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Décision d’un président
Jeanne Sauvé

Recevabilité des modifications au stade du rapport, Jeanne Sauvé, Chambre des communes, 13 octobre 1983.

Contexte : Le Règlement de la Chambre stipule qu'un projet de loi doit faire l'objet de trois lectures : la première (pour la forme sans aucun débat); la deuxième (avec débat portant sur le principe du projet de loi); la troisième (avec débat et examen du projet de loi modifié). Entre la deuxième et la troisième lectures, les projets de loi sont habituellement étudiés par le comité qui est habilité à faire des modifications. Lorsqu'un comité fait rapport d'un projet de loi, on l'étudie au stade du rapport et c'est à ce moment que les modifications peuvent être proposées. Le Président est autorisé à choisir les motions faites au stade du rapport et à les grouper en vue du débat et du vote, il lui incombe en outre de vérifier si ces motions sont recevables, du point de vue de la procédure.

Prenons par exemple le projet de loi C-155 (surnommé Loi sur le tarif du Nid-de-Corbeau) qui vise à modifier le tarif fixe de transport, imposé depuis 86 ans aux producteurs de grains, pour expédier leur produit vers l'Ouest via le Pas du Nid-de-Corbeau, en Colombie-Britannique. Lorsque son étude a commencé, au stade du rapport, on avait inscrit au Feuilleton un nombre record de 174 motions. Le 13 octobre, après avoir fait deux déclarations préliminaires et écouté un certain nombre d'arguments procéduraux, le Président a déclaré irrecevables quelque 78 motions.

Le projet de loi renfermait sept parties et deux annexes; deux de ces parties renfermaient des définitions, qui se limitaient à leur partie respective, et il y avait en outre dans le projet de loi une disposition d'interprétation qui, bien sûr, s'appliquait au projet de loi tout entier.

De nombreuses motions avaient été présentées par les députés qui proposaient le transfert de définitions de l'une ou l'autre des parties à l'article d'interprétation. En agissant ainsi, les députés cherchaient à ajouter des définitions à l'article d'interprétation. Dans bien des cas, les définitions étaient identiques en tous points à celles qui se trouvaient dans les deux parties.

L'extrait qui suit démontre que les problèmes que posent au Président les motions présentées au stade du rapport sont des plus complexes et des plus difficiles et que la décision à prendre à leur égard constitue peut-être la tâche la plus ardue qui lui incombe.

Décision de la Présidente Jeanne Sauvé : Jeudi dernier, j'ai fait plusieurs réserves sur certaines propositions d'amendement au projet de loi C-155. Aujourd'hui, je suis prête à me prononcer sur la recevabilité de ces motions du point de vue de la procédure.

Auparavant, je profite de cette occasion pour remercier les députés qui ont fait des remarques très à propos au cours du long débat de procédure. Je dois dire que leurs interventions ont permis à la présidence de mieux comprendre cette mesure très complexe et très technique. Je leur sais gré d'avoir présenté leurs arguments.

Dans le débat, les députés ont dit à maintes reprises qu'il serait souhaitable d'adopter telle ou telle proposition d'amendement. De toute évidence, cela met la présidence dans une situation plutôt délicate, car je suis forcée de rappeler à la Chambre que, malheureusement, la présidence n'a pas pu tenir compte de ces remarques avant de prendre ses décisions, puisqu'elle doit s'en tenir strictement à la recevabilité des motions sur le plan de la procédure.

Dans mes remarques préliminaires sur la motion nº 1, j'ai dit à la Chambre que la motion cherchait à introduire dans le projet de loi une forme déguisée de préambule. Dans son argumentation, le député de Vegreville (M. Mazankowski) a utilisé l'expression « exposé des motifs », mais je doute fort qu'il y ait beaucoup de différence entre un tel exposé et un préambule.

Dans sa savante intervention au cours du débat de procédure, le député de Yukon (M. Nielsen) a cité le paragraphe 3 du commentaire 779 de la 5e édition de Beauchesne : « il n'est pas loisible au comité de joindre un préambule à un projet ou à une proposition de loi qui n'en comporterait pas à l’origine ».

La motion nº 1 aurait pour effet, selon moi, d'insérer un préambule dans le projet de loi. Aussi souhaitable que cela puisse paraître à certains députés, et je sais qu'ils sont nombreux  ce serait contraire à nos règles et usages. Je ne peux donc faire autrement que de déclarer la motion nº 1 irrecevable.

En ce qui a trait aux motions nos 2 à 19 inclusivement, 59, 64, 66, 67, 70, 129, 134 et 135, dont j'ai (dit qu'il s'agissait d'amendements de fond à un article d'interprétation dans ma déclaration de jeudi dernier à la Chambre, on n'a pas réussi à me convaincre du contraire. Quelques députés ont prétendu que bon nombre de ces motions visaient à ramener des définitions qui figurent plus loin dans le projet de loi à l'article 2, c'est-à-dire l'article d'interprétation générale du projet de loi. Cette façon de faire est nouvelle.

Dans son argumentation, le député de Hamilton Mountain (M. Deans) a cité un passage de la 1e édition de May pour prétendre qu'il était tout à fait dans l'ordre de déplacer des articles dans un projet de loi. Il a raison sur ce point. Cependant, on ne cherche pas au moyen des motions en cause à déplacer des articles, mais bien des définitions, pour les insérer dans un article d'interprétation qui porte sur l'ensemble du projet de loi. La présidence se trouve ainsi dans un dilemme. Que ces motions s'insèrent dans le cadre du projet de loi et des dispositions de la recommandation royale, comme l'a fait valoir le député de Hamilton Mountain, ne prouve pas nécessairement qu'elles sont dans l'ordre. Ce n'est pas cet aspect qui préoccupe surtout la présidence, mais plutôt le fait que l'on propose d'apporter des amendements de fond à un article d'interprétation.

Dans ma décision préliminaire, j'ai invoqué une décision rendue à cet égard par un de mes prédécesseurs. Dans l'intérêt des députés, je vais donner lecture du commentaire 773(10) de Beauchesne, 5e édition : « Il n'est pas dans l'ordre de proposer une modification de fond sous forme de modification de l'article « interprétation du projet de loi ».

Le fait de prendre des définitions dont la portée se limite à certaines parties d'un projet de loi et de les insérer dans l'article d'interprétation générale qui s'applique à l'ensemble du projet de loi donne à celles-ci une portée beaucoup plus large, et ce procédé n'est pas dans l'ordre. Il n'est pas recevable non plus de modifier des définitions quant au fond ou d'ajouter de nouvelles définitions de fond... Je n'ai donc malheureusement pas d'autre choix que de déclarer irrecevables les motions nos 2 à 19 inclusivement, 59, 64, 66, 67, 70, 129, 134 et 135.


Canadian Parliamentary Review Cover
Vol 6 no 4
1983






Dernière mise à jour : 2020-09-14