et
Achille Michaud, font une bonne analyse d'une personnalité complexe et parfois
contradictoire. Nous pouvons y observer un Richard Hatfield solitaire, soucieux
de maintenir un certain écart entre lui et la plupart de ses collègues. Si les
symboles l'émouvaient, les détails l'ennuyaient. Souvent à court d'enthousiasme
ou d'entrain, il n'en a pas moins dépassé ses collègues étudiants en droit
criminel à l'université Dalhousie, y compris le brillant et ambitieux John
Crosbie. Pour certains de ses associés politiques, Hatfield était une sorte de
« dandy », de « prima donna »; quoi qu'il en soit, s'il n'était guère
orthodoxe comme premier ministre, il était loin de manquer d'échine. De fait,
il tenait fermement les rênes du gouvernement du Nouveau- Brunswick chaque jour
de l'année, qu'il fût dans la province ou se trouvât sous des cieux plus
exotiques.
Dans
l'ensemble, il s'agit d'un livre intéressant et bien écrit, mais qui comporte
des lacunes. Le chapitre portant sur l'affaire Atkinson est à la fois trop long
et trop vague. En outre, il y a des erreurs factuelles. Par exemple, si l'on a
bien présenté le jeune Hatfield, âgé de sept ans, à R.B. Bennett au cours d'un
congrès du Parti conservateur, c'était à Ottawa et non à Winnipeg (p. 37). En
revanche, les auteurs accomplissent du bon travail lorsqu'ils passent en revue
les relations entre M. Hatfield et les Acadiens. Pendant longtemps, au
Nouveau-Brunswick, être Acadien signifiait être libéral. En règle générale,
dans une démocratie multiethnique, la corrélation entre l'esprit de parti et
les considérations ethniques est une réalité regrettable. Toutefois, peu
importe ce que Richard Hatfield était ou n'était pas, ce qu'il a fait ou n'a
pas fait, son ouverture à la population acadienne de sa province lui donne
droit au plus profond respect devant le tribunal de l'histoire. Il a édifié une
province différente et meilleure. Il a appliqué les mêmes valeurs universelles
dans l'intérêt de son pays et de sa province, et tous deux s'en portent mieux
aujourd'hui.
Inévitablement,
cette biographie prend fin sur une note tragique. En effet, l'élection de 1987
au Nouveau- Brunswick s'est avérée un désastre sans nom. Après le balayage de
1935 où Walter M. Lea avait obtenu les 30 sièges de l'assemblée législative de
l'Île-du-Prince-Édouard, il ne s'était produit aucun autre balayage total au
Canada.
Il est
toujours plus difficile d'expliquer le résultat des élections que de les
prédire. Les auteurs donnent à penser que la vie politique et la vie
personnelle de Richard Hatfield se sont confondues. En lisant leurs remarques
sur l'identification de l'homme et du poste, je ne peux m'empêcher de penser à
cette phrase célèbre de Louis XIV : «L'État, c'est moi». Il se peut que les
insinuations, les propos diffamatoires et les incertitudes au sujet de son
style de vie aient entraîné la terrible annihilation politique de 1987. Mais
n'y a-t-il pas eu d'autres causes?
Richard
Hatfield n'était certes pas un hypocrite ni un faux jeton. Et les gens du
Nouveau-Brunswick ne sont pas réputés pour leurs excès de pruderie. Comme le
signalent les auteurs, ses concitoyens semblaient même fiers qu'il connaisse
par coeur le chemin menant à Montmartre. Par ailleurs, certaines manies ou
marottes n'ont pas empêché d'autres chefs politiques de se faire accepter et
apprécier. L'échec retentissant a-t-il été uniquement le fait d'un homme, ou
était-il attribuable également au parti?
Bien
entendu, Richard Hatfield s'est présenté une fois de trop devant l'électorat
-contrairement à Brian Mulroney qui, en dépit des conseils qu'on lui
dispensait, a choisi la voie la plus sage pour son parti et pour lui-même.
Comme le
signalent les auteurs, «le reste des années de gouvernement de Richard Hatfield
se lit comme la chronique des dernières heures d'un navire en perdition.» (p.
273) « [...] le parti, dans une sorte d'attitude fataliste, s'est présenté à
l'élection comme le troupeau de caribous se présente au bord de la rivière
Caniapiscau, au Nouveau-Québec. Avec le résultat que l'on connaît. » (p. 286)
Peu importe qui est à sa tête, un parti politique n'est jamais limité à la
personnalité de son chef. N'a-t-on pas remarqué aussi qu'il est dangereux de
retarder trop longtemps une élection? Et n'y a-t-il eu aucune préoccupation
d'exprimée au sujet du délai de ratification de l'Accord du lac Meech, dont M.
Hatfield était un ardent défenseur?
Ce livre
suscitera des réflexions plus approfondies sur l'homme et sur la période
Hatfield. Il mérite qu'on l'étudie avec soin.
Heath
Macquarrie
Le Sénat
(Ottawa)
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