Gary Levy
« The Facts on Free Trade », dirigé par Ed
Finn avec la collaboration de Duncan Cameron et John Clavert, James Lorimer
& Company, Toronto, 1988; « Free Trade Free Canada »,
dirigé par Earle Gray, Canadian Speeches, Woodville (Ontario), 1988.
Le texte officiel de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis et bon nombre
des résumés connexes sont complexes au point d'être pratiquement
incompréhensibles pour le commun des lecteurs. Les études poussées et les
conférences d'économistes ne sont guère plus utiles pour nous faire mieux
comprendre la nature de ce traité. Il n'y a donc rien de surprenant à ce que
l'on décide du sort de cet accord, au Canada du moins, en se fondant sur des
principes idéologiques, sentimentaux et politiques. Ces deux petits recueils
d'articles reflètent des opinions diamétralement opposées sur la question.
En dépit de son titre, le recueil compilé par Ed Finn présente peu de données
factuelles. Tous les collaborateurs s'opposent au libre-échange. Bob White,
président des Travailleurs canadiens de l'automobile, soutient que le Canada a
renoncé aux garanties d'emplois prévues dans le Pacte de l'automobile. Bruce
Wilkensen, professeur d'économie à l'Université de l'Alberta, considère cet
accord comme une étape vers l'affiliation politique du Canada aux États-Unis.
Quant à Ian Scott, procureur général de l'Ontario, il prétend que le traité est
anticonstitutionnel puisqu'il touche certaines questions qui sont strictement
du ressort des provinces; Eric Kierans, ancien homme politique québécois,
estime qu'il s'agit d'une mesure inutile qui ne contribuera nullement à
remédier au véritable problème de la propriété étrangère. Jeff Rose, président
du Syndicat canadien de la fonction publique, craint que cet accord n'entraîne
des changements dans la politique sociale plus progressiste du Canada.
L'article le plus virulent est peut-être celui de Duncan Cameron, professeur de sciences
politiques à l'Université d'Ottawa. Il remet en question l'hypothèse
fondamentale selon laquelle les deux pays s'efforceront d'adopter des
politiques communes. Compte tenu de la différence de taille entre les deux
pays, il déclare : « Les États-Unis vont-ils adopter
l'assurance-maladie universelle et l'assurance-chômage, et commencer à payer
des pensions acceptables? Ou allons-nous privatiser, déréglementer et miner
notre secteur public en accordant des dégrèvements d'impôt aux riches?
Les États-Unis vont-ils commencer à lutter contre la famine et à améliorer les
conditions de vie au tiers-monde? Ou allons-nous lutter contre la menace
communiste et faire en sorte de faciliter l'accès aux ressources du tiers-monde
à des sociétés multinationales? [...] Je suis Canadien, et non Américain.
Ma nationalité est importante à mes yeux. Je ne veux pas vivre dans un Canada
régi par des lois établies en fonction de décisions américaines contre
lesquelles je n'ai aucun recours. Je veux que mon pays n'ait pas pour unique
objectif une coopération accrue avec les États-Unis. »
Une opinion tout à fait contraire émane du recueil compilé par Earle Gray à partir
de discours de célèbres partisans du libre-échange, et notamment Simon Reisman,
négociateur en chef, Grant Devine, premier ministre de la Saskatchewan, Allan
Gotlieb, ambassadeur du Canada aux États-Unis, le romancier Mordecai Richler,
l'artiste Christopher Pratt et un certain nombre de dirigeants d'entreprises.
David Daubney, député, signale que le libre-échange n'est pas une panacée à tous nos
maux économiques. S'il nous donne l'occasion d'accroître notre productivité, il
n'en est pas une garantie. Thomas d'Aquino, du Conseil d'entreprises pour les
questions d'intérêt national, rejette l'opinion selon laquelle des liens
économiques aboutiraient nécessairement à l'affiliation politique. « Au
cours de ce siècle, il n'y a pas eu un seul cas où la libéralisation des
échanges entre deux pays a mené à l'intégration politique. En outre, le
principe d'un marché commun ou d'une union politique ne rallie guère de
partisans, pas plus au Canada qu'aux États-Unis. »
Gerald Regan, ancien premier ministre de la Nouvelle-Écosse devenu par la suite
ministre fédéral du Commerce, déclare que la nécessité de soutenir la
concurrence sur le marché américain dans le cadre d'un régime de libre-échange
ne nous obligera pas à démanteler nos programmes sociaux. « Ces dernières
années, les droits de douane sur les produits importés des États-Unis ont
diminué de 85 p. 100. Cette dépendance croissante à l'égard des États-Unis
n'a pas sapé notre régime de sécurité sociale. Au contraire, au cours de la
même période, nous avons étendu notre régime d'assurance-chômage et interdit la
surfacturation à l'égard des services médicaux. Si la suppression de 85 p. 100 des barrières douanières n'a eu aucune incidence sur nos programmes
sociaux, pourquoi la levée des 15 p. 100 restants aurait-elle de telles
conséquences ? Bien entendu, cela ne sera pas le cas et ce genre
d'argument, totalement absurde, ne vise qu'à semer la panique[...] L'opposition
de bon nombre d'organismes et de bien des gens est due au fait, je le crains,
qu'ils n'aiment pas les États-Unis. Je suis Canadien au même titre que tous mes
concitoyens et, à mon avis, le fait que nous cherchions à affermir notre pays
en facilitant l'accès au marché américain ne me rend pas moins Canadien pour
autant. »
L'opinion de la plupart des Canadiens se situe sans doute entre ces deux extrêmes, mais
ce genre d'ouvrages, si révoltants qu'ils puissent paraître aux antagonistes,
aideront la grande majorité des parlementaires et des électeurs à déterminer
leur position. Il est intéressant de noter que les partisans aussi bien que les
adversaires du libre-échange partent du principe qu'une victoire à des
élections ou lors d'un référendum viendrait confirmer leur position. Des
élections fédérales auront évidemment lieu sous peu et le libre-échange sera
l'un des principaux sujets de la campagne. Et pourtant, les positions énoncées
dans ces deux ouvrages sont si diamétralement opposées qu'il est difficile
d'imaginer qu'une chose aussi simple que des élections puisse faire changer
d'avis à quiconque.
Gary Levy
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